Le 27 MAI 1848, la crainte d’une insurrection d’esclaves força le Gouverneur de la Guadeloupe Jean-François Layrle a proclamé l’abolition de l’esclavage. Le décret officiel n’arrivera que le 5 Juin à Basse-Terre. Cette date historique, commémorée chaque année, rappelle à la fois la cruauté du système esclavagiste et l’héroïsme de ceux qui lui résistèrent. Retour sur cet événement majeur de l’Histoire des guadeloupéens !
Entre le XVIe et le XIXe siècle, la Guadeloupe fut le théâtre d’un des chapitres les plus sombres de l’histoire humaine. Les plantations de canne à sucre, moteur de l’économie coloniale, fonctionnaient grâce au labeur forcé de centaines de milliers d’Africains arrachés à leur terre natale. A la différence des îles voisines de la Dominique et de la Martinique, l’archipel guadeloupéen connu deux abolitions. Le premier fut décrété par la Convention en 1794 mais il fut rétabli par Napoléon en 1802 pour être définitivement aboli en 1848.
Pour comprendre l’abolition de l’esclavage, il faut remonter quelques années en arrière. Le 4 mars 1831, sous l’impulsion de la Société morale chrétienne, un courant abolitionniste influent de l’époque, la traite négrière fut interdite dans l’ensemble des colonies françaises. Cette date marqua le début d’une libération de la parole, permettant à de nombreuses voix longtemps étouffées de s’exprimer en faveur de l’abolition totale de l’esclavage en France et dans ses colonies.
Porté par de grandes figures comme l’abbé Grégoire, Alexis de Tocqueville, et plus tard Victor Schoelcher, le combat abolitionniste gagna en force, jusqu’à faire de l’esclavage une pratique jugée profondément immorale et indéfendable. Plusieurs lois furent alors adoptées en faveur des esclaves, parmi lesquelles figurent les lois Mackau.
Votées en 1845, les lois Mackau reprenaient la logique des textes précédents, sans pour autant constituer une rupture claire en faveur de l’abolition de l’esclavage. Elles rendaient obligatoire une durée minimale d’instruction pour les esclaves et limitaient à quinze le nombre de coups de fouet qu’un maître pouvait infliger sans autorisation judiciaire. Par ailleurs, les esclaves mariés mais appartenant à des maîtres différents obtenaient le « droit de réunion », leur permettant de vivre ensemble.
Une première tentative d’abolition fut initiée par le roi Louis-Philippe Ier, qui, par une ordonnance royale, abolit l’esclavage dans les « domaines royaux » de la Guadeloupe et de la Martinique. Cependant, cette mesure resta incomplète et n’alla jamais jusqu’à son plein aboutissement.
Il faudra attendre février 1848, avec l’avènement de la IIᵉ République et le début de l’ère industrielle en France, pour que l’idée d’une abolition totale de l’esclavage s’impose véritablement.
Le 27 avril 1848, le gouvernement provisoire promulgue le décret d’abolition de l’esclavage. Son article premier stipule que « l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles ».
Le 8 mai de la même année, le commissaire général Adolphe Ambroise Alexandre Gatine, membre de la Commission d’abolition de l’esclavage présidée par Victor Schoelcher, embarque à bord de la frégate Le Chaptal avec le décret d’abolition, en direction des Antilles françaises.
Pendant ce temps, en Martinique, l’impatience grandit parmi les esclaves face à la lenteur de l’arrivée du décret. Des révoltes sporadiques éclatent dans plusieurs localités. Le 22 mai 1848, une insurrection majeure embrase la ville de Saint-Pierre. Craignant une généralisation de la rébellion, le gouverneur Claude Rostoland décide de proclamer l’abolition de l’esclavage dès le 23 mai.
En Guadeloupe, le climat est tout aussi tendu. Informé des événements martiniquais, le gouverneur Jean-François Layrle choisit d’anticiper toute flambée sociale. Il proclame officiellement l’abolition de l’esclavage le 27 mai 1848.
Le décret officiel du 27 avril n’arrivera cependant en Guadeloupe, à Basse-Terre, que le 5 juin. Or, si l’on suit le texte à la lettre, l’abolition n’aurait dû entrer en vigueur que deux mois après sa promulgation locale, soit le 5 août 1848.
En raison des délais d’acheminement du décret, l’abolition fut proclamée à Saint-Martin le 28 mai 1848. Quant à Saint-Barthélemy, en raison de son passé colonial sous souveraineté suédoise, l’abolition de l’esclavage y intervint plus tôt : le 9 octobre 1847, soit plusieurs mois avant la promulgation du décret en France.

87 000 esclaves libérés !
L’abolition de l’esclavage concerna plus de 87 000 personnes, sur une population totale d’environ 130 000 habitants en Guadeloupe. L’un des défis majeurs du commissaire général Gatine fut d’organiser la « dénomination » des anciens esclaves, c’est-à-dire l’attribution de patronymes à ceux qui, contrairement aux Blancs (environ 10 000 personnes) et aux affranchis, n’en possédaient pas. L’abolition bouleversa profondément l’équilibre socio-économique de l’île, redéfinissant les rapports de production, les structures sociales, et les identités.
Hormis l’indemnisation des colons, aucune mesure concrète n’est prévue pour accompagner la liberté nouvellement acquise par les anciens esclaves. Aucune réforme agraire ou foncière n’est envisagée, pourtant essentielle pour garantir une véritable autonomie aux hommes et aux femmes désormais libres. Livrés à eux-mêmes, nombre d’entre eux quittent les plantations et les habitations. Face à cette fuite massive de main-d’œuvre, les anciens maîtres se retrouvent désemparés, confrontés à une crise du travail agricole.
Au début des années 1850, la production sucrière, qui fait la fortune des colons, chute environ de moitié. Les planteurs ont besoin de nouveaux travailleurs, de préférence docile. Les tentatives de recrutement de « petits Blancs » venus d’Europe sous contrat échouent.
Privés de main-d’œuvre, les colons se tournèrent alors massivement vers l’Inde, où la France dispose de plusieurs comptoirs. En décembre 1854, le premier contingent d’engagés indiens, environ 300 personnes débarquent en Guadeloupe à bord du navire L’Aurélie. Entre 1854 et 1889, plus de 42 000 travailleurs indiens arrivèrent sur l’île dans le cadre de ce système d’engagisme. Les conditions de vie y sont rudes : travail harassant, mauvais traitements, maladies… Plus de la moitié d’entre eux ne survivront pas à cette nouvelle forme d’exploitation. Quelques milliers, à l’issue de leur contrat, choisiront de retourner en Inde.
177 ans que l’esclavage a été aboli et pourtant, des générations entières de Guadeloupéens et Guadeloupéennes continuent de subir les injustices sociales et même raciales liées à ce crime d’un autre temps. Nous sommes encore loin de l’équité et de l’égalité prônées par la République.

Le programme du jour :
Plusieurs événements marqueront ce 27 mai, journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Cérémonies, hommages, mobilisations : autant de rendez-vous pour faire mémoire.
Déjà ce matin deux gros événements se sont tenus. Le traditionnel relai inter-entreprises réunissant aussi bien celles du privées et les administrations. Au moment, dans la zone pointoise, comme à l’accoutumer, le LKP a réuni à ses côtés la population, pour une marche du souvenir à travers les rues de la ville de Pointe-à-Pitre pour rendre hommage aux ancêtres mais aussi se remémorer les événements de Mai 1967.
À travers des témoignages des proches de ces victimes, l’émotion s’empare du peloton l’espace de quelques minutes. Sur des lieux tels que Baimbridge, le boulevard Legitimus, le CHU ou encore l’ancienne clinique Saint Joseph, ils racontent tour à tour les douloureuses expériences de leurs familles qui se sont tenues dans ces mêmes rues plusieurs décennies auparavant. L’occasion également pour certains d’interpeller l’Etat sur sa gestion de cette commémoration.
Pour le LKP, cette journée de commémoration s’inscrit dans la continuité des grandes dates de la lutte contre la répression et la domination comme 1802, 1967, 2009 et 2021. Une date importante pour maintenir les consciences éveillées.
Seule ombre au tableau pour Elie Domota, le manque de représentation de la jeunesse dans les commémorations du 27 mai.
Une première dans le diocèse de Guadeloupe. Une messe solennelle sera célébrée en hommage aux victimes de l’esclavage. Elle sera présidée par l’évêque Philippe Guiougou, à 18 heures en l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Pointe-à-Pitre et retransmise en direct sur nos ondes avec Marvel.
Dans la journée, le Relais inter-entreprises célébrera sa 25ᵉ édition avec village d’animation et relais symbolique entre équipes.
Le LKP, le Liyannaj Kont Pwofitasyon, mènera son « maché pou sonjé et maché pou lité », à Pointe-à-Pitre, une marche contre l’oubli et les symboles toujours perçus comme héritées de la colonisation.
À Petit-Canal, sur les marches des esclaves, se tiendra une commémoration du 27 mai dans le cadre du festival Mémoire vivante an nou.
A Basse-Terre, cérémonie officielle au fort Delgrès en présence des autorités avec discours et performances artistiques.
Enfin au Moule, hommage aux aïeux victimes de l’esclavage. Inhumé au cimetière de Sainte-Marie et pour la première fois visite officielle dans l’archipel, du 26 au 29 mai, de son excellence Emile Ngoy Kasongo, ambassadeur de la République démocratique du Congo en France. Une venue initiée par le sénateur Dominique Théophile et le président du conseil départemental Guy Losbar.