Affaire des statues en Martinique : la relaxe historique des onze prévenus

La statue de Victor Schœlcher située dans le bourg de Schœlcher a été détruite un 22 Mai par des militants. • JEAN-MARC ETIFIER

L’État voulait faire de ce procès un symbole. Face aux onze militants accusés d’avoir déboulonné les statues de Victor Schoelcher, Joséphine de Beauharnais et Pierre Belin d’Esnambuc en 2020, il espérait une condamnation exemplaire. Mais le tribunal correctionnel de Fort-de-France en a décidé autrement. Ce lundi 17 novembre, la justice a tranché : la majorité des prévenus ont été relaxés, et ceux reconnus coupables ont été dispensés de peine.

C’est ouf de soulagement pour l’ensemble des militants et les Martiniquais. Au terme d’un procès très attendu, le tribunal correctionnel de Fort-de-France a rendu un verdict qui marque un tournant dans l’une des affaires les plus symboliques de ces dernières années en Martinique.

Lundi 17 novembre, la majorité des onze militants, cinq femmes et six hommes, poursuivis pour avoir déboulonné, le 22 mai 2020, les statues de Victor Schoelcher, Joséphine de Beauharnais et Pierre Belain d’Esnambuc, flibustier français qui a pris possession de l’île au détriment des autochtones, habitants originels au nom de la couronne Française, a été relaxée. Pour les deux prévenus reconnus coupables, un femme de 33 ans et un homme de 41 ans, la justice a choisi de prononcer une dispense de peine. Une décision forte, qui résonne bien au-delà des murs du palais de justice.

Ce procès, voulu par l’État comme un moment d’exemplarité judiciaire, s’était transformé, au fil des audiences, en un espace de confrontation entre deux visions de l’histoire. Pour les militants, les statues arrachées ce jour-là n’étaient pas de simples monuments : elles représentaient un récit officiel, figé, qui minimisait la violence de l’esclavage et la persistance de ses héritages. Pour l’accusation, il s’agissait d’actes de destruction de biens publics, intolérables, quel qu’en soit le message.

Les militants étaient également poursuivis pour les déboulonnages des statues de Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoléon Bonaparte originaire de l’île, et de Pierre Belain d’Esnambuc, pionnier de la colonisation française aux Antilles, détruites à Fort-de-France le 26 juillet 2020.

Concernant ces dernières, « les agissements reprochés se sont inscrits dans une action politique ou militante entreprise dans le but d’alerter sur un sujet d’intérêt général », a noté la présidente, évoquant « la présence, dans l’espace public de la Martinique, d’une statuaire commémorative du colonialisme et de l’esclavagisme, crimes contre l’humanité ».

Les accusés ont toujours clamé leur innocence, assurant qu’ils n’étaient pas identifiables sur les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, tout en réaffirmant leur opposition à la présence de ces statues dans l’espace public. À la sortie du palais, accompagnés de leurs soutiens, ils ont salué une décision « juste » et « cohérente », estimant que la justice martiniquaise avait su entendre « la voix d’un peuple en quête de dignité et de vérité ». D’autres y voient un précédent, qui pourrait redéfinir la manière dont la société française aborde ses symboles et son histoire.

Le tribunal a compris que la destruction de ces statues « n’était pas un délit de droit commun », a déclaré Me Alik Labejof-Lordinot, avocat de l’un des militants. « Il ne s’agit pas de délinquants, mais de personnes militantes qui réfléchissent », a-t-il ajouté.

« C’est un raisonnement juridique qui va se hisser à la hauteur de l’histoire », s’est félicité son confrère Me Eddy Arneton. Le procès s’était tenu sur trois jours, du 5 au 7 novembre, le parquet ne requérant pas de peine à son issue.

Ces déboulonnages avaient suscité de vives réactions jusqu’au sommet de l’État, Emmanuel Macron condamnant « avec fermeté » ces actes « qui salissent la mémoire » de Victor Schoelcher.

Quatre ans après les faits, le verdict tombe comme un souffle apaisé dans une affaire où, finalement, les statues n’ont pas été les seules à être renversées. Ce lundi, ce sont aussi les accusations qui se sont effondrées — et, avec elles, une certaine façon d’imposer le récit officiel. La décision de justice, elle, ouvre désormais un espace : celui d’un dialogue possible sur ce que la Martinique souhaite commémorer, transmettre et effacer.

Durant les débats, avocats, historiens, artistes et sociologues s’étaient succédé à la barre, replaçant l’affaire dans le contexte des révoltes mémorielles mondiales de 2020, du mouvement Black Lives Matter et des mobilisations anticolonialistes. Les prévenus, pour la plupart jeunes, avaient défendu l’idée d’un geste politique assumé, destiné à ouvrir un nouveau chapitre du rapport à la mémoire martiniquaise.

Retour sur ces événements historiques :

Pour une mise en contexte. Tout commence en mai 2020, dans le sillage du mouvement mondial Black Lives Matter, né après la mort de George Floyd aux États-Unis. Partout sur la planète, des voix s’élèvent pour dénoncer les symboles de l’esclavage, du colonialisme et du racisme systémique encore présents dans l’espace public.
Aux Antilles françaises, cette onde de choc réveille des revendications déjà anciennes : celle d’une relecture critique du passé colonial français et d’une reconnaissance des souffrances héritées de l’esclavage.

Influencés par les luttes menées en Amérique du Nord que les 22 et 23 mai 2020, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique, deux statues de Victor Schoelcher, figure emblématique de l’abolitionnisme français du XIXe siècle sont déboulonnées à Fort-de-France et à la ville de Schoelcher. Les images sont diffusées sur les réseaux sociaux et elles divisent la société martiniquaise. Entre ceux qui y voyaient un acte de courage et de remise en cause des actions du chantre de l’abolition de l’esclavage mais père de la colonisation française en Afrique et ceux qui n’y ont vu qu’un acte de vandalisme et une atteinte au patrimoine locale et à la mémoire nationale.
Pour les militants à l’origine de ces actes, ces statues ne symbolisent pas la liberté, mais la récupération coloniale de la lutte des esclaves. Ils reprochent à Schoelcher d’incarner une vision paternaliste de l’abolition, qui invisibilise le rôle des insurgés noirs et des marrons dans leur propre libération.

Autant dire que la destruction de ces deux statues, a porté un coup à l’ensemble du  » Roman National », consacré à la question de l’abolition de l’esclavage.

Quatre ans après les faits, le verdict tombe comme un souffle apaisé dans une affaire où, finalement, les statues n’ont pas été les seules à être renversées. Ce lundi, ce sont aussi les accusations qui se sont effondrées — et, avec elles, une certaine façon d’imposer le récit officiel. La décision de justice, elle, ouvre désormais un espace : celui d’un dialogue possible sur ce que la Martinique souhaite commémorer, transmettre et effacer.

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