De la Guadeloupe au Louvre : l’histoire oubliée du peintre Guillaume Guillon-Lethière

Né en 1760 en Guadeloupe, alors que l’homme noir vivait sous le joug de l’esclavage, Guillaume Guillon-Lethière a forcé les portes d’un monde artistique dominé par le racisme et les préjugés. Peintre majeur du néoclassicisme européen, il a pourtant disparu des récits officiels de l’histoire de l’art. Le Mémorial ACTe, en partenariat avec le musée du Louvre et le Clark Art Institute, remet aujourd’hui en lumière l’œuvre d’un artiste guadeloupéen dont le parcours bouscule les certitudes.

On le sait, la Guadeloupe est une terre de talents. Du sport à la musique, de la littérature aux sciences, en passant par la politique ou la mode, le territoire n’a jamais cessé de faire émerger des figures capables de rayonner bien au-delà de l’archipel, jusqu’à inscrire leur nom dans l’histoire nationale.

Mais cette excellence ne date pas d’hier. Depuis plusieurs siècles, la Guadeloupe marque l’histoire de France, y compris durant les périodes les plus sombres, lorsque l’esclavage était la norme et que la société reposait sur des hiérarchies raciales implacables. Dans ce contexte d’oppression, certains ont pourtant su dépasser leur condition pour atteindre les plus hauts cercles d’une nation fondée sur les préjugés de couleur.

Le nom de Joseph Bologne, plus connu comme le Chevalier de Saint-Georges, s’impose alors naturellement. Compositeur virtuose, escrimeur hors pair, il demeure l’une des figures les plus éclatantes de cette histoire. Mais il ne fut pas le seul. Un autre Guadeloupéen s’est illustré à son tour, s’imposant dans le cercle fermé du pouvoir impérial, jusqu’à être décoré de la Légion d’honneur. Un destin exceptionnel, aujourd’hui largement méconnu des jeunes générations.

Guillaume Guillon-Lethière. Un nom qui désigne un homme ayant marqué son siècle par la force de son talent pictural. Né en 1760 en Guadeloupe, à une époque où l’homme noir était maintenu en esclavage, il est parvenu à imposer son empreinte dans un monde artistique verrouillé par le racisme et les stéréotypes.

De la Révolution française à l’Empire napoléonien, jusqu’au retour de la Monarchie, Guillon-Lethière traverse les grandes secousses politiques de l’histoire de France. Il s’adapte à ces bouleversements sans jamais renoncer à son art, s’imposant comme l’un des peintres majeurs du néoclassicisme européen, ce courant dominant des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Pourtant, malgré cette reconnaissance de son vivant, son nom s’est peu à peu effacé des récits officiels.

Aujourd’hui, seuls les spécialistes de l’histoire de l’art mesurent pleinement l’ampleur de son héritage, en France comme en Europe. Même en Guadeloupe, sa terre natale, rares sont ceux qui savent qu’il y est né et qu’il fut une figure influente de son temps. Fils d’une esclave affranchie métisse et d’un procureur du roi, planteur blanc, Guillon-Lethière a pourtant atteint les plus hautes sphères culturelles, devenant directeur de la Villa Médicis à Rome, siège de l’Académie de France.

Le Mémorial ACTe, en partenariat avec le musée du Louvre et le Clark Art Institute (Massachusetts), invite aujourd’hui à découvrir ou redécouvrir l’œuvre de ce grand peintre des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. L’exposition présentée en Guadeloupe constitue la troisième étape d’un parcours international entamé aux États-Unis, puis poursuivi à Paris. Son accueil au MACTe revêt une portée hautement symbolique : celle d’un retour sur la terre natale de l’artiste, d’autant plus significatif que certaines de ses œuvres sont conservées au musée des Beaux-Arts de Saint-François.

De la Guadeloupe au Louvre : l’histoire oubliée du peintre Guillaume Guillon-Lethière. Photo : ELMS Photography (Emrick LEANDRE)

Le lundi 15 décembre au matin, nous avons pu découvrir en avant-première cette exposition historique, désormais ouverte au public. Elle réunit près d’une centaine d’œuvres inspirées de l’histoire et de la littérature antique, témoignant de l’ampleur du travail de Guillaume Guillon-Lethière. Ceux qui cherchent des œuvres évoquant directement ses origines devront toutefois patienter : le peintre n’aborde la question de l’esclavage que tardivement dans sa carrière. L’exposition donne ainsi à voir des chefs-d’œuvre issus d’une autre époque, portés par une esthétique néoclassique rigoureuse et puissante.

Un tableau majeur manque cependant à l’appel : Le Serment des Ancêtres, l’œuvre la plus célèbre de Guillon-Lethière. Peinte en secret au début des années 1820, elle est offerte par l’artiste à la toute jeune nation haïtienne, alors non reconnue par la France, ancienne puissance coloniale. La toile représente la rencontre décisive de 1802 entre Jacques Dessalines et Alexandre Pétion, un pacte fondateur qui conduira à la défaite des troupes françaises et à l’indépendance d’Haïti. Pour la première fois, Guillon-Lethière signe son œuvre en revendiquant son origine : « né à la Guadeloupe an 1760 », un geste fort, perçu comme une déclaration de soutien au peuple haïtien dans sa lutte pour la liberté.

Ne pouvant quitter la France officiellement, le tableau est envoyé clandestinement grâce au fils du peintre. Devenu un trésor national de la « Perle des Antilles », Le Serment des Ancêtres connaît ensuite un destin mouvementé : disparu pendant près d’un siècle, il est retrouvé en 1991 dans une cathédrale, restauré au musée du Louvre, puis rapatrié à Port-au-Prince. Gravement endommagée lors du séisme de 2010, l’œuvre bénéficie d’une nouvelle restauration menée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France. Aujourd’hui conservée en Haïti, elle reste absente physiquement de l’exposition, mais un dispositif de médiation spécifique permet au public d’en découvrir toute la portée, jusque dans ses moindres détails.

Ils ont dit :

Frédéric Régent. Photo : ELMS Photography ( Emrick LEANDRE)

Christelle Lozère, photo : Linsay Boraton.

Dominique de Font-Réaulx. Photo : ELMS Photography ( Emrick LEANDRE)

Guillaume Guillon-Lethière, le peintre guadeloupéen que l’histoire a longtemps effacé

Né en 1760 à Sainte-Anne, en Guadeloupe, dans une société coloniale où l’homme noir est réduit en esclavage, Guillaume Guillon-Lethière incarne une trajectoire aussi exceptionnelle que paradoxale. Fils d’une mère esclave métisse, Marie-Françoise Dupepaye, et d’un planteur blanc, Pierre Guillon, il naît esclave avant d’être très tôt emmené en France par son père, qui perçoit chez l’enfant un talent précoce pour le dessin. Cette traversée de l’Atlantique, à l’âge de quatorze ans, marque le début d’une ascension improbable dans un monde artistique alors dominé par les hiérarchies sociales et raciales.

Formé d’abord à Rouen, puis à Paris auprès du peintre du roi Gabriel-François Doyen, Guillon-Lethière s’impose rapidement comme l’un des grands peintres d’histoire de sa génération. S’il fréquente l’atelier de Jacques-Louis David sans en être l’élève, il s’inscrit pleinement dans le courant néoclassique, auquel il apporte une sensibilité singulière nourrie de son histoire personnelle. Lauréat du second prix de Rome en 1784, il séjourne longuement à Rome, où il affirme son style et développe une œuvre ambitieuse, marquée par les thèmes de l’histoire antique, de la mythologie et du sacrifice.

De retour à Paris en pleine tourmente révolutionnaire, il prend fait et cause pour la Révolution et ouvre son propre atelier dès 1793. Enseignant toute sa vie, il forme plusieurs générations d’artistes, parmi lesquels de nombreuses femmes, encore rares dans le milieu académique, ainsi que des figures majeures de la peinture française du XIXᵉ siècle. Son engagement pédagogique, souvent méconnu, constitue l’un des piliers de son héritage.

Sa carrière connaît toutefois des zones d’ombre. En 1803, impliqué dans une rixe mortelle, il est contraint à l’exil. Soutenu par Lucien Bonaparte, il est nommé directeur de l’Académie de France à Rome en 1807, fonction qu’il occupe près de dix ans à la Villa Médicis. À son retour, il retrouve Paris, enseigne à l’École des Beaux-Arts, est élu à l’Académie des Beaux-Arts et reçoit la Légion d’honneur. Pourtant, à partir de la seconde moitié du XIXᵉ siècle, son œuvre tombe progressivement dans l’oubli, jugée trop classique face aux courants artistiques émergents.

Si Guillon-Lethière est surtout connu pour ses grandes compositions historiques, comme Brutus condamnant ses fils à mort, son œuvre la plus intime demeure Le Serment des Ancêtres, achevée en 1822. À travers cette toile, qui évoque indirectement l’histoire de l’esclavage et les luttes pour la liberté, le peintre semble enfin relier son destin personnel à celui de son pays natal. Une œuvre tardive, puissante, comme un geste de mémoire.

Mort à Paris en 1832, Guillaume Guillon-Lethière laisse derrière lui une œuvre majeure et un parcours qui bouscule les récits établis de l’histoire de l’art. Longtemps effacé, il revient aujourd’hui au premier plan, non comme une curiosité, mais comme un artiste central, dont la trajectoire éclaire à la fois l’histoire coloniale, la création artistique et les angles morts de la mémoire culturelle française.

De la Guadeloupe au Louvre : l’histoire oubliée du peintre Guillaume Guillon-Lethière. Photo : Linsay Boraton.

Plongez dans l’exposition consacrée à Guillaume Guillon-Lethière :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *