Le 11 novembre 2024-11 novembre 1918, il y a cent-six ans se terminait la plus Grande Guerre que le Monde a eu à vivre. Un conflit meurtrier auquel ont pris part des millions d’hommes et des femmes de tous horizons confondus. Parmi eux, un Guadeloupéen, Camille Mortenol dont le nom est sans doute méconnu des jeunes générations et pourtant, l’homme a été responsable de la défense de la capitale Paris de 1915 à 1918.
Il y a des héros qui ne portent pas des capes et pourtant leur vie et leur destinée est digne d’un romain épique. En ce 11 novembre 2024, la France commémore ces millions d’hommes ( et de femmes) qui ont sacrifié leur jeunesse et leur vie pour que nous puissions vivre en liberté. Une grande guerre qui marque encore les esprits tant les ouvrages et les témoignages de ceux qui l’auront vécu dans leur chair sont nombreux.
Durant quatre ans, la France et ses alliés Italiens, Belges, l’Empire Britannique et ses Dominions, Serbes, Portugais, Russes, Japonais, ont affronté les Empires Centraux qu’ont été l’Empire Allemand, l’Empire Austro-Hongrois, le Royaume de Bulgarie ainsi que l’Empire Ottoman. Un conflit mondial qui a broyé des millions de jeunes vies à travers des batailles toutes plus meurtrières les unes que les autres. Une guerre durant laquelle, la France et le Royaume-Uni ont puisé dans leurs immenses viviers de soldats issus des colonies et dominions. Des hommes d’origines géographiques différentes qui se sont retrouvés à combattre d’autres hommes qu’ils ne connaissaient même pas pour des questions géopolitiques qu’ils ignoraient.
Les Antilles-Françaises de Guadeloupe, Martinique ainsi que la Guyane-Françaises, nommées les vieilles colonies, ont aussi payé le prix du sang lors de cette Première Guerre Mondiale moderne, où les corps étaient broyés dans les km de tranchées de ce front figé. Parmi ces soldats des colonies, il y a eu un homme, dont le nom tombe peu à peu dans l’oubli et pourtant, cet officier de l’armée françaises, né en Guadeloupe a été chargé de défendre la capitale, Paris contre les tentatives d’invasion de l’armée allemande. Ce fils d’esclaves, bon élève est devenu un héro national.
Sosthène Héliodore Camille Mortenol né à Pointe-à-Pitre, le 29 novembre 1859,quelques jours après le tremblement de terre des Petites Antilles. Issu d’un milieu modeste, il est le troisième et dernier enfant d’ « André » né en Afrique et a été affranchi le 23 juillet 1847, à l’âge de 38 ans sous décision du gouverneur. Il parvient à racheter sa liberté. Il aurait déclaré au commissaire royal qui recevait cette somme : « Vous m’avez pris sur la Terre d’Afrique pour faire de moi un esclave. Rendez-moi aujourd’hui ma liberté ! ». L’ancien esclave prit alors le nom patronymique de Mortenol. Au moment de la naissance de Camille, il exerce le métier de voilier et plus tard, selon certains documents de négociants, de maître voilier. Quant à sa mère Julienne Toussaint, elle aussi esclave, était couturière de métier et s’était mariée le 18 août 1855. Camille a un frère aîné Eugène André et une sœur Marie Adèle.
Education et Carrière Militaire :
Camille Mortenol étudia chez les frères de Ploërmel qui avaient alors en charge l’enseignement primaire. Puis au séminaire-collège diocésain de Basse-Terre. Ses bons résultats, notamment en mathématiques, le font remarquer par Victor Schœlcher qui lui apporte son soutien et son aide. Ainsi, il bénéficie d’une demi-bourse du gouvernement (arrêté du 30 novembre 1875) qui complète la demi-bourse locale et d’un passage sur un bateau pour poursuivre ses études secondaires au lycée Montaigne à Bordeaux.
En 1877, Camille obtient son baccalauréat es Sciences et prépare le concours d’entrée à l’École polytechnique. Il le réussit en 1880, il est reçu 19e (sur 209 candidats). Il fait partie de la promotion X 1880. Camille Mortenol fut le premier,« nègre » guadeloupéen à intégrer l’École polytechnique alors que Napoléon Bonaparte avait exclu les non blancs des bancs des Grandes écoles. Une fois sa formation à Polytechnique achevé il entre dans la Marine Nationale.
Sa carrière l’amène à naviguer sur toutes les mers. Embarqué dès son entrée dans la Marine nationale, il gravit régulièrement les échelons de la hiérarchie : aspirant première classe (16 janvier 1883), puis lieutenant de vaisseau (en 1889). En 1894, il est affecté au corps expéditionnaire chargé de la conquête de Madagascar et à ce titre, participe à plusieurs combats terrestres, dont la prise du Fort Malgache le 2 mai 1895. Ses faits d’armes lui valent d’être fait chevalier de la Légion d’Honneur, le 19 août 18957. Il fait partie des officiers qui entourent le général Gallieni chargé de la « Pacification » de Madagascar. En 1890 et 1898, Camille se spécialise en suivant une formation sur le vaisseau-école des torpilles, l’Algésiras, et obtient un brevet de torpilleur, domaine dans lequel il se distingue particulièrement selon les rapports de sa hiérarchie. En 1904, il est capitaine de frégate. En juillet 1911, il est officier de Légion d’Honneur. Et en 1914, il devient capitaine de vaisseau.
Militaire, homme de la IIIe République, il participe en qualité d’officier, à plusieurs reprises aux campagnes de guerre menés par la France dans le cadre de sa politique coloniale : Madagascar (de 1884 à 1886 & de 1896 à 1898) et Ogoue au Gabon (1901).
De 1904 à 1909 il sert en Extrême-Orient. Là, il reçoit le commandement de la 2e Flottille des Torpilleurs des mers de Chine (1907). De retour en métropole en 1909, il est affecté à Brest jusqu’au début de la première Guerre Mondiale, après plus de 20 ans passés en mer. Il occupe différentes fonctions à l’état-major et prend le commandement de la défense fixe de Brest en 1911.
Officier très apprécié pour ses compétences, il a parfois été confronté aux préjugés. Si certaines notations de ses supérieurs ne louaient que ses capacités et le proposent pour l’avancement, sa couleur a pu perturber l’accomplissement de sa carrière, notamment pour l’obtention d’un poste de commandant qu’il reçoit en 1881. Bien qu’il ne soit revenu qu’une fois en Guadeloupe (fin 1889 il y a passé plusieurs semaines de convalescence), il a toujours gardé des liens avec son île natale, rédigeant plusieurs articles pour des journaux locaux tels que Les Nouvellistes et fréquentant les Guadeloupéens installés à Paris. Il y épouse le 9 septembre 1902 Marie-Louise Vitalo, guyanaise d’origine.
CAMILLE MORTENOL DEFENSEUR DE PARIS :
Au début de la Première Guerre mondiale, Camille Mortenol est toujours en poste à Brest. Mais, lorsque la menace allemande pèse sur la capitale, les autorités militaires, à l’initiative du général Gallieni, gouverneur militaire de Paris, font appel à lui l’année 1915. En 1915, ils confient à Mortenol la direction du service d’aviation maritime du camp retranché de Paris, en fait la responsabilité de la défense antiaérienne de Paris. C’est donc à un officier de marine, ayant une qualification de torpilleur, que la direction de la Défense contre-aéronefs (DCA) du Camp retranché de Paris a été confiée. Mortenol aurait notamment utilisé les projecteurs de grande puissance pour déceler les avions allemands qui attaquaient la nuit. Le professeur Oriol n’hésite pas à écrire dans un ouvrage sur Les hommes célèbres de la Guadeloupe que « c’est à lui et à Gallieni que Paris doit son salut ». En 1917, alors qu’il a atteint l’âge de la retraite, Mortenol est maintenu dans ses fonctions et nommé colonel d’artillerie de réserve. Il est démobilisé le 15 mai 1919 et définitivement rayé des cadres de l’armée le 10 janvier 1925. En reconnaissance des services rendus à la patrie, il est promu au grade de commandeur de la Légion d’Honneur, le 16 juin 1920. Le jour de la remise de médaille on le citera par ceci : « Officier supérieur du plus grand mérite, à son poste jour et nuit pour veiller sur Paris, assure ses fonctions avec un rare dévouement et une compétence éclairée ».
Mort Du Mythe :
Après une carrière bien remplie, le guadeloupéen meurt le 22 décembre 1930 à 71 ans. Le 17 janvier 1931, quelque temps après la mort de Mortenol, les journaux annoncent la nouvelle :
« Une douloureuse et triste nouvelle arrivée par le courrier, nous a consternée, et nous en sommes surs, peinera tous nos compatriotes : notre compatriote, le Commandant Mortenol, est décédé à Paris, dans sa 72e année, le 22 décembre dernier. Né à Pointe-à-Pitre, il avait fait ses études chez les frères Ploërmel, et, après un cours passage dans un lycée métropolitain, Camille Mortenol avait été admis au concours d’entrée de l’École Polytechnique. À sa sortie, à une époque où la marine de guerre était le corps aristocratique par excellence, il choisit la carrière d’officier de marine où il affirme des connaissances et des qualités qui forcèrent l’admiration et le respect de ses pairs. Politiquement, il n’était pas des nôtres, mais il appréciait les efforts réalisés en vue de l’affranchissement du prolétariat guadeloupéen d’où il était sorti. Presque mensuellement, il nous adressait quelques mots d’encouragement, et il lui est arrivé parfois de donner quelques articles à ce journal.
Il sera regretté, même par ceux qui ne le connaissaient pas, car pour tous les fils d’affranchis de 1848, le Commandant Mortenol était un drapeau vivant, un symbole : il avait péremptoirement prouvé l’inanité de la théorie des races inférieures et avait porté un rude coup au préjugé de couleur, à une époque ou le Noir, pour certains, n’avait aucun mérite et n’était pas digne, par conséquent d’aucune considération. »