Avec la loi sur la discrimination capillaire, la France entrera enfin dans le XXIe siècle.

Fini le temps des moqueries sur les roux, les chauves, les locks, les tresses et autres coiffures pour les cheveux crépus. L’Assemblée nationale a voté jeudi en première lecture à une proposition de loi visant à sanctionner la « discrimination capillaire », notamment au travail. Malgré des réserves sur l’utilité de cette initiative, cette loi est une véritable bouffée d’oxygène pour celles et ceux qui l’ont subi.

Que l’on soit né sur le territoire hexagonal ou que l’on vienne d’autres horizons ultramarins, nous avons tous été, un jour au moins voire quasi quotidiennement, au centre de blagues ou de moqueries. « Qu’est-ce qu’un roux sur un vélo ? Le roux de secours. Pourquoi ne faut-il pas contrarier les roux ? Il faut se méfier de l’attaque du grand rouquin blanc! Quelle est la différence entre une blonde et un miroir ? Le miroir il réfléchit au moins. Que fait une blonde quand on lui donne un éventail ? Elle remue la tête ! Pourquoi les Noirs mangent toujours du chocolat blanc ? Pour ne pas se manger les doigts. «  Tant de « plaisanterie existent pour illustrer ce dont nous allons parler.

A ces blagues se rajoutent des actes que l’on pourrait qualifier de racistes ou du moins avec un élan raciste. Des gestes basés bien malheureusement sur des stéréotypes. Toutes les personnes racisées, rousses ou blondes, qui liront notre article se sentiront concerner. Si ce n’est pas par verbalisation certains(es) ont envie de toucher la texture de tes cheveux sans demander la permission juste pour faire des blagues sur leur aspect cotonneux, sec et crépus.

Il est vrai qu’en France, les statistiques basées sur l’ethnie sont interdites, le phénomène ne peut donc pas être quantifié. Mais la discrimination capillaire a déjà été médiatisée. On peut parler des moqueries autour de l ‘image de Christiane Taubira, du temps où elle était Garde des Sceaux, ou encore comme en 2019 lorsque Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement, avait été vivement critiquée pour son afro ou encore, comme Eve Gilles, Miss France 2024, première Miss a porté les cheveux, ou encore Audrey Pulvar, adjointe à la Maire de Paris quand elle était réapparue avec ses cheveux naturellement crépus ou quand l’influenceuse aux millions d’abonnés, Léna Situation avait osé l’affro. Bien d’autres exemples de personnalités publiques sont légion et nous touchent personnellement.

La discrimination capillaire est aussi perceptible au moment de trouver un stage ou son premier emploi après une formation et des études supérieures. On ne le vous dira pas clairement mais vous constaterez que malgré un CV solide, si vous êtes roux, chauve, porteur de dreadlocks ou d’un afro, vous avez moins de chance d’accéder à l’emploi de vos rêves que l’européen lambda. Pourtant, en France, les discriminations reposant sur l’apparence physique sont en principe proscrites et condamnables. En théorie. En 2024, elles perdurent encore et toujours plus. Pardon mais, n’oublions pas les roux et les blondes qui vivent aussi un vrai calvaire du fait de leur apparence.

Comme l’explique Olivier Serva, auteur de la récente loi contre cette discrimination, qui a été validée à l’Assemblée Nationale «En France, la discrimination reposant sur l’apparence physique est déjà punie en théorie. Mais de la théorie à la réalité il y a un gouffre. Mais de la théorie à la réalité il y a un gouffre. les femmes noires qui se sentent obligées de se lisser les cheveux avant un entretien d’embauche, les personnes rousses, victimes de nombreux préjugés négatifs. ou les «hommes chauves.»

A travers ce texte de Loi, le député de Guadeloupe impose textuellement la discrimination capillaire à la liste des discriminations passibles de sanctions pénales. L’objectif est d’empêcher des employeurs de contraindre leurs salariés à lisser leurs coupes afro, ou à cacher leurs tresses et dreadlocks. Une loi qui fera grand bien à des millions de travailleurs ou stagiaires dans toute la France y compris dans les Outremers. Une affaire notamment revient, c’est celle de ce steward d’Air France mis à pieds par la compagnie pour avoir porter des tresses. L’employé a dû porter une perruque jusqu’en 2007, avant de saisir la juridiction prud’homale en 2012. La même année, il sera mis à pied par Air France pour « présentation non conforme aux règles de port de l’uniforme.

Finalement, l’homme en conflit avec son employeur depuis plus d’une décennie, a remporté son procès en Cours de Cassation. Ainsi, la plus haute juridiction nationale a été claire, Le code du travail interdit de licencier ou de sanctionner un salarié pour des motifs discriminatoires tels que le sexe. Toutefois, il autorise des différences de traitement lorsqu’elles répondent à des exigences professionnelles essentielles et déterminantes. L’objectif recherché par l’employeur doit alors être légitime et les exigences imposées aux salariés proportionnées.

Dans sa décision finale, la Cours de Cassation a été sans appel, «la différence de traitement qui consiste à autoriser les femmes à porter des tresses africaines attachées en chignon mais à l’interdire aux hommes est uniquement fondée sur le sexe du salarié : elle n’est justifiée par aucune exigence essentielle et déterminante propre à l’exercice de la profession de steward. D’une part, c’est l’uniforme qui permet aux clients d’identifier le personnel navigant. Contrairement à un chapeau, dont le port peut être imposé et qui contribue à cette identification, la manière de se coiffer n’est ni une partie de l’uniforme ni son prolongement.

D’autre part, les codes sociaux ne sont pas des critères objectifs qui justifient une différence de traitement entre les hommes et les femmes. La prise en compte d’une perception sociale courante de l’apparence physique des genres masculin et féminin n’est pas une exigence objective nécessaire à l’exercice des fonctions de steward. Dans le cadre de cette profession, il n’est donc pas possible d’interdire aux hommes une coiffure autorisée aux femmes. «  La Cours a donc cassé le verdict de la Cours d’Appel.  » Une décision qui fera jurisprudence désormais car il y a de très nombreux cas de la sorte.

Fini donc le temps des moqueries sur les roux, les chauves, les locks et les cheveux crépus. Quand elle sera adoptée en dernière lecture, au Sénat, ce sera une véritable bouffée d’oxygène pour celles et ceux qui l’ont subi.

La gauche a soutenu ce texte. C’est un problème «réel, sérieux et politique», qui «touche principalement les femmes» et les «personnes racisées», a souligné l’Insoumise Danièle Obono, dénonçant tout comme l’écologiste Sabrina Sebaihi un «racisme systémique». Toutefois, à Droite, le texte de loi est vu comme dérisoire et divise. Pour les élus de droite d’autres problèmes plus urgents sont à régler comme le souligne le député Les Républicains Xavier Breton qui a dénoncé une «idéologie militante», des «propos qui ne visent qu’à fracturer notre société». Il a combattu la proposition de loi, «du droit bavard», «une fuite en avant» vers une «liste de discriminations» au risque d’établir «une hiérarchie». À l’extrême droite, le RN Philippe Schreck a appelé à ne «pas moquer ou railler» cette proposition de loi, mais s’est interrogé. «Est-ce que nous nous occupons des problèmes quotidiens des Français», dans un pays «quasi en faillite»? «Il serait bon rapidement de passer à autre chose», a-t-il réclamé.

Olivier Serva et ses conseillers se sont inspirés d’une Loi Californienne du nom du Crown Act promulguée en 2019, contre la discrimination capillaire. Oui, même aux Etats-Unis, pays qui a vu naître le Mouvement des Droits Civiques porté par de grandes figures comme Martin Luther King, Malcom X, il y a des discriminations capillaires. Au pays de l’oncle Sam, des exemples de discrimination ont conduit au Crown Act : comme en 1975, une certaine Beverly Jenkins a déposé une plainte pour discrimination raciale contre son employeur, Blue Cross Mutual Hospital Insurance, après avoir appris qu’elle “ne pourrait jamais représenter l’entreprise” à cause de son Afro. Cet acte a jugé qu’il y avait bien de la discrimination sur le lieu de travail sur la base de la “coiffure afro” d’un employé noir ce constitue une discrimination raciale illégale en vertu du titre VII de la loi sur les droits civils de 1964. Depuis la décision Jenkins, les tribunaux fédéraux états-uniens ont fait la distinction entre la texture des cheveux et la discrimination en matière de coiffure menant à la Loi Equal Employment. v. Catastrophe Management Solutions. Néanmoins des discriminations existent toujours.

Selon Madame Lefigaro, en 2020, une étude de la Duke University révélait que les femmes noires qui laissent leurs cheveux au naturel étaient moins susceptibles de décrocher un entretien d’embauche que si elles les lissaient. Un an avant, ce sont ces raisons qui ont incité la Californie à adopter le Crown Act, et devenir ainsi le premier État américain à bannir toute forme de discrimination capillaire. Il fallait donc une Loi pour proscrire ces actes. Crown qui veut dire couronne en anglais est ici l’acronyme de «Creating a Respectful and Open World for Naturel Hair» qui se traduit par : «Créer un monde respectueux et ouvert pour les cheveux naturels»Depuis, treize autres États ont adopté le texte. On parle donc de la Californie, au Colorado, au Connecticut, au Delaware, en Illinois, en Louisiane, au Maine, au Massachusetts, au Maryland, au Nebraska, au Nevada, au New Jersey, au Nouveau-Mexique, à New York, en Oregon, au Tennessee, en Virginie, à Washington, les Îles vierges( USVI) et plus récemment l’Illinois. Cependant, au niveau fédéral, la Loi CROWN n’a pas encore été votée. En effet, elle a été adoptée par la Chambre avec un soutien bipartite pourtant jusqu’à ce jour, en milieu de travail, ces normes de « professionnalisme » entourant la texture des cheveux et la coiffure peuvent ériger une barrière trompeuse aux possibilités d’emploi pour les candidats qui viennent d’horizons divers.

Le président Joe Biden a annoncé son soutien au projet de cette loi, qui visait à interdire aux employeurs, aux agences pour l’emploi et aux organisations syndicales de discriminer les employés actuels ou potentiels en fonction de la texture ou de la coiffure des cheveux.

Vous l’aurez compris, la fin du combat contre les discriminations de toutes sortes est encore loin mais quand la loi sera votée au Sénat, la France entrera un peu plus dans le XXIe siècle, siècle du tout monde.