Claudia Sheinbaum première femme présidente du Mexique, un espoir pour toute une nation.

C’est un jour historique pour l’ensemble du Mexique. En effet, pour la première fois dans son histoire contemporaine et ce depuis la proclamation de son indépendance, le 5e pays le plus grands des Amériques sera dirigé pour les six prochaines années par une femme. Son nom, Claudia Sheinbaum. Véritable star de l’arène politique mexicaine, elle n’est autre que l’héritière idéologique et politique du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador qui quitte ses fonctions avec 66% d’avis favorables. La future presidenta est également membre du parti, le Morena. L’actuel président Obrador a célébré lundi la victoire « historique » de la candidate. « Et que ce soit clair, que ce soit bien entendu et entendu loin, quand mon mandat prendra fin, je me retirerai et je ne participerai à aucune activité publique ou politique », a déclaré le président de gauche lors de son habituelle conférence de presse matinale. 

Les électeurs étaient également appelés à renouveler le Congrès et le Sénat, à choisir les gouverneurs dans neuf des 32 États et à désigner des députés locaux et maires. Outre son triomphe à la présidentielle avec Claudia Sheinbaum, la gauche au pouvoir au Mexique obtient la majorité qualifiée au Congrès.

Le Mouvement pour la régénération nationale (Morena) du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador et ses alliés disposeraient de 346 à 380 sièges sur 500 au Congrès, d’après les projections de l’INE. Au Sénat, ils contrôleraient 76 à 88 sièges sur 128. Au Mexique, la majorité qualifiée des deux tiers permet de modifier la Constitution.

Morena conserve par ailleurs son fief Mexico, mégapole de neuf millions d’habitants, dirigée par Claudia Sheinbaum entre 2018 et 2023, et par le président sortant Andres Manuel Lopez Obrador dans les années 2000. La candidate du parti de gauche, Carla Brugada, obtient entre 49 % et 52 % des voix, d’après les premiers résultats de l’INE. Ainsi, avec la présence du MORENA à toutes les échelles du pouvoir politique, la présidente arrive donc confortée pour diriger ce pays de près de deux millions de km2 à cheval sur trois fuseaux horaires.

Première femme présidente mais du pain sur planche :

La scientifique de 61 ans, représentante du Mouvement de régénération nationale ou Morena a rassemblé entre  58,3% et 60,7% des suffrages, loin devant sa rivale de l’opposition, l’ex-sénatrice de centre droit Xochitl Galvez, créditée de 26 à 28% des voix tandis que le centriste Jorge Alvarez Maynez a obtenu entre 9 et 10% des voix. Loin d’être une novice dans le domaine politique, elle a dirigé la ville de Mexico de 2018 à 2023. A la tête de la capitale fédérale, elle a réussi à faire diminuer la criminalité qui la gangrénait. Sa victoire est un message d’espoir pour un pays habitué à la violence des bandes criminelles mafieuses qui ont infiltré l’ensemble de la société mexicaine mais surtout ce message à une portée symbolique quand on sait que le Mexique est l’un des pays au Monde où le taux de disparitions de femmes est parmi le plus élevé au Monde. Selon l’ONU, dix femmes sont tuées chaque jour au Mexique qui compte 128 millions d’habitants. En 2022, 3 754 femmes ont été assassinées, d’après les chiffres officiels. Au total 947 de ces assassinats ont été qualifiés de féminicides. Selon le registre national du Mexique 99 249 personnes sont portées disparues en 2022, une grande majorité des disparus sont des femmes. Par ailleurs, selon les données de l’ONU et des ONG, au total, 70 % des Mexicaines de plus de 15 ans ont fait l’expérience de la violence au moins une fois dans leur vie, de même source. De plus, on estime que depuis 2006, la guerre contre les cartels entamée par l’ancien Chef de l’état Calderon a fait entre 400 000 et 500 000 morts.

Autant dire qu’une fois la fête terminée, la nouvelle présidente Mexicaine aura de gros dossiers à gérer parmi lesquels, la poursuite des représailles contre les groupes criminels mafieux omniprésents dans la vie des Mexicains mais aussi l’immigration clandestine. Deux épineux dossiers qui rendent les relations avec le puissant voisin états-unien plus que tendues. D’ailleurs, l’élection présidentielle n’a pas été de tout repos. Selon l’AFP, la violence a rattrapé la campagne avec au moins 25 candidats aux élections locales tués dans ce pays miné par le narcotrafic, qui est aussi le premier partenaire commercial des États-Unis. Un candidat a encore été tué vendredi dans l’État de Puebla (centre). Le gouvernement avait fait état de 22 assassinats mardi, avant trois autres par la suite.

La tâche sera donc ardue pour cette petite-fille de juifs ayant fui le nazisme et la misère en Lituanie et en Bulgarie, Claudia Sheinbaum devra aussi relever le défi de la narco-violence. Le pays compte plus de 30.000 homicides par an, environ 80 par jour, dont 75% sont liés à des affrontements entre groupes criminels pour le contrôle des marchés locaux de la drogue. Au moins 25 candidats ont été assassinés pendant la campagne.

CLAUDIO CRUZ/AFP via Getty Images
« Zéro impunité » face à la violence des narcos :

Claudia Sheinbaum hérite d’un Mexique qui se relève économiquement mais toujours en proie à des problèmes systémiques. En premier lieu, la violence liée au narcotrafic, sans solution en vue, avec une économie informelle partout présente. 

L’économie mexicaine se porte plutôt bien, mais la lutte contre les cartels de la drogue reste la priorité des différents gouvernements de gauche comme de droite conservatrice pour le pouvoir mexicain, ceux-ci étant présents dans tous les pans de la société. Et Claudia Sheinbaum a un plan : s’attaquer aux causes de la violence (exclusion des jeunes, recrutés par les cartels), « consolidation de la Garde nationale« , renseignement et enquêtes, « coordination » entre « les différents pouvoirs et niveaux de gouvernement » et « zéro impunité ».

L’ex-maire de Mexico veut transposer au niveau national cette méthode qui lui a permis de réduire la criminalité de 47% dans la capitale entre 2018 et 2023, d’après des chiffres officiels. Un vrai défi, car pendant la même période, la violence dans le pays n’a fait que progresser, malgré le renforcement de la militarisation avec une Garde nationale forte de 130.000 hommes.

Le pari est grand mais pas impossible si on prend l’exemple de la Colombie, jadis minée par les Cartels de la drogue mais qui a su diminuer leur influence sur la scène politique et sociale. Pour y parvenir, la future Cheffe de l’Etat Mexicain devra corriger un déficit élevé, évalué à 5,9% tout en continuant les aides directes que reçoivent 25 millions de Mexicains. De plus, une réforme fiscale est nécessaire pour favoriser l’implantation de nouvelles entreprises étrangères et permettre le retour des entreprises états-uniennes le long de sa frontière nord avec les Etats-Unis. Pour rappel, elles ont été nombreuses à être parties lors du premier mandat de Donald Trump. Mais cela demande aussi des investissements notamment dans le réseau électrique, l’eau et les infrastructures routières qui font défaut dans certaines zones très pauvres qui partagent une frontière avec les USA. C’est dans ces régions que ce sont enracinés les puissants cartels.

La candidate et héritière du président Obrador souhaite s’inscrire dans la continuité des grandes avancées sociales opérées sous le mandat de son mentor. Il est vrai que le Mexique renoue avec une stabilité économique qui a permis à Andrés Manuel López Obrador de lancer ses politiques sociales, comme l’augmentation du salaire minimum ou encore la retraite universelle, pour tous à 65 ans, mais encore trop peu élevée. Mais Claudia Sheinbaum entend aller plus loin, élargir ce droit aux femmes de 60 à 65 ans. Elle veut aussi aller plus loin notamment dans la santé, handicapée par le secteur informel.

Bernard Duterme  sociologue et directeur du Centre tricontinental.

Le défi géopolitique et l’accroissement des tensions avec les Etats-Unis :

Toutefois, elle est attendue sur la scène internationale avec un Mexique qui pèse de plus en plus de son poids sur l’échiquier géopolitique. Elle devra faire une véritable numérique d’équilibriste entre nouer, renforcer et diversifier ses partenariats internationaux notamment avec ceux des BRICS ( Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud et plus récemment l’Ethiopie) mais surtout conserver de bons rapports avec Washington qui accuse les différents gouvernements mexicains de complaisance avec les organisations criminelles. Actuellement, les Etats-Unis ainsi que le Canada connaissent une véritable épidémie de Fentanyl dont les doses sont produites soit en Chine pour être transportées vers le Mexique soit elle est produite sur place par les groupes mafieux avant d’atteindre les deux pays nord-américains.

Le Mexique a pour sa part déposé deux plaintes aux États-Unis contre des fabricants d’armes américains, qu’il accuse d’être responsables de tueries sur son territoire car oui, le Mexique n’est pas un pays fabriquant d’armes et pourtant, les armes, sont originaires pour la grande majorité d’entre elles, des USA. D’autre part, les deux pays sont confrontés au défi de l’immigration clandestine qui bat des records, avec 2,4 millions d’arrestations côté américain en 2023, d’après les autorités américaines. Stephanie Brewer, directrice Mexique du bureau de Washington sur l’Amérique latine (WOLA), suggère que Mme Sheinbaum puisse « briser ce cycle et mettre au centre (de son action) la protection des personnes », en donnant la priorité à la lutte contre la violence et l’extorsion envers les migrants. A peine élue, lors de son discours, elle a tenu à être rassurante et claire sur sa relation « amicale  » avec Washington :

Claudia Sheinbaum présidente élue du Mexique.

Cependant, l’incertitude est grande quant à quel interlocuteur elle aura en face d’elle car en novembre prochain, les électeurs états-uniens sont appelés à voter et nul ne sait qui de Joe Biden ou de Donald Trump remportera le suffrage pour s’installer dans le Bureau Ovale. Donald Trump a déjà annoncé la couleur de ce que sera sa relation avec le Mexique. En effet, s’il est élu, la révision du traité commercial qui lie les deux pays et le Canada risque d’être difficile. Et les sujets migration, lutte contre le trafic de drogue et d’armes rendent cette relation bilatérale dense et complexe. Donald Trump va renégocier de façon dure le traité libre-échange, même si, comme dit le sociologue Bernard Duterme à la RTBF :

Bernard Duterme.

On sait aussi que sur la question de l’immigration clandestine, Donald Trump s’il revient à la Maison Blanche abordera ou disons-le, imposera sa vision sur ce dossier qui créé des tentions diplomatiques entre les deux nations. Comme nous l’évoquions, ce sont pas moins de deux millions de migrants arrivant par le Guatemala qui pénètrent le territoire Mexicain pour tenter le rêve américain en traversant la dangereuse frontière. Lors de son premier mandat, Trump avait commencé l’érection d’un mur sur l’ensemble de la frontière avec le Mexique. En pleine campagne, il a déjà annoncé qu’il poursuivrait sa construction et se dit aussi près à intervenir militairement sur la frontière sud afin de combattre les cartels de la drogue.

Une chose est sure, le mandat de Claudia Sheinbaum risque de ne pas être de tout repos.