Par le passé, le parti de Marine Lepen a reçu des financements de la part d’une banque russe. Aujourd’hui, le Rassemblement National est de nouveau sous les feux de la critique pour ses liens, prétendus ou avérés, avec la Russie de Vladimir Poutine. Cette fois, c’est une enquête du Washington Post qui pointe des liens très étroits entre le parti d’extrême droite français et la Russie à travers d’agents d’influence ou des fermes à trolls. Le RN a dénoncé mardi 2 janvier « une cabale » après l’enquête du média américain. Le Rassemblement National est-il un agent de subversion russe ? Réponse.
Le Rassemblement National, nid d’espions, russes ? Le titre ressemble à celui d’un roman d’espionnage de John Le Carré. Pourtant, la réalité est entrain de dépasser la fiction. Du moins, avec la guerre en Ukraine et toutes les tensions internationales notamment en Europe de l’est et en Asie, nous sommes plongés de nouveau dans les années noires de la Guerre Froide où Bloc soviétique et occidental s’affrontaient de différentes manières notamment avec l’emploi d’agents du renseignement et autres taupes au service de l’un ou l’autre des deux blocs.
A plusieurs reprises, la Russie a été épinglée pour son emploi massif d’espions infiltrés, parfois même au coeur de certaines institutions occidentales ou encore, là aussi elle est passée maîtresse en la matière, l’usage de fermes à trolls pour déstabiliser en ligne, des élections démocratiques, comme ce fut le cas lors des élections américaines de 2016 ou plus récemment celles de 2021 pour favoriser le candidat Trump. Même si les Etats-Unis restent la principale cible des actions russes, l’Europe occidentale est elle aussi concernée, comme ce fut là aussi le cas pour le Référendum sur le Brexit ou celui sur l’indépendance de la Catalogne qui avait vu la victoire du Oui à l’indépendance l’emporter.
En France, des soupçons d’ingérence russe pesaient dès 2017 où des liens étroits entre le Rassemblement National de Marine Lepen avaient été mis en lumière par la Commission d’enquête parlementaire qui avait dénoncé le financement du RN par une banque russe détenue par un proche de Vladimir Poutine. Sous le feu des critiques, Marine Lepen avait finalement avoué avoir bel et bien reçu de l’argent, pour sa campagne, de cette banque russe. Alors que nous pensions que le parti d’extrême droite avait distendu ses liens avec Moscou, il n’en est rien. Au contraire, le RN serait encore très proche de la parole russe. C’est du moins ce que révèle le Washington Post.
Cette enquête tombe à point nommé vu que dans moins de cinq mois, se tiendront les élections européennes auxquelles le Rassemblement National entend participer et obtenir des sièges au Parlement européen.
De cette enquête, il en ressort que la Russie mènerait une entreprise de subversion en France, dans laquelle le parti présidé par Jordan Bardella jouerait un rôle primordial, à en croire les documents consultés par le quotidien américain et les interviews qu’il a réalisées. Selon le WP, Marine Le Pen et plusieurs hauts responsables de son parti s’aligneraient sur les éléments de langage délivrés par le Kremlin et le journal laisse entendre que ce serait la contrepartie du soutien financier apporté par Vladimir Poutine au Rassemblement national lors de la dernière présidentielle. Pour appuyer ses affirmations, le Washington Post passe en revue les positions pro-russes de plusieurs très proches de Marine Le Pen.
En effet, selon le quotidien américain basé à Washington, le Kremlin transmettrait des éléments de langage à certains cadres du RN pour en faire ses porte voix en France et en Europe. Ces éléments de langage seraient ensuite repris par le RN. C’est dans le cadre de cette collaboration que le parti d’extrême-droite aurait soutenu que les sanctions économiques contre la Russie pénaliseraient davantage les pays occidentaux et que livrer des armes à Kiev ferait courir un risque de 3eme guerre mondiale. De plus, la Russie prétend que la fourniture d’armes à l’Ukraine a laissé la France sans moyens de défense. Ces points de discussion sont conçus pour influencer l’opinion publique française et discréditer le soutien à l’Ukraine.
Des éléments de langage choisis par Vladimir Poutine lui-même et transmis par Sergueï Kirienko, 1er adjoint au cabinet de Vladimir Poutine. L’homme proche du président russe, aurait confié aux stratèges politiques du Kremlin la mission de déstabiliser la France en utilisant les médias sociaux et en influençant des personnalités politiques, des leaders d’opinion et des activistes français. L’objectif de Moscou est de saper le soutien à l’Ukraine et d’affaiblir la détermination de l’OTAN.
Jean-Luc Schaffhauser, un agent russe qui aiderait le Kremlin à prendre le pouvoir dans plusieurs pays européens :
Ainsi, comme le rapporte le Figaro, un homme est au cœur de cette enquête : Jean-Luc Schaffhauser, ancien député européen du RN, qui avait aidé son parti à trouver deux prêts bancaires, indispensables à sa survie. L’un de ces prêts est le fameux « prêt russe », obtenu en 2014 auprès d’une banque russo-tchèque, avant d’être racheté par une obscure entreprise russe.
Cet encombrant prêt était un véritable boulet politique, surtout après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Il avait été identifié par Jordan Bardella, président du RN, et les lieutenants de Marine Le Pen comme un obstacle à la conquête du pouvoir pour la présidentielle de 2027. Il a été soldé entièrement en septembre dernier.
Russophile convaincu, Jean-Luc Schaffhauser, 68 ans, s’était fait très discret. Il n’avait pas été reconduit sur la liste du RN pour les élections européennes de 2019. Selon l’enquête du Washington Post, l’homme travaille aujourd’hui « sur des plans visant à propulser des politiciens pro-Moscou au pouvoir ». « Tous les gouvernements d’Europe occidentale seront changés », affirme même Jean-Luc Schaffhauser au journal américain, qui révèle que l’ancien député européen « loue un étage de sa résidence » à Strasbourg au numéro deux de l’ambassade de Russie en France.
En effet, selon le média nord-américain, Schaffhauser travaillerait activement à l’élaboration de plans visant à propulser des politiciens favorables à Moscou au pouvoir dans plusieurs pays européens. Ces efforts s’inscrivent dans une vision à long terme visant à forger une alliance entre la Russie et l’Europe, bien que les perspectives de cette alliance aient été sérieusement compromises par l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
Schaffhauser considèrerait que le moment est venu de réaliser cette vision, en profitant notamment de la contre-offensive de Kiev qui montre des signes de faiblesse et de la crise économique qui frappe de nombreux pays européens, ainsi que de la montée des mouvements populistes d’extrême droite. Il estime que tous les gouvernements d’Europe occidentale doivent être changés pour permettre à la Russie de prendre le leadership dans la région.
D’autre part, toujours selon le média des Etats-Unis, il existerait les liens financiers entre Jean-Luc Schaffhauser et la Russie. Schaffhauser reconnaît recevoir des fonds et du soutien du diplomate russe Ilya Subbotin, n°2 de l’ambassade de Russie en France, qui lui verse tous les mois de quoi payer le loyer d’un étage complet dans une résidence strasbourgeoise.
Candidat indépendant aux élections législatives de 2022, Jean-Luc Schaffhauser avait pour binôme un ancien militaire à la retraite. C’est ce réseau que l’homme politique a activé en juin 2023 lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Au Washington Post, l’Alsacien pro-russe affirme être en relation avec plusieurs anciens officiers des renseignements militaires français prêts à prendre le pouvoir en cas de crise et d’effondrement politique en France : « Nous devons proposer le meilleur gouvernement pour la France, un gouvernement de l’ombre… des gens qui sont vraiment patriotes. » Des propos inquiétants en somme et qui question les intentions de l’ancien député RN.
Cependant, loin de s’arrêter là, Jean-Luc Schaffhauser compte ainsi lancer prochainement une fondation, qui sera soutenue financièrement par Moscou. Selon Rue89 Strasbourg, l’objectif de l’institution : plaider pour un cessez-le-feu en Ukraine avec un maintien des positions russes dans l’Est du pays. C’est déjà la position du Rassemblement national mais comment présenter une telle stratégie auprès des pays occidentaux ? Selon l’ancien conseiller municipal d’extrême-droite, en faisant valoir que la Russie s’éloignerait ainsi de la Chine pour retrouver sa proximité avec l’Ouest. L’homme politique alsacien a prévu de se rendre à Moscou en janvier pour échanger avec le directeur des services de renseignement extérieurs russes, Sergei Naryshkin. Le voyage est organisé par un ancien officier des renseignements militaires russes.
Thierry Mariani, une trop grande proximité avec la Russie qui inquiète :
Le Washington Post pointe également du doigt la position pro-russe de Thierry Mariani, l’une des voix les plus marquantes du Rassemblement national et membre du Parlement européen qui a été pointé du doigt par la commission d’enquête parlementaire pour sa « grande proximité idéologique et politique » avec les autorités russes. Le rapport souligne en particulier sa direction de l’Association pour le dialogue franco-russe, un groupe de réflexion parisien fondé par le gouvernement russe qui, selon l’enquête, est depuis longtemps une plaque tournante pour la promotion des vues du Kremlin.
Le rapport remet également en question les fréquentes visites de Mariani en Russie et son rôle d’observateur électoral entérinant les votes illégaux organisés par les séparatistes soutenus par Moscou en 2018 dans la région du Donbass, à l’est de l’Ukraine. Le rapport souligne également qu’il a dirigé des délégations du Rassemblement national en Crimée, la péninsule ukrainienne illégalement annexée par la Russie en 2014. À propos de ces visites, mais sans citer de noms, Nicolas Lerner, alors chef du renseignement intérieur français, a déclaré à l’enquête : « Certains élus entretiennent clairement des relations clandestines avec les services de renseignement [russes].
Des fermes à trolls inondent les réseaux sociaux en France
L’article mentionne également que les documents du Kremlin montrent que Moscou a créé des fermes de trolls chargées de produire et de diffuser du contenu sur les réseaux sociaux et des articles critiquant le soutien occidental au gouvernement ukrainien de Volodymyr Zelensky. Une note écrite par l’un des stratèges du Kremlin en juin 2023 demande à un employé d’une ferme à trolls de créer un commentaire de 200 caractères attribué à un Français moyen, critiquant le soutien de l’Europe à l’Ukraine comme une aventure futile qui entraîne une inflation et une baisse du niveau de vie en France.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a rejeté ces documents comme étant des faux, arguant que la Russie n’a pas besoin de promouvoir l’idée que l’Europe souffre des sanctions contre la Russie, car cela est évident pour tous les analystes.
L’article souligne que bien que la propagande russe n’ait pas encore eu un impact majeur en France, où le président Emmanuel Macron a maintenu un soutien ferme à l’Ukraine, il existe des signes de préoccupation. La visibilité des comptes pro-russes sur les réseaux sociaux augmente en France, et les taux d’approbation des partis d’extrême droite français sont en hausse. Certains responsables français s’inquiètent de la montée de la rhétorique pro-russe, qui affirme que la guerre en Ukraine est une aventure américaine et que la France doit restaurer ses relations avec la Russie.
Le rapport souligne également qu’une partie de l’establishment français continue de rêver d’une Europe dirigée conjointement par la France et la Russie, en tant que grandes puissances nucléaires sur un pied d’égalité. Cette vision persiste malgré les tensions géopolitiques actuelles.
Négation au sein du Rassemblement National et commentaires :
Interrogé ce mardi 2 janvier sur Sud Radio à propos de cette enquête, Laurent Jacobelli, député RN et porte-parole du parti déclare : «Tout ça est une cabale». Il affirme qu’il «n’y a aucun lien» entre la Russie et son parti. Toujours interrogé sur la question des liens entre son parti et Moscou, Jacobelli estime qu’ « On est plus proche de l’accusation gratuite que du travail journalistique. Tout cela est faux. Il y a une espèce d’amalgame entre le travail de propagande venant de Russie avec les usines à trolls et ce que nous pourrions dire au Rassemblement national », poursuit-il.
Laurent Jacobelli en veut pour preuve les résultats aux élections, estimant que les Français qui votent pour le RN ne le font pas pour sa position sur la Russie et l’invasion de l’Ukraine: « On ne convainc pas les Français sur des événements extérieurs mais sur les problèmes d’immigration et l’inflation », assure-t-il.
Pour autant, M. Jacobelli n’a pas caché qu’une victoire de l’extrême droite entraînerait « un changement radical, notamment dans les sanctions imposées à certains pays à cause de leur politique ».
Les patrons des services intérieurs ont été très clairs : il n'y a aucun lien entre le RN et la Russie.
— Laurent Jacobelli Ⓜ️ (@ljacobelli) January 2, 2024
Nos adversaires prétendent le contraire car ils ont peur pour leurs places mais aucune personne de bonne foi ne se fera duper par ces basses manoeuvres. pic.twitter.com/3jZQnoz8Wb
Comment réagit le gouvernement français ?
Dans le camp d’Emmanuel Macron, Renaissance y voit au contraire une preuve de plus que « le RN est bien le porte-parole du Kremlin en France ». Il « joue un rôle prépondérant pour relayer la propagande de Poutine », écrit le parti sur X.
Dans un article paru samedi, le @washingtonpost décrit la stratégie d’influence de Moscou pour renverser le soutien de la France à l’Ukraine.
— Renaissance (@Renaissance) December 31, 2023
Des éléments de langage vous disent quelque chose ? C’est normal.
À dérouler 👇 pic.twitter.com/9nLGDVrhIx
L’accusation est récurrente depuis l’annexion de la Crimée en 2014, après un référendum controversé que Marine Le Pen avait jugé « sans contestation possible », six mois avant de contracter le prêt auprès de la banque tchéco-russe, que son parti a finalement remboursé en septembre dernier. La triple candidate à l’élection présidentielle avait aussi nourri les critiques en rencontrant Vladimir Poutine au Kremlin en 2017, un mois avant le scrutin.
Autant d’éléments retenus par la rapporteure macroniste d’une commission parlementaire qui a qualifié, en juin, le RN de « courroie de transmission » de la Russie, même si le parti a changé de discours depuis l’invasion de l’Ukraine début 2022 et reconnaît que Moscou est « l’agresseur ».
À l’Est, donc rien de nouveau.