En France, le 10 mai marque la commémoration officielle des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions. Cette année, le président de la République ne prend pas part aux célébrations. Le premier ministre Gabriel Attal a présidé la cérémonie qui s’est déroulée cette à La Rochelle. Ces commémorations nationales sont une reconnaissance nationale de ce crime historique mais qui a été un long très long cheminement.
Le 10 mai marque la journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et leur abolition. Après la découverte de l’Amérique par les Européens en 1492, du XVe au XIXe siècles, plus de 11 millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été capturés en Afrique, transportés à travers l’Atlantique et réduits en esclavage pour travailler dans des conditions très dures au sein d’exploitations coloniales en Amérique.
C’est aussi une journée de réflexion civique sur le respect de la dignité humaine et la notion de crime contre l’humanité, notamment au sein de l’Éducation nationale.
C’est par décret Jacques Chirac, alors président de la République, en 2006 que le 10 mai est devenue la date nationale de commé . « Cette date ne se substituera pas aux dates qui existent déjà dans chaque département d’Outre-mer. Mais dès le 10 mai de cette année, des commémorations seront organisées dans les lieux de mémoire de la traite et de l’esclavage en métropole, en outre-mer, et sur le continent africain », avait déclaré Jacques Chirac lors d’une allocution télévisée le 30 janvier 2006.
Le choix de l’ancien chef de l’Etat s’appuie sur une proposition de l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, qui dirige à cette époque le Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE) – qui est entre-temps devenu la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Pour rappel, cette date symbolique fait référence à la date d’adoption par le Sénat du texte définitif de la loi Taubira du 21 mai 2001, qui reconnaît la traite et l’esclavage en tant que crimes contre l’humanité.
Pourtant, cette date historique est le fruit d’un long mais très long processus de reconnaissance de la part de la République concernant ce crime contre l’humanité que furent l’esclavage et la Traite négrière auxquels la France a pris pleinement part.
La date du 10 mai commémore l’adoption de la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité du 21 mai 2001, aussi appelée « loi Taubira » du nom de l’ancienne ministre de la justice.
Par cette loi, la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques, aux Caraïbes et dans l’océan Indien contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité.
De même, elle prévoit qu’une place conséquente soit accordée à la traite négrière et à l’esclavage dans les programmes scolaires ainsi que dans les programmes de recherche en sciences humaines et en histoire. Enfin, elle prévoit qu’une demande de reconnaissance comme crime contre l’humanité soit déposée auprès de différentes organisations internationales.
Vingt-trois ans après sa promulgation, on peut dire que l’esclavage a bien sa place dans le roman national, du moins, on ne sait pas ce qu’il adviendra de cette date important pour de nombreux Français originaires des Outremers, si un jour le Rassemblement National parvient à s’imposer dans une élection présidentielle, surtout quand on sait l’aversion qu’a la cheffe de file du parti d’extrême droite pour tous les hommages liés à la colonisation et ses crimes ainsi que l’esclavage.
Cette année, c’est le premier ministre Gabriel Attal qui a présidé la cérémonie annuelle et contrairement aux autres années, celle-ci ne s’est pas déroulée dans les Jardins du Luxembourg, elle s’est tenue à La Rochelle. Tout un symbole puisque la ville côtière française a été durant la triste période esclavagiste l’un des plus grands ports négriers français et même européens. Puis, comme le soulignent nos confrères de La 1ère, En 1594, L’Espérance, premier bateau négrier à quitter les côtes françaises, part du port de La Rochelle pour l’Afrique. La ville fut la première cité française à se lancer dans le commerce triangulaire. Du XVIe au XIXe siècles, 446 autres navires emprunteront le même itinéraire, faisant de la commune le deuxième port négrier de France, derrière Nantes.
Selon Matignon, la délocalisation découle de la volonté de sortir du microcosme parisien et de faire participer le plus de Français possible à l’exercice très codifié du devoir de mémoire. Reste qu’à quelques semaines des élections européennes, certains y voient un calcul plus politique : l’année dernière, la cérémonie du 10 mai avait été réduite au strict minimum, certes en présence de la Première ministre de l’époque, Elisabeth Borne, mais sans aucune prise de parole politique.
Pour l’ancien premier ministre et président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, ce nouveau format est un « hommage aux villes, aux départements et aux régions qui se sont engagés depuis des années comme des précurseurs pour (…) assumer cette histoire ». De quoi donc rappeler que l’histoire de l’esclavage ne s’est pas déroulée uniquement dans les lointaines colonies d’Amérique, de la Caraïbe et de l’océan Indien, mais également sur le territoire européen mais aussi, rappeler que la puissance de la France s’est aussi construite sur la traite et que de très nombreuses villes, La Rochelle, mais aussi Nantes, Bordeaux, Marseille ou le Havre, ont profité du commerce triangulaire pour s’enrichir.
À cette occasion, une statue nommée « Clarisse » a été inaugurée sur le quai Aimé-Césaire. Elle représente une esclave nourrisse, installée à proximité de l’ancien port négrier rochelais et elle est le fruit de la réalisation de l’artiste haïtien Fillipo qui s’est exprimé au sujet de l’idée de son oeuvre :
Clarisse représente une victoire des opprimés contre les oppresseurs. Clarisse, elle représente aussi l’Afrique, les pays d’Outre-Mer et la Caraïbe. Elle représente l’histoire de ceux qui ont été exploités, maltraités et rendus en esclavage. Clarisse est bien placée pour que l’on raconte son histoire puisqu’elle est installée là où il y avait un port négrier
Fillipo.
Clarisse est un personnage qui a bel et bien existé, elle a été affranchie en 1794 à La Rochelle mais Filipo a souhaité lui donné une dimension plus large.
Clarisse, pour moi, c’est le nom. Mais, en vrai, elle représente toutes les femmes esclaves qui nourrissaient les petits colons de leurs maîtres. Oui, elle a bien existé mais moi, je la rends plus grande
Fillipo
L’ancien premier ministre désormais président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, a aussi pris la parole et à rappeler la sacrifice par lequel les haïtiens sont passés pour avoir leur liberté. Une liberté volée par l’indemnité réclamée par la France de Charles X.
« Cet hommage d’un port qui a dû sa prospérité au sucre de Saint-Domingue est plus qu’un symbole. Cette démarche, elle est juste, car elle viendrait réparer l’une des plus grandes injustices de l’histoire, je veux parler de l’indemnité colossale qu’en 1825 la France de Charles X a forcé les anciens esclaves d’Haïti à payer à leurs anciens maîtres, et cela, pendant des générations, jusque dans les années 1950 »
Jean-Marc Ayrault-Président de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage.
Pour lui 2025 serait l’année du grand geste pour le peuple haïtien. Les conditions de l’indépendance d’Haïti imposée par la France sont pour de nombreux experts aux origines de la pauvreté structurelle qui mine le territoire, ravagé par les gangs.
Le premier ministre Attal a aussi prononcé un discours d’hommage de plus de vingt minutes dans lequel il s’est contenté de rappeler que la France « est mobilisée aux côtés de la communauté internationale pour aider les populations face aux besoins humanitaires ». Saluant « le poids de ceux qui brisèrent eux-mêmes leurs chaînes », le Premier ministre a pris la parole pendant plus d’une vingtaine de minutes.
Je veux m’incliner sur la mémoire des esclaves marrons qui brisèrent leurs chaînes et tinrent tête à leurs oppresseurs. Chaque départ, chaque fuite était un coup porté à l’esclavage. Et si ceux qui étaient repris étaient si sévèrement châtiés, c’est que rien n’affolait plus les esclavagistes que le marronnage, que cette aspiration suprême à la liberté. Chaque départ semait la graine de la liberté. Avec l’esclavage, ce sont les frontières de l’humanité qui sont atteintes, dépassées […] Cette histoire fait partie de l’Histoire du monde, de l’Europe, de la France. Elle s’est écrite à Versailles, à Paris, dans les ports de La Rochelle, de Nantes, de Bordeaux[…] Le Code noir fut la loi de la France. Le pays où s’éveillaient les Lumières a nourri l’esclavage pendant des décennies. Le dire, le reconnaitre, ce n’est pas s’affaiblir : c’est grandir. Trop longtemps un voile a été jeté sur ce passé, trop longtemps la mémoire de l’esclavage a été enfouie. « Être citoyen, c’est reconnaitre son histoire en son entier, sans occulter aucune page. (…) Parce que nous regardons l’histoire en face, nous continuerons à mener la bataille de l’éducation. Nous avons renforcé les programmes scolaires et nous continuerons à renforcer la formation des professeurs »
Gabriel Attal- Premier ministre.
Il a annoncé une grande exposition nationale sur la Mémoire de l’esclavage en 2026, année des 25 ans de la loi reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Un label « Mémoire de l’esclavage » sera par ailleurs créé pour mieux identifier les sites patrimoniaux ou mémoriels. Le mémorial en hommage aux victimes de l’esclavage – promesse présidentielle que l’on pensait oublier, sera érigé dès l’an prochain.
#10Mai #LaRochelle Dévoilement de la sculpture de Clarisse. pic.twitter.com/1snZDvVnhz
— Outremers360 (@outremers360) May 10, 2024
Le président de la République a lui aussi tenu à rendre hommage :
Ce 10 mai est la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 10, 2024
Pour que la mémoire de ces pages de notre Histoire et des résistances d’alors soit partagée, connue, étudiée.