Les Antillais du Panama : Un histoire oubliée.

De la Guadeloupe à la Martinique en passant par la Jamaïque, la Barbade, Trinidad et Sainte-Lucie, ils étaient des milliers à quitter leurs îles des Caraïbes, attirés par les promesses d’Eldorado que les compagnies leur faisaient miroiter. Une fois au Panama, le rêve s’est transformé en cauchemar. Très peu survécurent. Ils étaient peu nombreux à retourner dans leurs îles. Ensemble ils ont créé la communauté des Afro-Antillano de Panama !

De 1904 à 1914, pour éviter d’être exploités dans les plantations sucrières de leurs anciens maîtres ou de mourir de faim au chômage, 31 000 afro-descendants des Antilles, parmi lesquels 5500 Martiniquais et 2000 Guadeloupéens sont partis creuser le canal de Panama : 79 kilomètres de long sur 16 km de large.

D’abord confiants, persuadés d’accéder à un avenir meilleur grâce à la construction du canal de Panama, ils ont vite regretté leur engagement et beaucoup l’ont payé de leur vie ! Plusieurs milliers de Guadeloupéens et de Martiniquais ont tenté l’aventure. Beaucoup ne sont pas revenus. Les quelques survivants du Canal se sont implantés sur place pour former ensemble la communauté des Afro-Antillano de Panama.

Tout a commencé en 1904 quand les garde-champêtres se présentèrent dans chaque commune de Guadeloupe et de la Martinique au son du gwo ka pour annoncer avec enthousiasme les conditions de départ vers un nouvel eldorado :

« 500 jours pour faire fortune dans le plus beau pays du monde, n’exigeant aucune qualification, avec la garantie au terme du contrat, d’un retour au pays. »

Les volontaires furent nombreux : travailleurs agricoles mis au chômage par la crise sucrière, sans grades, jeunes gens en quête d’aventure et d’argent facile, pères de famille ou enfants déshérités. À cette longue liste, se sont ajoutés tous les Martiniquais, victimes de l’éruption de la montagne Pelée en 1902.

Ces promesses d’un avenir meilleur, d’un salaire en dollars honorable à 90 cents de l’heure, d’une maison équipée en électricité prirent des allures de chants des sirènes. Des familles entières, le cœur plein d’espoir, ont embarqué sur le bateau les poussant vers la terre promise.

Arrivés au Panama, ils se sont installés dans la ville de Colón qui, avec les années s’est imposée comme “la ville afroantillaise” de Panama, notamment lors de la construction du “Canal français” (1880-1898) puis “nord-américain” (1904-1914). Une fois sur place, la réalité les a rattrapés. Guadeloupéens, Martiniquais, mais aussi Jamaïcains, Saint-Luciens, Trinidadiens et Barbadiens débarquèrent dans un pays pauvre, arriéré, ou sévissaient la malaria et le paludisme. Le racisme et la ségrégation étaient en option.

L’échec du Canal Français :

Le Canal français fut un fiasco technique et financier sans précédent, si bien que l’on parla du “scandale de Panama”, Ferdinand de Lesseps s’étant entêté à vouloir réaliser un canal à niveau comme il avait réussi à le faire en Egypte (Suez), tout en gérant de façon très opaque la direction des travaux. Mais ce sont les Antillais, “importés” comme travailleurs corvéables à outrance, à peine sortis de l’esclavage, qui payèrent le prix le plus lourd :

– La France déplaça plus de 18 000 travailleurs noirs de Jamaïque et plus de 8 000 Haïtiens. Il y eut également quelques travailleurs provenant de Barbade, Sainte-Lucie et Martinique.

– De 1881 à 1889, plus de 22 000 Antillais sont morts de faim, de la malaria, ou de la fièvre jaune. Seulement 800 Jamaïcains et 20 Haïtiens survécurent à cette tragédie humaine.

Face à la faillite, les Etats-Unis rachetèrent le chantier, sur lequel ils adaptèrent un système d’écluses mieux adaptés aux contraintes techniques. Les Américains recrutèrent un grand nombre d’ouvriers Antillais des îles Françaises. De Barbade migrèrent près de 20 000 ouvriers : Ensuite virent 5 542 ouvriers martiniquais et 2053 Martiniquais et enfin 1 427 de Trinidad. A la différence des Français, les Américains qui dirigeaient le chantier appliquèrent la ségrégation dans ce pays qui était pourtant indépendant. Dans la Zone du Canal, sous contrôle états-unien, a pris corps une ségrégation “institutionnalisée” sous les termes « gold roll » (les Etats-uniens blancs) et « silver roll » (les Européens blancs et les Noirs). Dans le « gold roll », les Etats-uniens blancs exerçaient aux postes supérieurs (supervision, main d’œuvre qualifiée), payés en or, tandis que les Noirs et les Européens blancs du « silver roll »étaient payés la moitié, en monnaie panaméenne.

Dans la Zone du Canal, dominée par les Nord-américains, tous les travailleurs du “silver roll”, qu’ils soient Blancs européens ou Noirs des Antilles même françaises (la majorité venaient cependant de Barbade), avaient obligation de s’exprimer en anglais… la langue de leurs chefs ! A tel point que les Guadeloupéens et Martiniquais de retour “au pays” continuèrent à parler l’anglais entre eux.

Subissant le racisme dans des conditions de travail effroyables, les Antillais travaillaient 16 heures par jour pour moins de 1 dollar. De ce pays, ils n’ont connu que souffrance et racisme : Le terme « chombo » est alors apparu pour dénigrer les travailleurs antillais arrivés en masse depuis la construction de la voie ferrée jusqu’a celle du Canal (1850-1914) : les Noirs dits afrocoloniaux ne se privèrent pas d’utiliser ce mot pour se différencier des Antillais qu’ils considéraient soumis, tout juste sortis de l’esclavage, et incapables de s’intégrer à la société panaméenne car de langues étrangères (anglais et français).. Les « criollos » ainsi que les afrocoloniaux s’opposèrent à la migration massive antillaise, et ce pour plusieurs raisons. Afin de s’intégrer dans la société Panaméenne, ils durent apprendre l’espagnol, s’affirmer dans cette société dominée par une minorité blanche fortunée.

Leur travail était pénible, il fallait déboiser la forêt tropicale à la machette. Des équipes d’apprentis dynamiteurs, sans formation, sans protection, enchaînaient les actions. Il fallait faire sauter les troncs d’arbres, déblayer à la pioche et à la pelle. Beaucoup ont perdu la vie !

Rejetés ou admirés au retour du pays :

A l’arrivée au Panama, les Afro-Antillais n’étaient pas considérés comme Panaméens…à leur retour dans leur île d’origine, ils étaient très souvent rejetés par leurs semblables restés au pays. Mais tout n’était pas sombre au Tableau : ceux qui purent revenir étaient devenus riches. Avec l’argent gagné ils purent construire une maison sur les terrains familiaux ou en acheter d’autres ou, ouvrir un commerce. Les migrants du Canal, ont faut le dire joué un grand rôle dans le développement des Antilles Françaises à l’époque. Bon nombre de migrants étaient vus comme des héros. Ils étaient traités en « gentlemen », très convoités par les personnes de bonnes familles désireux de marier leurs filles à ces nouveaux « riches ». Ceux qui ne revinrent pas, poussèrent l’aventure jusqu’à Détroit, nouvelle ville industrielle des Etats-Unis.

Au final, avec ses 22 000 morts sur les 45 000 ouvriers employés (dont les 31 000 Antillais) l’aventure du Panama est l’histoire d’une odyssée impossible, d’une cruelle faillite financière. C’est l’histoire de milliers de morts, d’individus handicapés, de malheureux n’ayant même pas les moyens de revenir au pays. Et ce sont les Antillais qui payèrent le plus lourd tribut. Aujourd’hui, leur descendance n’a pas renié ce lien affectif et familial avec la France. Chaque 14 juillet, un bal a lieu sur la place de France à Panama où se fredonnent de mémoire, les paroles de la Marseillaise. Cette union « sacrée » s’est créée en 1917, avec la fondation de la Fraternité. Il s’agissait d’une société de secours mutuel entre les Antillais. La Fraternité existe toujours. Elle sert principalement de relais entre ceux du Panama et ceux de France.

Un commentaire

  1. Bonjour,
    Je suis très intéressé par ce bout d’histoire et j’aimerais en savoir plus si cela est possible.
    Merci d’avance.

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