En Haïti, les violences armées entre gangs ont fait plus de 2 400 morts depuis début 2023

PHOTO ODELYN JOSEPH, ASSOCIATED PRESS

Haïti plonge de plus en plus dans l’insécurité et la violence des gangs fait trembler le pouvoir en place. Des bandes armées qui volent, pillent, violent et tuent quiconque se trouvant sur leur chemin. Selon l’ONU, ces violences ont fait plus de 2400 morts depuis le début de l’année 2023. Face à cette situation intenable, Antonio Guterres préconise le déploiement d’une force internationale.

Haïti plonge de plus en plus dans l’insécurité et la violence des gangs fait trembler le pouvoir en place. En effet, la première République noire peine à sortir des crises qu’elle a dû traversé tout au long de son histoire surtout depuis le tremblement de terre de 2010 et même encore plus récemment suite au meurtre du président Jovenel Moïse. Entre pauvreté grandissante, économie entravée, instabilité et violence politique, l’autre affliction d’Haïti est bien entendu la violence orchestrée par les gangs qui se disputent le territoire de Port-au-Prince. Le pays francophone des Grandes Antilles connaît depuis environ une décennie une situation d’insécurité grandissante et alarmante.

Des bandes armées qui volent, pillent, violent et tuent quiconque se trouvant sur leur chemin. On sait que ces bandes armées contrôlent environ 80% de la capitale haïtienne et les crimes violents sont fréquents. Face à eux, une police mal équipée, mal entrainée, en sous-effectifs et corrompue. À peine 3.500 policiers sont en service de sécurité publique à tout moment, dans tout le pays. Entre-temps, le recrutement de nouveaux policiers a été interrompu en raison de la détérioration des contraintes sécuritaires et logistiques.

Une insécurité grandissante qui repose surtout l’instabilité politique qui s’est accrue avec l’assassinat du dernier président élu au suffrage universel, Jovenel Moïse.

Selon l’ONU, ces violences ont fait plus de 2400 morts depuis le début de l’année 2023. Face à cette situation intenable, Antonio Guterres préconise le déploiement d’une force internationale.

« Entre le 1er janvier et le 15 août de cette année, au moins 2 439 personnes ont été tuées et 902 autres blessées… Parmi les personnes tuées figurent 310 membres présumés de gangs, 46 membres du public et un policier », a déclaré la porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Ravina Shamdasani, lors d’un briefing de l’ONU à Genève.

Il y a deux jours, ,trente personnes ont perdu la vie dans le quartier de Carrefour-Feuilles, un quartier de Port-au-Prince qui est stratégique pour les différentes bandes armées qui se disputent le contrôle de la capitale. Une attaque commise par le gang dirigé par Renel Destina surnommé Ti Lapli. La bande a pillé et incendié des maisons dans le quartier de Carrefour-Feuilles Des victimes ont été tuées à l’arme automatique. Une habitante a confié à l’AFP avoir perdu sa mère, son beau-père, son fils de 18 ans, deux sœurs et un frère dans ces attaques.

Des violences qui se poursuivent et qui forcent les habitant à fuir leur lieu de vie, à pied, à moto ou entassés dans des voitures, certains essayant d’emporter une poignée d’affaires personnelles, une valise sur la tête ou des matelas sur le toit de la voiture. Selon Lovelie Stanley Numa, ces affrontements durent depuis environ 9 mois  » ces individus armés ne cessent d’attaquer les habitants de ce quartier de Port-au-Prince en vue d’étendre leurs tentacules sur le quartier ». D’ailleurs selon la journaliste haïtienne,  » Le samedi 4 août dernier, Eddy Dorisca, un agent policier a été tué à Savane Pistache lors des échanges de tirs des policiers qui résistaient face à l’assaut des malfrats de Grand-Ravine. » Une situation qui avait poussé les habitants du quartier à organiser une marche pacifique pour demander la fin des violences dans leur zone d’habitation. Cette manifestation non-autorisée par les autorités avait été dispersée par la PNH ( Police Nationale Haïtienne). Selon Jerry Chandler, directeur général de la Protection civile haïtienne, lassées d’être livrées à elle-même, plus de cinq mille personnes ont fuit le quartier.

Les bandes armées bien mieux armées que les forces de l’ordre locales, font véritablement régner la terreur au point d’attaquer les hôpitaux, les cliniques ou les dispensaires qui étaient jusque-là épargner. Selon, le média de Lovelie Stanley-Numa,  » Des associations et institutions médicales ont fait part de leurs préoccupations par rapport aux intrusions à répétition des hommes lourdement armés dans les établissements médicaux de la capitale ». Ces associations sont l’Association Médicale Haïtienne, L’Association des Hôpitaux Privés d’Haïti ; l’Hôpital Adventiste de Diquini ; Les Centres Gheskio ; Médecins Sans Frontières et les Hôpitaux Saint Luc et Saint Damien qui, dans une note conjointe lancent un appel pour stopper cette pratique qui met en péril le travail et la vie des personnels médicaux.

 » Ces Institutions Médicales informent que de nombreux hôpitaux ont été attaqués ou empêchés de fonctionner par de bandits armés et plusieurs médecins ont été kidnappés ou tués. Sans oublier l’irruption des hommes armés dans plusieurs centres hospitaliers pour extraire de force des patients qui étaient notamment dans des salles d’opération. »

De plus, selon les Nations Unies la violence des gangs entraîne la forme la plus sévère de malnutrition. En effet, selon l’UNICEF, en Haïti, près d’un enfant sur quatre souffre désormais de malnutrition chronique. Selon les chiffres publiés en mai par l’Unicef, la violence des gangs a provoqué dans le pays une augmentation de 30% en un an de la malnutrition aiguë sévère chez les enfants. L’agence onusienne établie un terrible constat : désormais près d’un enfant sur quatre souffre de malnutrition chronique, et 115.600 enfants devraient souffrir en 2023 de la forme de dénutrition la plus mortelle. En cause: une exacerbation de la crise sécuritaire et politique chronique subie par le petit pays des Caraïbes, accompagnée d’une inquiétante résurgence de cas de choléra.

Une force armée internationale en Haïti ?

Après la guerre en Ukraine, c’est bien la situation sécuritaire en Haïti qui inquiète les Nations Unies. A plusieurs reprises est évoqué une possible intervention militaire internationale. Ariel Henry, premier ministre d’Haïti, demande à ce que cette intervention internationale ait lieu. Des pays comme la Jamaïque, la Colombie, le Mexique ou l’Equateur se sont déjà proposés à intervenir directement sur place mais pour l’heure, l’idée d’une éventuelle arrivée de casques bleus ou tout autre force armée est un sujet de longues discussions puisque l’on sait que des pays comme la Chine ou la Russie s’y opposent pointant du doigt la non-efficacité des celles qui ont eu lieu dans les décennies précédentes mais surtout les polémiques qui ont entouré les casques bleus en Haïti ( choléra, viols sur des femmes et même des mineurs).

Lors de ,son escale à Port-au-Prince datant du 1er Juillet, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU avait encore une fois soufflé l’idée d’une intervention internationale sur place. « Je suis venu avec un message simple : les Nations Unies sont avec vous. Ma solidarité va au peuple haïtien, qui fait face à un terrible cycle de crises sécuritaires, politiques et humanitaires qui s’exacerbent mutuellement […] la violence brutale des gangs touche chaque aspect de la vie publique et privée du pays[…] encerclé par des gangs armés qui bloquent les principales routes menant aux départements du nord et du sud, contrôlent l’accès à l’eau et à la nourriture, aux soins de santé »

Le chef de la diplomatie internationale s’était longuement intéressé au sort des civils qui sont les touchés dans cette guerre de gangs : « une attention urgente et soutenue, qui place les victimes et les populations civiles au centre de nos préoccupations et nos priorités […] Nous avons besoin d’approches nouvelles et intégrées, alliant enjeux sécuritaires et politiques, État de droit, questions humanitaires et de développement […] Il ne peut y avoir de sécurité durable sans un rétablissement des institutions démocratiques – et il est impossible de parvenir à des solutions politiques pérennes et pleinement représentatives sans une amélioration drastique de la situation sécuritaire […] Chaque jour compte. Si nous n’agissons pas maintenant, l’instabilité et la violence auront un impact durable sur des générations d’Haïtiens ».

« Chaque jour compte. Si nous n’agissons pas maintenant, l’instabilité et la violence auront un impact durable sur des générations d’Haïtiens », a insisté le chef de l’ONU, qui a réitéré son appel envers tous les partenaires pour renforcer le soutien à la police nationale – que ce soit en matière de financements, de formation ou d’équipements.

Sur le plan humanitaire, le Secrétaire général a noté que les besoins continuent d’augmenter, mais que le soutien international n’est pas à la hauteur des espérances. Une personne sur deux en Haïti vit dans l’extrême pauvreté, est confrontée à la faim et n’a pas d’accès régulier à l’eau potable.

Le plan d’intervention humanitaire, qui prévoit 720 millions de dollars pour venir en aide à plus de trois millions de personnes, n’est financé qu’à 23%.

Le chef de l’ONU a appelé la communauté internationale à venir en aide aux populations dans le besoin, estimant qu’il s’agissait d’une question de solidarité et de justice morale.

Antonio Guterres en Haïti
Source : ONU.

Les propositions d’Antonio Guterres :

Dans un récent rapport, il est revenu sur sa proposition d’intervenir sur place en détaillant ses idées pour mettre fin au chaos en Haïti. Selon le diplomate, il est impératif de : ,il faut neutraliser les gangs et les désarmer. L’objectif est pour lui de reprendre le contrôle des axes routiers et des installations stratégiques pour permettre de nouveau la libre circulation des personnes et des biens et le retour des services publics de base dans la vie des Haïtiens, explique Antonio Guterres.

Le secrétaire général préconise l’envoi d’une force non-onusienne, et donc sans mandat des Nations unies. Antonio Guterres souhaite que le déploiement de cette force soit « bien accueilli » par le Conseil de sécurité, mais il ne s’agira donc pas de Casques bleus. Si le chef de l’ONU choisit ses mots tout en nuance, c’est parce qu’en Haïti les derniers passages de Casques bleus n’ont pas laissé de bons souvenirs…

Il s’agirait donc d’une force multinationale non-onusienne, dont un pays prendra la direction. Ce pays devra fixer les contours de son intervention en coordination avec les autorités haïtiennes avant de se « déployer dans le pays de façon autonome » pour déloger les gangs de façon ciblée afin d’éviter des victimes civiles collatérales.

Et ce n’est que par la suite que l’ONU pourrait apporter un soutien logistique.

Le chef des Nations unies souligne toutefois que l’utilisation de la force seule ne règlera pas le problème de l’insécurité. Il faudrait renforcer la Police haïtienne, rétablir le système judiciaire, relancer le processus politique et l’économie. Pour ce faire, Antonio Guterres préconise un renforcement et un élargissement du mandat du BINUH, la mission onusienne déjà présente en Haïti. Mais ces objectifs n’ont rien de nouveau. Ils figuraient déjà sur l’agenda des différentes missions des Nations unies en Haïti ces dernières années, sans qu’ils aient donné des résultats durables.

Fin juillet, le Kenya a annoncé être prêt à prendre la tête de cette force multinationale et à déployer 1.000 policiers « pour aider à former et aider la police haïtienne à rétablir la normalité dans le pays et à protéger les installations stratégiques ». Après l’annonce kényane, les États-Unis, qui président en août le Conseil de sécurité, se sont engagés il y a deux semaines à dégager des ressources, sans être plus précis, et à déposer « dans un proche avenir », avec l’Équateur, une résolution d’autorisation devant le Conseil.

M. Guterres a salué dans son courrier l’initiative de Nairobi pour cette force, dont Haïti a besoin de « manière urgente », et le soutien exprimé de plusieurs États des Caraïbes : Bahamas, Jamaïque, Antigua-et-Barbuda.