En Haïti, Ariel Henry démissionne par soucis d’apaisement mais après ?

Depuis deux semaines, la violence des gangs qui consume déjà Haïti depuis des années a pris une dimension dramatique. Les gangs longtemps divisés et qui s’affrontaient se sont unis autour du chef criminel Barbecue et ils menaçaient de prendre les armes pour conduire le pays à la guerre civile si le Premier Ministre Ariel ne démissionnait pas. Face à cette situation intenable, Ariel Henry a décidé de démissionner pour apaiser la situation mais rien ne dit que tout va entrer dans l’ordre.

Haïti plonge de plus en plus dans l’insécurité et la violence des gangs fait trembler le pouvoir en place. En effet, la première République noire peine à sortir des crises qu’elle a dû traversé tout au long de son histoire surtout depuis le tremblement de terre de 2010. Une violence qui s’est exacerbée après le meurtre du président Jovenel Moïse. Entre pauvreté grandissante, économie entravée, instabilité et violence politique, depuis trois ans, la violence orchestrée par les bandes armées qui se disputent le territoire de Port-au-Prince, fait craindre le pire.

Des bandes criminelles qui volent, pillent, violent et tuent quiconque se trouvant sur leur chemin. On sait que ces groupes criminels contrôlent environ 80% de la capitale haïtienne et les crimes violents sont fréquents. Comme pour revendiquer leur pouvoir et surtout leur emprise sur la société haïtienne, les gangs n’hésitent pas à se filmer entrain de torturer, tuer ou violer leurs victimes et poster le tout sur le darkweb. Face à eux, une police mal équipée, mal entrainée, en sous-effectifs et corrompue. À peine 3.500 policiers sont en service de sécurité publique à tout moment, dans tout le pays. Entre-temps, le recrutement de nouveaux policiers a été interrompu en raison de la détérioration des contraintes sécuritaires et logistiques.

Abandonnée et première victime de la violence armée, la population a décidé, à sa façon de réagir. Et là aussi elle use de la violence pour se protéger avec la méthode du  » Bwa Kale », expression qui peut être traduite en français par phallus tumescent. Il s’agit d’un slogan en vogue depuis quelques mois. Il sous-entend contre-attaquer des présumés brigands ou politiciens jugés véreux. Il se prononce: bois calé. De plus, ce fut le fameux slogan utilisé l’année dernière dans les manifestations antigouvernementales. Toutefois, il s’agit tout simplement de lynchage et d’exécutions publiques. Les criminels ou du moins ceux suspectés de l’être sont tués de façon horrible. Ceux-ci reçoivent de grosses pierres, des morceaux de bois et de fer en pleine tête et sur tout le corps. Une fois, à terre ils les recouvrent de pneus enflammés. D’autres fois, ils sont tués à la machette.

Les deux semaines où tout à basculer :

Depuis deux semaines, la violence des gangs qui consumait déjà la République des Caraïbes depuis des années a pris une dimension dramatique. L’attaque de deux prisons par des gangs a permis l’évasion de quatre mille criminels, y compris ceux accusés du meurtre de l’ancien chef d’état. Ces groupes que l’on pourrait qualifier de terroristes ont depuis pris le contrôle de la capitale, Port-au-Prince, pour la plonger dans le chaos. Dès lors, les affrontements armés violents entre membres de la PNH appuyés de la faible armée haïtienne et les bandes armées criminelles unifiées autour de Jimmy Cherizier aka Barbecue ont fait de Port-au-Prince, ancien policier et devenue une figure centrale dans ce jeux de pouvoir malsaint, font de la capitale la plus dangereuse au Monde alors qu’officiellement, Haïti n’est pas un pays en guerre. D’ailleurs, le chien de guerre qu’est Barbecue ( surnom qui lui a été attribué parce qu’il brule vivant ses victimes) s’impose peu à peu dans le schéma politique haïtien. A la tête de plusieurs dizaine de milliers de criminels, il menaçait (encore aujourd’hui) de conduire le pays à la Guerre civile et même jusqu’au génocide si le premier ministre ne démissionnait pas.

Ces milices s’en prennent à des sites stratégiques comme le palais présidentiel, des commissariats et des prisons. Dans la capitale haïtienne, les administrations et les écoles sont fermées du fait des violences entre policiers et bandes armées, qui se sont intensifiées lors du week-end du 9 mars. Des hôpitaux ont été pris d’assaut par les combattants aguerris sous les ordres de Barbecue et des équipes médicales ont dû fuir avec des patients – y compris des nouveau-nés – selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Depuis le 29 février, plus de 160 000 civils ont été déplacés dans la région de Port-au-Prince, d’après l’OIM. Les gangs sont même allés attaquer l’aéroport et le port, paralysant l’acheminement de denrées vitales pour la population, faisant craindre une crise alimentaire et même un début de famine.

Face à une telle situation d’anomie, la semaine dernière, les autorités haïtiennes, ont décrété l’état d’urgence assorti d’un couvre feu dans le département de l’Ouest, qui comprend la capitale, mais elles ne contrôlent pas entièrement ce territoire. Ce couvre-feu a été prolongé lundi jusqu’au 14 mars (soit demain jeudi) Les forces de sécurité haïtiennes ont pu reprendre le contrôle du port de Port-au-Prince après des affrontements avec les gangs durant le week-end dernier.

La quasi totalité des ambassades occidentales, France, Allemagne, Canada, Union Européenne ont fermé et leurs personnels ont été évacués.  Les Etats-Unis ont de leur côté évacué leur personnel diplomatique non essentiel dans la nuit de samedi à dimanche, a fait savoir l’ambassade américaine et ce sont les effectifs de l’armée américaine qui protèges les sites officiels des USA. Du côté de la France, pareil, pour la confidence, des hommes du GIGN, ( on se dit même que des hommes du groupe Alpha de la DGSE) habitués aux milieux hostiles sont positionnés pour protéger les intérêts français sur place.

Après des semaines de chaos, de violence et de pression diplomatique , le très contesté premier ministre haïtien a démissionné lundi 11 mars 2024. L’annonce de sa démission été confirmée par son conseiller Jean-Junior Joseph dans une déclaration à CNN, soulignant que le Premier ministre sortant resterait en poste jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement intérimaire. Bloqué sur le territoire américain de Porto Rico après avoir été empêché de fouler le sol la capitale haïtienne. Ariel Henry a confirmé sa démission lors d’un échange téléphonique lundi avec le secrétaire d’Etat des Etats-Unis Antony Blinken, qui se trouvait en Jamaïque, selon un responsable américain. « Il est le bienvenu s’il veut rester à Porto Rico », a ajouté ce responsable.

Une information confirmée au président du Guyana et actuel président de la CARICOM, Irfaan Ali, qui l’a sitôt annoncé tard dans la nuit du lundi lors d’une conférence de presse, accompagné d’autres dirigeants caribéens. Le chef de l’état guyanien a indiqué qu’Ariel Henry démissionnerait après  » la mise en place d’un conseil présidentiel de transition et à la nomination d’un Premier ministre intérimaire”. D’ailleurs durant le week-end, une réunion d’urgence sur la question haïtienne des membres de la Communauté caribéenne et le Marché commun, s’est tenue à Kingston à la Jamaïque.

Sans président ni parlement, Haïti n’a connu aucune élection depuis 2016. Jovenel Moïse de son vivant était lui aussi confronté à une insurrection mais la situation était quand même sous contrôle. M. Henry, nommé par le défunt chef de l’Etat, aurait dû quitter ses fonctions début février. Pourtant, l’homme d’état refusait de quitter le pouvoir qu’il s’était attribué car arrivé au pouvoir sans avoir été élu, il n’a pas réussi à organiser des élections l’année dernière, affirmant que l’insécurité du pays compromettrait le vote. Mais sa décision n’a fait qu’exaspérer davantage les manifestants civils comme bandes armées qui réclamaient depuis des mois sa démission alors qu’Haïti sombrait davantage dans la pauvreté et la violence des gangs.

Le 28 février, il avait accepté de « partager le pouvoir » avec l’opposition, dans le cadre d’un accord prévoyant des élections d’ici à un an. Mais cette concession n’a pas suffi puisque les milices et les gangs associés étaient parties, dans des attaques coordonnées, à l’assaut des principaux bâtiments officiels.

Le chaos a contraint des dizaines de milliers de personnes à fuir leur domicile au cours des derniers jours, s’ajoutant aux plus de 300 000 déjà déplacées par la violence des gangs.

Le chef du gouvernement haïtien, bloqué sur le territoire américain de Porto Rico, a finalement cédé à la pression politique interne ainsi qu’à celle des partenaires régionaux.

Cette décision pourrait sembler être bénéfique pour le peuple haïtien mais beaucoup de questions subsistent. Notamment celles des gangs et des milices armées qui sont loin d’avoir déposé les armes. Elles contrôlent quand même 80% de la capitale et ces groupes continuent d’être une véritable menace pour la sécurité intérieure d’Haïti et même au delà pour la Caraïbe.

Les Nations unies estiment qu’environ 1 million d’enfants haïtiens sont hors de l’école. Ceux qui vivent dans des zones contrôlées par les gangs étant susceptibles d’être recrutés comme les enfants soldats en Afrique ou au Moyen-Orient. Le pays a également été ravagé par une épidémie de choléra qui a éclaté en 2022. Le chef du Programme alimentaire mondial (PAM) en Haïti, Jean-Martin Bauer, a dit mardi dans un communiqué que le pays vivait « l’une des crises alimentaires les plus graves du monde -1,4 million d’Haïtiens sont à deux doigts de la famine ».

Le chef des droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a décrit la situation en Haïti comme “intenable” et a appelé à ce qu’une mission de sécurité multinationale soit déployée pour aider la police haïtienne. “Il n’existe aucune alternative réaliste pour protéger des vies”, a-t-il déclaré.

D’autre part, on pourrait se questionner sur l’issue politique de cette crise qui dure depuis 2016. Comme nous vous l’indiquions, suite à la démission du Premier Ministre, un conseil présidentiel de transition doit être formé de sept membres votants représentant les principales forces politiques en Haïti et le secteur privé. Deux observateurs sans droit de vote doivent en outre porter la voix l’un de la société civile, l’autre de la communauté religieuse. Ce conseil doit « rapidement choisir et nommer un premier ministre intérimaire », selon la Caricom. Sauf que cet accord n’a pas été validé ni par la classe politique haïtienne, ni par la société civile.

D’ailleurs sur ce point, le chef de gang  » Barbecue » a affirmé qu’il ne reconnaîtrait pas de « gouvernement formé par la Caricom ou d’autres organisations ». Est-il intéressé par le pouvoir ? Lui-même ne l’a jamais clairement dit.

Une situation de grande instabilité qui a poussé  le Kenya à suspendre l’envoi prévu de policiers en Haïti dans le cadre d’une mission internationale soutenue par l’ONU.

Le chef de gang Jimmy Cherizier avec ses hommes à Port-au-Prince, en Haïti, le 5 mars 2024. AFP – CLARENS SIFFROY

En attendant de régler la question politique, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a promis une aide de 133 millions de dollars supplémentaires des Etats-unis. 100 millions seraient consacrés à la force multinationale prévue pour Haïti, et 33 millions pour l’aide humanitaire.

L’escalade de la violence « crée une situation intenable pour le peuple haïtien, et nous savons tous qu’une action urgente est nécessaire tant sur le plan politique que sur le plan de la sécurité […] Seul le peuple haïtien peut et doit déterminer son propre avenir, et personne d’autre« , a-t-il ajouté, mais les États-Unis et leurs partenaires « peuvent aider à rétablir la sécurité fondamentale » et à faire face à « l’énorme souffrance » en Haïti.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, présent virtuellement lors des discussions, avait offert peu avant quelque 97 millions $Can (environ 83 millions d’euros) et du matériel à la police haïtienne.

L’Union Européenne, quant à elle, a aussi décidé d’apporter son aide à Haïti. En effet, la Commission européenne a annoncé une allocation de 20 millions d’euros en aide humanitaire. Ces fonds seront dirigés vers des domaines cruciaux tels que la protection, l’aide alimentaire, la santé, l’assainissement et l’éducation d’urgence. Ils permettront également de soutenir les efforts visant à garantir l’accès à l’éducation pour les enfants, malgré la crise en cours.

Cependant, la question est vraiment de savoir qui utilisera cet argent, en espérant qu’il ne tombera entre de mauvaises mains, à savoir les gangs et les milices comme pour l’argent de la reconstruction après le séisme de 2010.