Après un long bras de fer au Congrès, l’administration Biden a annoncé mardi 28 mai que les entrepreneurs de l’île pourront ouvrir des comptes dans des banques américaines. Objectif pour Washington : faciliter la vie des entreprises privées cubaines, et les rendre plus indépendantes du pouvoir communiste. Au cours du mois de Mai dernier, Washington a aussi retiré l’île des Etats qui sponsorisent le terrorisme. Récap.
Nous le savons, les relations bilatérales entre Cuba et les Etats-Unis sont au plus bas depuis le mandat de Donald Trump et ce malgré le semblant de normalisation entre les deux pays entamé par Barack Obama ayant conduit à la réouverture de missions diplomatiques dans les pays respectifs. Donald Trump du temps de sa présidence a durcit le ton contre l’île caribéenne en renforçant les sanctions économiques et en plaçant l’île communiste sur la liste des pays qui sponsorisent le terrorisme mais c’est surtout l’inflation galopante qui mine le quotidien des cubains. En pleins crise économique et sociale, Cuba cherche une nouvelle bouffée d’air frais sur son économie pour calmer la colère générale.
Pour beaucoup, Cuba est la destination touristique rêvée. L’île des Caraïbes a de tout temps fasciné, suscité l’admiration et subjugué l’imagination des voyageurs occidentaux. Avec ses plages de sable fin agrémentées de cocotiers sur lesquelles des millions de touristes se sont (et continent) de se prélasser avec un verre de mojito rhum citron menthe, tout en fumant un Cohiba, le tout avec pour fond sonore de la salsa, cette danse chaude et populaire très typique de pays latinos qui le soir venu anime les rues touristiques de La Havane.
Mis à part l’aspect culturelle ou touristique, on retient que cette île, qu’elle aura défié le Monde occidental notamment les Etats-Unis depuis sa révolution de 1959 menée par des figures charismatiques qu’ont été Fidel Castro, Raul Castro, Che Guevarra, Camilo Cienfuegos pour ne citer qu’eux. Depuis plus de cinquante ans, l’île caribéenne, est dirigée depuis 1962, d’une main de fer par le parti unique, le parti communiste cubain, introduit par le clan Castro. Disons-le, la Révolution cubaine a changé le cours de l’histoire de l’île mais aussi plus largement, celle du continent américain et même du Monde. Avec sa révolution, La Havane tourna le dos aux Etats-Unis pour le communisme.
Cuba, c’est plus de soixante ans de politique faite de confrontation avec le puissant voisin états-uniens symbole de la Guerre Froide. On se souvient de l’épisode de la Crise des Missiles de Cuba qui entraîna les deux superpuissances de l’époque, les Etats-Unis et l’URSS au bord d’une guerre nucléaire. Conséquence, le jeune président américain John Fitzgerald Kennedy imposa un blocus, toujours d’actualité à ce jour et désormais anachronique. Sous la houlette des frères Castros, c’est aussi soixante années de politique Tiers-mondiste avec dès les années 1960, un engagement militaire aux côtés des leaders des mouvements de décolonisation en Afrique ( Congo, Angola, Mozambique, soutien à l’ANC de Nelson Mandela, Ethiopie, Zimbabwe etc) ainsi qu’un soutien sans faille aux guérillas marxistes sur le continent américain, par exemple avec les FARCS en Colombie. Les médecins cubains se sont fortement illustrés dans la lutte contre l’Ebola en Afrique de l’Ouest. Puis, l’île communiste a envoyé des centaines de professeurs à travers différents pays des Amériques pour lutter contre l’analphabétisme. Cuba s’est également une politique sanitaire interventionniste, avec l’envoie de médecins aux quatre coins de la planète. Dernier épisode en date, La Havane a dépêché des centaines de médecins notamment en Italie pour lutter contre la pandémie de Coronavirus. D’ailleurs durant la pandémie, l’île de la Martinique, fut le premier territoire français à faire appel à l’expertise des médecins cubains pour faire face aux nombres croissants de malades de la Covid 19.
Pourtant, l’éternelle île révolutionnaire, célèbre à travers le Monde pour sa culture et son histoire métissée riche et haute en événements marquants, qui attirait des touristes par millions, vit-elle ses dernières années de communisme ? Il est sans doute trop tôt pour le dire mais sur place, la colère gronde au sein de la société cubaine. En cause, les habitants de l’île subissent de longues coupures d’électricité et doivent patienter des jours durant ou faire des queues interminables pour avoir une chance de se procurer des produits de base. En mars dernier comme nous l’évoquions, ils étaient plusieurs milliers à travers tout le pays à braver les interdictions de manifester en vigueur sur l’île pour réclamer la fin des coupures d’électricité, d’eau et surtout à manger. Les manifestations se sont surtout faites à Santiago, deuxième ville de Cuba avec plus de 500 000 habitants, à Bayamo, moitié moins peuplée, ou encore à Holguín, des centaines de personnes ont défilé aux cris de «corriente y comida» («du courant et de la nourriture») et de «no mas muela» («arrêtez le baratin»). Dans ces villes distantes d’un millier de kilomètres de la capitale, La Havane, les coupures d’électricité se sont aggravées depuis le début du mois de mars et peuvent durer vingt heures d’affilée.
Dans la pure tradition des dictatures communistes, les manifestations sont interdites et celles et ceux qui osent braver ces interdictions sont purement réprimés. Elles ne sont que peu couvertes par la presse nationale et les meneurs considérés comme des terroristes à la solde de Washington, par le pouvoir en place sont condamnés à de fortes peines de prison. Ce fut le cas, par exemple le 26 avril dernier où dix hommes et trois femmes, tous incarcérés, se sont vus notifier leurs condamnations, qui s’échelonnent de quatre à quinze ans de prison pour sédition, outrage, propagande ennemie et sabotage, notamment. Elles étaient descendues dans la rue les 18 et 19 août 2022 pour réclamer de meilleures conditions de vie et la fin des coupures d’électricité prolongées jusqu’à 18 heures à Nuevitas (est), une ville située à plus de 600 km de La Havane. Après chaque manifestation populaire, La Havane accuse régulièrement son éternel ennemi d’ingérence dans sa politique intérieure et d’exploiter la vague de colère à des fins de déstabilisation.
L’autre problème, comme évoqué en début d’article est évidemment l’inflation post-Covid qui n’a pas épargné la plus grande île des Caraïbes. Une situation qui s’est accrue avec la Guerre en Ukraine entraînant des batteries de sanctions à l’encontre de Moscou qui n’est autre que l’un des principaux partenaires commerciaux de l’île communiste. Ainsi, la flambée des prix de l’essence et du gaz ayant pour conséquence une diminution du nombre de voyageurs vers la plus grande île des Caraïbes mais surtout, les transferts d’argent en provenance de l’étranger ont aussi été touchés et quand on sait que l’économie de base des foyers cubains reposent sur l’argent envoyés par leurs proches installés à l’étranger, il y a des conséquences sur le quotidien des Cubains restés au pays. Rien que l’année dernière, l’inflation a atteint 30%. Pour l’économiste Vincent Bloch, chercheur et auteur de Cuba, une révolution (Vendémiaire, 2016) interviewé en 2022 par Libération, la véritable raison de l’augmentation de la misère sur place est dû au fait qu’en 2021, le président Diaz-Canel a décidé d’unifier les deux monnaies du pays pour n’en garder qu’une, ce qui a eu pour résultat une dévaluation du peso local. Fini le CUC (peso convertible) aligné sur le dollar américain, le CUP (peso cubain) devient la seule monnaie nationale. Mais c’est aussi le retour légal du dollar américain sur le marché cubain. Si les salaires ont été multipliés par cinq par la même occasion, les prix ont bondi à des niveaux bien plus élevés. C’est notamment le cas sur le marché noir qui, renforcé par les pénuries, propose des biens introuvables sur les échoppes légales, à des prix très élevés. Les répercussions nous les connaissons.
Face à la précarité, ils sont de plus en plus nombreux à être tentés par l’immigration et ils sont nombreux à partir vers les Etats-Unis où une importante communauté cubaine s’est installée en Floride depuis la fin des années 1960, soit depuis l’avènement du régime communiste. Le Canada, ou encore l’ancienne puissance coloniale, l’Espagne sont également des terres d’accueil pour les immigrés cubains. Rien que pour l’année 2022, 500 000 cubains ont quitté l’île qui les a vu naître pour la route de l’exil. Ces trois dernières années, plus de 4 % de la population de Cuba a quitté l’île : cet exode est sans précédent. Ils sont plus de 220 000 à avoir franchi la frontière des Etats-Unis entre octobre 2021 et septembre 2022 et selon nos confrères du Courrier International, entre 2021 et 2023, ils sont près de 425 000 à avoir rejoint les USA. C’est la plus grosse crise migratoire jamais connu par Cuba. De nouvelles destinations d’installation d’exilés cubains sont apparues, c’est le cas du Brésil, de l’Uruguay ou du Mexique.
Pour endiguer la crise, Cuba tente de trouver un nouveau souffle. Il est sans doute en train d’arrivé puisque selon RFI ( Radio France Internationale), le département du trésor américain a décidé de permettre aux entrepreneurs cubains indépendants du régime d’ouvrir des comptes bancaires aux États-Unis, et de faciliter les transferts d’argent vers Cuba ou encore l’accès aux applications américaines. Pour rappel, depuis 2021, les cubains ont la possibilité de créer des entreprises privées de moins de cent salariés. Un bouleversement à l’échelle du pays, où seules les entreprises d’État étaient autorisées depuis près de soixante ans. L’objectif pour Washington est de faciliter la vie des entreprises privées cubaines, et les rendre plus indépendantes du pouvoir communiste.
A Cuba, le secteur privé emploie environ un tiers des travailleurs cubains aujourd’hui. Mais en raison de l’embargo américain, les PME payent très cher tout ce qu’elles importent et ont des difficultés à accéder aux systèmes de paiement internationaux. Sauf que cette première avancée dans les relations cubano-américaines a été le fruit d’un long bras de fer au Congrès. Autre geste d’apaisement, au cours du mois de Mai 2024, les États-Unis ont retiré Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme. Une annonce sans tambour ni trompette qui est passée complètement inaperçue pourtant tout a commencé le 7 février 2024 quand les délégations américaines et cubaines se sont rencontrées pour un dialogue bilatéral pour une coopération entre les services de police des Etats-Unis et ceux de Cuba. Bien qu’il s’agisse de la cinquième réunion depuis 2015, année où Barack Obama et Raul Castro s’étaient rencontrés pour rouvrir les canaux diplomatiques entre les deux nations d’Amérique. Cependant, rappelons que ce n’est ni la première fois que l’île de Cuba y figure ni la première fois qu’elle en sort. En effet, le président Ronald Regan fut le premier président des USA a l’y placée l’île car à cette période, La Havane était le sponsor direct des groupes d’extrême gauche en Amérique Latine notamment en Colombie où elle soutenait politiquement et économiquement les guérillas des FARCs et de l’ELN. Pendant toutes les décennies qui se sont écoulées après les mandats de Ronald Reagan, Cuba y était toujours mais en 2015, Obama dans sa volonté d’apaisement international l’a enlevé. Puis, en 2020, Donald Trump quelques heures avant la fin de son mandat avait replacé l’île communiste dans la liste des états qui soutiennent le terrorisme tout en imposant une série de sanctions à l’encontre de l’économie cubaine.
Malgré les critiques provenant notamment des Républicains mais surtout des réfugiés cubains profondément anti-communiste, une chose est certaine, ce retrait annonce un avenir un peu moins morose pour le Gouvernement Cubain mais surtout pour les Cubains, premières victimes de cette guerre froide. Il permettra aux banques américaines de simplifier les envois d’argent vers Cuba. Pour de nombreux experts, ce retrait et la fin de l’embargo favorisaient largement l’île même si on sait que les quelques trois millions de Cubains, qui ont fuit la dictature communiste sont favorables à son maintien. Pourtant, ils sont obligés d’envoyer des fonds à leurs proches restés sur place. D’ailleurs, les envois de fonds des États-Unis vers Cuba avaient atteint un record de 3,7 milliards de dollars en 2019, soit la deuxième source de revenus pour le pays, après l’exportation de services médicaux et devant le tourisme.
Pour finir, le Gouvernement cubain entend bien diversifier ses revenus touristiques en misant sur une nouvelle clientèle, les chinois. En effet comme l’ont relaté nos confrères de La 1ère, désormais la compagnie Air China assure deux vols par semaine entre Pékin et La Havane avec une escale à Madrid ( Espagne). De plus, ils sont exemptés de visas ou encore ils peuvent bénéficier dès leur arrivée d’une assistance en langue chinoise.
Fligghy, la plateforme de voyages chinoise rapporte que les recherches pour Cuba ont augmenté de plus de 3 000 % depuis le mois dernier
source La 1ère.
En 2023, ils n’étaient que 18 000 touristes Chinois à avoir foulé le sol cubain contre les Russes deuxième clientèle et très loin derrière les Canadiens qui étaient 400 000 pour la même année à avoir visité l’île communiste et ses plages au sable fin. Une aubaine pour le Gouvernement de l’île qui est en manque de devises étrangères pour relever l’économie en berne.
Telle une série qui nous captive, la suite au prochain épisode.
Vous pouvez lire et relire notre article sur la crise économique cubaine, en cliquant sur le lien ci-dessous.