Le 24 décembre 1854, arrivaient les premiers engagés indiens en Guadeloupe.

Le 24 Décembre est synonyme de fête pour les chrétiens du monde entier, mais en Guadeloupe, le 24 Décembre est avant tout un jour spécial pour les descendants d’engagés, ces travailleurs hindous envoyés dans l’archipel guadeloupéen, pour remplacer les esclaves africains devenus « Libres ». Longtemps rayés, aujourd’hui les Indo-Guadeloupéens sont des citoyens à part entière et ils sont désormais des entrepreneurs prospères.

Nul ne peut ignorer que la Guadeloupe et ses dépendances sont un carrefour de peuples arrivés par les méandres de l’histoire. De façon claire, la Guadeloupe est une nation ( en construction) arc-en-ciel, à l’image d’autres territoires du continent américain. Parmi toutes ces composantes ethniques, il y a les indiens. Non pas les amérindiens mais bien une population dont les origines proviennent directement du sous-continent indien naguère sous domination britannique.

Ainsi, la Guadeloupe fait partie de ces quelques territoires ( comme Trinidad & Tobago, le Guyana, le Surinam, Maurice, l’Île de la Réunion, la Martinique et la Guyane-Française) qui ont accueilli à la fin de l’esclavage, des travailleurs  » engagés » originaires pour un grand nombre venant du sud l’Inde.

Néanmoins, leur installation sur cette terre qui est désormais la leur, n’a pas été facile. Entre les conditions de travail épuisantes, le non-respect de leur droit, le racisme, les violences exercées à la fois par les patrons généralement béké et les anciens esclaves, les indiens de Guadeloupe ont dû batailler fermement pour se faire une place sous cette latitude.

Longtemps rayés, aujourd’hui les Indo-Guadeloupéens sont des citoyens à part entière et ils sont désormais des entrepreneurs prospères.

Une histoire de la présence indienne en Guadeloupe :

Le 24 Décembre 1854, après plusieurs semaines de mer agitée, l’Aurélie ancien négrier, mouille à la Darse. L’équipage du voilier débarque une étrange cargaison : trois cent quarante-quatre hommes et femmes. On rapporte que les hommes sont plutôt petits, à la peau sombre, aux cheveux souples. On dit des femmes, qu’elles sont belles, que leurs cheveux sont longs, et qu’elles portent d’étranges « robes » aux couleurs vives qui couvrent leur tête. On dit aussi, qu’elles sont parées de nombreux bijoux en or, qui les embellissent. Ces étrangers sont différents des populations qui peuplent la Guadeloupe de l’époque. Ils ne parlent pas le français, et ne comprennent pas le créole, leur langue est étrange. Personne ne les comprend, mais qui sont-ils ? A la différence de la population créole noire venue en tant qu’esclave, eux, ne sont pas enchaînés, ils sont même libres. Les « blancs, les appellent les « engagés » ou « 36 mois ».

Pour comprendre qui sont ces personnes, il est impératif de comprendre l’histoire. En cette période post-esclavagiste, soit six ans après l’abolition de l’esclavage, les planteurs des Antilles manquent cruellement de main d’œuvre. Les noirs, anciens esclaves, refusent de retourner sur les plantations. En même temps, après plusieurs siècles d’esclavage et de mauvais traitements, il est normal qu’une fois la liberté acquise, ces derniers refusent de travailler dans de mauvaises conditions. Afin de palier à ce manque de main d’œuvre, les propriétaires terrains, constitués en « lobby » demandèrent au gouvernement basé à Paris une solution. Dans un premier temps, on fit venir des travailleurs libres sous contrat, notamment des Africains, nommés du nom générique de «Congo». Mais cette tentative n’a pas donné aux planteurs les résultats escomptés. Alors, ceux-ci se tournèrent vers l’Asie. Il y a eu des immigrants chinois, vietnamiens ou japonais, mais les plantations sucrières manquaient toujours de main d’œuvre. Une solution fut trouvée : L’Inde et ses millions d’habitants.

En Inde, des agents spécialisés dans l’engagement des futurs déportés indiens, se chargent de trouver des travailleurs à convaincre. Ils se heurtent rapidement à un obstacle culturel chez la communauté hindoue pour qui l’Océan est un espace tabou (Kala Pani) et qui refusent d’embarquer sur les bateaux. Pour résoudre ce problème, les colonies sont décrites comme idylliques où il est facile de faire fortune. De réels eldorados.

Sur toute la durée du recrutement, ils réussiront à convaincre plus de 150 000 Indiens.

A l’époque, la France possédait en Inde des «comptoirs», qui resteront dans son giron jusqu’en 1939. Ces comptoirs lui ont facilité le recrutement et l’organisation de l’émigration des travailleurs indiens vers les Antilles françaises. La France n’était pas le premier pays a avoir recours aux « engagés » Hindous, le Royaume-Uni, principal pays colonisateur du sous-continent indien, envoyait régulièrement des travailleurs vers ces possessions de la Caraïbe, notamment à Trinidad et Tobago où l’envoie d’hindou dura de 1838 à 1917, l’esclavage ayant été aboli dans les Iles britanniques en 1834.

Ces travailleurs indiens libres, sous contrat, laissaient les côtes de l’Inde à partir de ports de Madras, de Pondichéry, de Bombay (Mumbay), vers une destin qu’ils redoutaient mais qu’ils devaient affronter. Embarqués sur des voiliers en bois de 1000 tonnes, jusqu’en 1880 puis sur des navires à vapeur en fer de 1500 à 2000 tonnes. Ces navires à vapeur permirent de réduire de moitié le temps de la traversée, surtout après la percée du canal de Suez. La distance de Pondichéry à la Guadeloupe, par exemple, fut réduite d’une centaine de jours à une quarantaine. Une fois à bord, les engagés étaient à la merci de l’équipage et de son capitaine. Trop nombreux sur ces navires, ils étaient sujets à toutes sortes de maladies. Si la grippe, la dysenterie et autres maladies pulmonaires les terrassaient, le choléra, lui, plus fréquent était beaucoup plus mortel. Malades, les hommes étaient jetés par-dessus bord. Mais il n’y a pas eu que les épidémies à bord. Les naufrages pouvaient, eux aussi, décimer tous les individus d’un convoi.

A bord, les hommes seuls étaient séparés des femmes seules et entre les deux les couples mariés sans enfant étaient séparés de ceux qui avaient des enfants. Sur ces navires, un médecin embarqué, veillait à la santé des travailleurs et au respect mutuel entre marins et hindous, mais, les révoltes étaient courantes, sans oublier les sévices très fréquents. De nombreux viols étaient commis par les marins, attirés par la beauté de ces femmes. En somme, les « engagés » connurent le même sort que les esclaves noirs venus d’Afrique.

Ce sont pas moins de cinq cent mille personnes qui ont ainsi été transportées de l’Inde vers les Iles de la Caraïbe avec 21 805 en Guadeloupe et 13 653 en Martinique.

La vie dans les îles :

Ces travailleurs indiens étaient employés dans les plantations comme travailleurs libres. Toutefois, leurs conditions de vie étaient plutôt des conditions de semi-liberté pas très éloignées des conditions de l’esclavage. Ainsi, ils étaient envoyés dans les champs, pour accomplir les pénibles tâches que les créoles noirs refusaient désormais de faire. Ils s’occupaient de l’entretien des plantations de cannes, des troupeaux de bovins notamment des taureaux qui tiraient sous joug (de trait) le cabouèt (cabrouet, la charrette) de canne à l’usine. Les femmes,elles, assuraient les services ménagers chez les planteurs blancs. La plupart de ces immigrés habitaient sur les habitations et vivaient dans des conditions d’hygiène inhumaines.

Ils commençaient à travailler le matin, de 4H30 à 12H et l’après-midi, de 13H30 à 18H30. A ce rythme, ils n’avaient même pas le temps de préparer le repas de midi. Ces hommes et femmes devaient aller, après le travail, couper de l’herbe et apporter des paquets de fourrage pour les bestiaux de l’habitation. Pour l’occasion, ils recevaient une portion de nourriture insuffisante à leurs besoins. Elle se composait de racines, de féculents et de poisson salé, mais pas de viande ni d’huile et autres condiments et encore moins de lait.

Concernant, la paye, ils recevaient leurs salaires avec beaucoup de retard (2 à 3 mois). Certains colons les obligeaient à travailler jour et nuit. Les dimanches et jours de fête, ils devaient travailler jusqu’à midi. Celui qui se plaignait était mis en prison.. Et si par malchance il devait être hospitalisé (sur l’habitation), il devait balayer les alentours du bâtiment, enlever le fumier des écuries. Nombreux sont ceux qui rompaient les contrats, fuyaient les habitations pour se réfugier dans des zones innacessibles. Dans un rapport daté de 1888, on dénombrait, 482 Indiens en rupture de contrat en Guadeloupe sur 42 326 travailleurs indiens présents de 1854 à 1888.

Les planteurs devaient compter sur la main d’œuvre restée sur l’île. Nombreux sont les colons de l’époque qui ont fait pression sur leur « ouvriers » et leurs familles pour qu’ils se retournent dans les plantations, mais rapidement les hindous se sont révoltés. Ils se sont constitués en syndicat. C’est sans compter, sous la pression du Royaume-Uni, informé des mauvais traitements de ses sujets dans les îles françaises, plus la crise économique de 1880 que l’envoi massif d’engagés vers les Antilles-Françaises s’est arrêté définitivement.

Cette pénurie de main d’œuvre a vite tourné à l’avantage des travailleurs indiens. C’est ainsi que de nombreuses primes, même cumulables, leur ont été offertes. Des primes venant du Conseil général, mais aussi de fortes primes versées par les planteurs eux-mêmes. De plus les planteurs tentaient de retenir les Indiens sur les habitations comme travailleurs libres. Aussi, on les encourageait à résider sur ou à proximité de l’habitation, en leur offrant une case et un lopin de terre pour cultiver. En échange, ils devaient fournir des journées de travail sur les habitations.

De parias à citoyens Français :

Les années passaient et les hindous étaient toujours mis de côté par l’administration coloniale française, mais aussi par la population guadeloupéenne. Leur intégration, comme leur arrivée dans les îles fut difficile.

Maltraités, sous payés par leurs employeurs, les engagés étaient aussi discriminés, en raison de leur statut social. On les appelaient «coolies» terme venant du mot «kuli» dans la langue hindoustani et signifiant laboureur loué à la journée. C’était le nom donné autrefois aux Hindous, aux Chinois et autres Asiatiques qui s’engageaient moyennant salaire pour aller travailler dans une colonie, il a aussi été utilisé pour dénommer l’indigène engagé en Indochine pour porter les bagages et le matériel de l’armée ou pour effectuer tous les travaux pénibles. De mémoire de grand-mère, les enfants créoles noirs, pour se moquer de leurs camarades hindous, chantaient régulièrement « Coolie Malaba ka manjé rat san sèl a Katrè maten ». Une réelle volonté d’intégration s’affirmait chez les engagés et leurs enfants nés dans les îles. Certains n’hésitaient pas à changer de nom, d’autres décidaient d’amputer leur nom à consonnance hindou. Le reste, prenait le nom de leur patron, ou se mariait avec des femmes noires. Il s’agissait pour eux d’être reconnus comme guadeloupéens, par le reste de la population.

Niveau juridique, les hindous n’avaient aucun statut. Ils n’avaient pas le droit de vote ou de jouir de leur droit. Si aujourd’hui, les descendants d’engagés sont des citoyens de pleins droit, c’est grâce au combat d’un homme : Henry Sidambarom (1853-1952), descendant d’hindou, né à Capesterre-Belle-Eau en Guadeloupe. Henry Sidambarom était le premier hindou a entré en politique dans cette Guadeloupe post-esclavagiste. C’est en 1884, alors qu’il est employé au bureau central de l’immigration indienne à Basse-Terre, qu’il entame la lutte pour l’émancipation des travailleurs originaires de l’Inde, victimes de discrimination. En 1897, il est élu conseiller municipal de Capesterre-Belle-Eau. En janvier 1904, il se fait inscrire sur la liste électorale pour les municipalités et inscrit des indiens sur cette liste. C’est une première dans l’île, mais le gouverneur de l’époque, M. le Vicomte de la Loyère conteste cette liste électorale. De son engagement s’ensuivront la prison et un long procès qui dura près de vingt ans (de février 1904 à avril 1923).

Henry Sidambarom mena un combat acharné contre l’Administration coloniale, contre l’injustice que subissait les hindous de Guadeloupe. Il voulait obtenir les droits électoraux et les obligations du service militaire pour les fils d’Indiens nés à la Guadeloupe de la première génération. Ce qui en ferait automatiquement des citoyens français. C’est sous décision du Président Raymond Poincaré, qu’en 1923, Henry Sidambarom eu gain de cause. Les hindous, engagés ou descendants d’engagés devinrent des citoyens français à part entière.

L’intégration des hindous de Guadeloupe, est un franc-succès. Soucieux d’honorer leur nouvelle terre d’accueil, malgré les difficultés qu’ils ont connus, les descendants d’engagés se sont battus pour devenir guadeloupéens. Depuis, ils continuent de maintenir les traditions ancestrales, ce qui a permis à la culture guadeloupéenne de s’enrichir fortement. Aujourd’hui, nombreux sont les Indo-Guadeloupéens à être de riches entrepreneurs, ou de riches propriétaires terriens prenant ainsi, une part active à l’essor économique de l’archipel.

Depuis 2005, les Guadeloupéens d’origine indienne, rendent hommage à leurs ancêtres venus sur cette terre de Guadeloupe qui est désormais la leur ! Retour en image sur cette commémoration qui est la dernière donnée à la Darse, car, le monument du premier jour sera délocalisé vers l’esplanade située du côté du Mémorial Acte. Un transfert souhaité depuis plusieurs années par les membres du comité du premier jour. 

(2 commentaires)

  1. Pouvons-nous utiliser votre reportzge sur you tube pour unr emission sur Gpe 1ere, en citant sa provenance?

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