C’est la plus grande tragédie de l’histoire martiniquaise du début du XXe siècle. Le 8 Mai 1902, la ville de Saint-Pierre, capitale de la Martinique fut rayée de la carte du Monde à la suite de l’éruption de la montagne Pelée. Bilan 30 000 morts. Il n’y eu que trois survivants. Retour sur ce pan de l’histoire de la Martinique.
Saint-Pierre, capitale de la Martinique, mais aussi des Antilles- Françaises est un véritable joyaux colonial. Avec ses magnifiques kaz créoles, son théâtre, sa baie surplombée par le volcan, sa Chambre de Commerce et son port, elle est l’archétype de la ville coloniale de ce début du XXe siècle. Fierté de l’administration coloniale mais aussi des martiniquais, békés, mulâtres et noirs. Elle faisait rayonner la grandeur de la France dans la Caraïbe post-esclavagiste. Pourtant, il y a 114 ans, le 8 mai 1902, au cours d’une éruption, une nuée ardente partit du sommet du volcan, détruisit complètement ce symbole de l’Empire colonial français dans les caraïbes. Le bilan officiel fait état de 30 000 victimes dont trois survivants. Face à cette tragédie, St-Pierre aura du mal à se relever et fut par la suite, supplantée par sa rivale du sud, Fort-De-France qui, à l’époque était la résidence du gouverneur.
Pour celles et ceux qui l’auraient oublié, la Martinique est une île des Caraïbes et comme toutes ses soeurs de l’archipel des petites Antilles, l’île est d’origine volcanique. Mais l’activité éruptive semble terminée de longue date lorsque l’île est colonisée par les Européens. Au départ, il y a eu les Espagnols qui s’y sont arrêtés lors de leurs routes vers les Amériques. Ensuite, vinrent les Hollandais suivis des Britanniques mais au final, ce sont les Français qui se sont imposés définitivement sur ce petit territoire faisant de lui, l’une des plus belles et plus prospèrent colonies françaises aux Amériques. Evidemment, la richesse reposait sur le dur et pénible travail des esclaves acheminés par négriers des comptoirs africains.
Les Français vont y développer une activité économique attractive et construisirent une ville représentative de la puissance française dans la région, Saint-Pierre qui resta pendant des siècles la capitale de la Martinique et des Antilles-Françaises. La ville de Saint-Pierre se développe au pied d’un ancien volcan appelé Montagne Pelée en raison de ses pentes dénudées et austères. Son charme tropical, sa vie culturelle et l’élégance vestimentaire de sa bourgeoisie lui valent le surnom de « petit Paris des Antilles ». Mais tout va s’arrêter en 1902.
Certains s’accordent à dire que la destruction de la ville et de ses alentours était inévitable, Cependant, la mort de ses habitants et de nombreux marins présents à ce moment, est la conséquence effective des mauvaises décisions politiques et administratives nationales comme locales sur instructions ministérielles. On peut parler du refus par le gouverneur de la Martinique, Louis Mouttet, de faire évacuer la ville et de laisser appareiller les navires ancrés dans la rade afin d’assurer le second tour d’une élection législative le 11 mai.
Il est vrai que la Montagne Pelée montrait des signes d’activités depuis 1889 soit treize ans avant l’apocalypse. Cette année là, la montagne avait craché des fumerolles intermittentes dans l’étang Sec, cratère sommital.. Puis, les mois précédents la catastrophe, le volcan, était de plus en plus actif, comme le rapport les événements notés dans un journal :
février 1902 : permanence et intensification des fumerolles sulfhydriques ; pas d’inquiétude ;- mardi 22 avril : rupture du câble télégraphique vers la Guadeloupe ;
- mercredi 23 avril, début de la phase phréatique : séismes, grondements souterrains, pluie de cendres au sud et à l’ouest sur Saint-Pierre ;
- vendredi 25 avril : nuage de cendres ; en bordure de l’étang Sec, construction d’un cône de pyroclastite ;
- samedi 26 avril : les cendres couvrirent Saint-Pierre et les environs ; pas d’inquiétude ;
- dimanche 27 avril : l’étang Sec se remplit d’eau bouillonnante jaillissant du cône de pyroclastite haut d’environ 15 m ; forte odeur de soufre dans les rues de Saint-Pierre et à10 km alentour ; premier tour des élections législatives ;
- mercredi 30 avril : dans la ravine Roxelane qui traversait Saint-Pierre et au nord dans celle des Pères, lahars charriant des rochers et des arbres arrachés au sommet ; au nord, les villages du Prêcheur et de Sainte-Philomène furent couverts de cendres
- vendredi 2 mai à 11 h 30, début de la phase magmatique : séismes, éclairs, violentes détonations ; soleil masqué ; couche de cendres épaisse de plusieurs centimètres sur toute la partie nord de la Martinique ;
- samedi 3 mai : le vent renvoya le nuage de cendres vers le nord, dégageant provisoirement Saint-Pierre ; séismes ; rupture du câble télégraphique vers la Dominique ;
- dimanche 4 mai : retour et intensification des chutes de cendres ; toutes les ravines étaient en crue ; coupures des routes vers le nord ; début d’affolement et de départs ;
- lundi 5 mai : le matin, calme apparent du volcan ; chassés des hauts par l’eau et les cendres brûlantes, à l’embouchure de la rivière Blanche, invasion de l’usine Guèrin par des myriades de fourmis (fourmis-fous) et de scolopendres (bêtes-mille-pattes) venimeux, et dans les rues de Saint-Pierre, invasion de serpents fer-de-lance dont la morsure est mortelle – ~ 50 personnes et plus de 200 animaux tués; ensuite, le débordement de l’étang Sec produisit un lahar dans la rivière Blanche qui ensevelit l’usine Guérin sous plus de 6 m de boue brûlante – 23 victimes, provoqua un tsunami inondant les bas-quartiers de Saint-Pierre et coupant toutes les liaisons télégraphiques avec les îles voisines ; rupture du réseau électrique surchargé par les cendres humides ;
- mardi 6 mai : début de la formation du dôme au bord de la caldeira de l’étang Sec ; expulsion explosive continue de cendres incandescentes ; pluies torrentielles (condensation de la vapeur d’eau) et lahars dans toutes les ravines ; rade couverte d’un épais tapis de cendres, ponces et débris végétaux ;
- mercredi 7 mai : calme apparent, car l’obstruction du cratère par le dôme en surrection bloquait l’expulsion des gaz et des pyroclastites, préparant l’explosion finale du bouchon du cratère, sous l’énorme pression de dégazage du magma ;
- nuit du 7 au 8 mai : d’intenses orages provoquent des coulées de boue ; entre 3 et 4 heures du matin, elles dévalent les pentes et touchent Macouba, Basse-Pointe et Grand’Rivière ; celle qui fait déborder la rivière du Prêcheur cause le décès de 400 personnes au Prêcheur et aux Abymes ; cet événement étant survenu très peu de temps avant le paroxysme, son information ne sera pas diffusée.
Le jeudi 8 mai, jour de l’Ascension, une explosion se produisit dans le cratère de l’étang Sec, dont le flanc était largement échancré depuis la coulée du 5 mai. Un souffle puissant, suivi en trois minutes par un immense nuage toxique, la nuée ardente, bloquée vers le nord et l’est par la falaise de lacaldeira et le dôme, emprunta la brèche de l’étang Sec vers la rivière Blanche, déferla à plus de 500 km/h sur la ville et, à 7h 52, en moins d’une minute, la détruisit en grande partie et incendia les navires ancrés dans la rade.
L’explosion du bouchon provoqua un embrasement du cratère et une onde de choc atmosphérique supersonique (~ 450 m/s, 30 hPa de surpression instantanée) ; puis une épaisse émulsion brûlante (~ 1 000 °C) de gaz, d’eau et d’éléments solides en suspension s’échappa d’une bouche au pied du dôme, produisant un panache noir en forme de champignon haut de plus de 4 km au-dessus du volcan, visible à plus de 100 km de distance ; il s’effondra sur lui-même et la nuée descendante axée sur la rivière Blanche, couvrit de boue, de blocs et de cendres une zone triangulaire étang Sec/Prêcheur/Saint-Pierre, de plus de 40 km2 et s’arrêta au milieu de la rade à plus de 1 500 m du rivage.
Des incendies et des lahars aggravèrent les destructions. Selon l’endroit où elles se trouvaient dans la zone ravagée par la nuée ardente, les 30 000 victimes succombèrent à l’onde de choc atmosphérique, à l’inhalation de gaz brûlants, à de profondes brûlures, à des chutes de blocs volcaniques, à des écroulements de bâtiments…
En quelques secondes, c’est l’anéantissement total de Saint-Pierre. Une énorme masse ardente se précipita sur la ville, la couvrit, l’étouffa, l’embrasa puis roula sur la mer. La capitale de la Martinique est plongée dans l’obscurité. Rien n’est épargné. Seuls, deux survivants durent leur salut à la solidité ou à l’éloignement des bâtiments qu’ils occupaient, mais furent gravement brûlés. Leurs noms : Léon Compère dit Léandre, un cordonnier qui vivait à la périphérie de la ville et Louis Cyparis, un marin et cultivateur, qui avait été mis au cachot pour état d’ébriété sur la voie publique.
Les dernières éruptions en date furent celles de 1929-1932. Elle n’ont pas fait de victimes grâce aux évacuations de populations. C’est à la suite de cette éruption que la montagne Pelée a acquis sa forme actuelle.
Le drame de 1902 et les erreurs de prévision ont entraîné un regain d’intérêt pour les éruptions volcaniques et la naissance d’une discipline nouvelle, la vulcanologie.