Aux Antilles françaises, les fêtes de Noël riment avec faste et communion. En famille, entre amis et entre voisins, on se rencontre, on s’amuse, on mange et on boit. Durant cette période sacrée, il y a les fameux chanté nwèl qui sont incontournables. Les Mas a Po, piliers de la culture carnavalesque de la Guadeloupe, perpétuent la tradition. Nous sommes allés prendre la température de ces rencontres populaires où les chants religieux et grivois se marient pour le plaisir de tous.
Nous sommes dans la dernière ligne droite des célébrations de Noël. Les supermarchés sont envahis. La circulation routière est au ralentit. Les maisons et les villes sont ornées de leurs plus belles décorations et rivalisent de charme. Quant aux élèves, ils sont en vacances et attendent patiemment le jour-J pour ouvrir les cadeaux que le Père Noël apportera s’ils ont été sages, évidemment.
Disons-le, aux Antilles-Françaises, on ne badine pas avec noël, car, c’est LA période que les Guadeloupéens et Martiniquais ne rateraient pour rien au Monde. Depuis plusieurs jours, les choses sérieuses ont commencé. Entre choisir les mets 100% locaux à concocter pour les convives, les vêtements à mettre pour l’occasion et les boissons à consommer pour l’apéro, Noël est un art-de-vivre.
En Guadeloupe et à la Martinique, cette période rime surtout avec faste et communion. En famille, entre amis et entre voisins, on se rencontre, on s’amuse, on mange, on boit et on chante les cantiques aux rythmes du tambour Ka ou bélè. Ces moments de partage musicaux sont une spécificité locale où chants religieux mêlés à des paroles grivoises et enjouées font vibrer les générations. Noël ne se vit pas seulement dans les maisons : il se chante, il se frappe, il se partage.
En Guadeloupe, notamment les Mas a Po, piliers de la culture carnavalesque de la Guadeloupe, perpétuent la tradition. Souvent associés au carnaval, les Mas a Po investissent aussi le temps de l’Avent pour faire vivre un Chanté Nwèl populaire, engagé et profondément ancré dans l’histoire guadeloupéenne. Entre transmission intergénérationnelle, mémoire collective et réappropriation culturelle, ces soirées deviennent bien plus que des chants de Noël : elles sont des espaces de résistance, de lien social et de célébration de l’identité.

» Ce qui est frappant dans l’appropriation que font les gwoup a po des chants de noël, c’est la transformation qu’ils opèrent de ces morceaux de musique religieux . Les cantiques classiques, souvent chantés en français, sont réarrangés aux rythmes de la musique a mas et du gwo ka, et parfois traduits ou adaptés en créole. «
Patricia Braflan-Trobo
Lorsque les gwoup a po organisent des chanté Nwèl, il ne s’agit ni d’un ralliement à la religion catholique, ni d’un renoncement à leurs fondements idéologiques. C’est avant tout l’expression d’un syncrétisme profondément guadeloupéen.
Ce syncrétisme, propre à l’histoire et à la culture de l’archipel, repose sur la capacité à faire coexister — et surtout dialoguer — des héritages multiples : africains, européens, indiens, amérindiens. Il façonne des manières de vivre, de penser et de transmettre qui prennent pleinement sens ici, en Guadeloupe. Loin d’une simple juxtaposition d’éléments contradictoires, il s’agit d’un processus de réappropriation : les références sont reconfigurées, parfois désacralisées, puis réinscrites dans un cadre populaire, identitaire et contemporain.
L’organisation de chanté Nwèl par les gwoup a po révèle aussi la présence durable du catholicisme dans la société guadeloupéenne. Son calendrier liturgique continue de structurer les temps sociaux et les moments symboliquement forts de la vie collective, y compris chez des acteurs culturels qui interrogent, voire contestent, l’héritage historique de cette religion. Une manière, là encore, de composer avec l’histoire plutôt que de la nier.
Ce phénomène des gwoup a po qui chantent noël révèle que cette fête en Guadeloupe, n’est pas seulement une célébration religieuse catholique mais est un fait social total, au sens de Marcel Mauss.C’est-à-dire qu’il s’agit d’un moment de l’année qui mobilise simultanément : le religieux (croyances, rites), le social (relations, statuts, rassemblements), l’économique (dépenses, échanges, consommation), le politique (pouvoirs, normes, rapports de force), l’identitaire (affirmation de soi, appartenances, mémoire collective), le culturel et symbolique (valeurs, imaginaires, représentations), parfois le juridique et le moral (règles, obligations, jugements).
Patricia Braflan-Trobo sociologue guadeloupéenne.
Quand les gwoup a po investissent les chanté Nwèl, ce n’est ni par ferveur religieuse ni par contradiction idéologique. C’est un geste culturel, profondément guadeloupéen. À travers les tambours, les voix et les corps en mouvement, ils réactivent un syncrétisme hérité de l’histoire : celui d’un peuple qui a appris à composer avec des héritages multiples pour créer du sens, ici et maintenant. Le chanté Nwèl devient alors un espace de transmission, de mémoire et d’affirmation identitaire, où la tradition se réinvente sans jamais se renier.
Pour comprendre d’où vient cette ferveur pour les chanté nwèl des Mas a Po, nous sommes allés prendre la température de ces rencontres populaires où les chants religieux et grivois se marient pour le plaisir de tous. Pour ce faire, nous nous sommes rendus dans trois chanté nwèl organisés par trois associations carnavalesques Mas a Po : Ti Kanno, basé à Leroux Gosier, Le Poin d’Interrogation situé à la Route de Plenel dans la zone de Petit-Pérou aux Abymes et Mas Ay, très jeune formation Mas, localisée à la Cour Charneau, à mi-chemin entre les villes des Abymes et de Pointe-à-Pitre.
Ils ont dit :
» Le Point d’Interrogation a fêté ses 35 ans cette année, cela fait donc une bonne trentaine d’année que nous organisons des chanté nwèl. Noël fait parti de notre culture, ce n’est pas parce que nous sommes un gwoup a po, un gwoup a mas que nous ne pouvons pas le faire. Au contraire, on joue au tambour, on fait noël comme tous les Guadeloupéens[…] Pour moi, la seule différence qu’il y a entre nous, Mas a Po et des groupes comme Kasika, ce sont les instruments. Kasika, Cactus Cho, sont des orchestres. Nous, nous sommes plus traditionnels. Déjà, au Point d’Interrogation, on utilise pas de tambour a mas, il n’y a que, comme on dit chez nous, des gwo tanbou, boula, makè, triangle, des bouteilles en verres, de la flûte, siyak.[…] Au Point d’Interrogation, nous faisons notre chanté nwèl car, il fait partie de notre tradition. Quand on fait Mas on le fait en période de Carnaval, mais on peut aussi chanter la noël, qui est une fête familiale vu que c’est le partage. C’est un moment de convivialité. »
Patrice Thermosiris. Président de Point d’Interrogation.

» Depuis trois ans soit depuis la création de Mas Ay, d’entrée de jeu, nous sommes avons voulu installer un chanté nwèl. Dès la première année, le Mas n’était même pas encore sorti, que nous l’avons mis en place. C’est l’histoire de retrouver nos adhérents, on sait qu’en fin d’année, c’est un moment de partage et annoncer la nouvelle saison et les grands jours du Mas. C’était important pour nous d’avoir cela, car, malgré tout, chaque groupe organise son chanté nwèl, certes, il ne fallait pas être comme tout le monde mais nous avons décidé d’en faire un avec notre propre touche. C’est le troisième que nous organisons. Cela se passe bien, il y a de plus en plus de monde qui vient et comme vous le voyez, cela se passe bien […] la touche Mas ay c’est une batterie, une basse et c’est un choix d’accompagner nos tambouyés par des instruments modernes car, en tant que musicien professionnel, il était important pour moi de changer le concept pour amener le chanter noël autrement. »
Sébastien NOBIN-président Mas Ay.

» Alors, traditionnel au sens où nous préparons tout, le boudin, le cochon, que nous tuons en général. Mais ça fait longtemps, depuis Covid-19 qu’on a pas tué un cochon et depuis, on a pas vraiment repris. Ensuite le côté authentique, c’est au niveau de la musique. Il y a un tambour, de l’accordéon et les gens chantent. Il y a aussi le Siyak, et tous les instruments faits pour nous accompagner. Oui, c’est vrai que nous sommes un groupe de Mas mais cela fait des années que nous organisons des chanté nwèl. Depuis toujours, entre amis, ici à Leroux, d’ailleurs, c’est l’un des derniers endroits en Guadeloupe où nous faisons des noëls de maisons en maisons, comme auparavant, on passe de maisons en maisons, on boit, on joue de la musique et on part et ainsi de suite, jusqu’à la tombée de la nuit et on recommence le lendemain. Nous avons gardé cette tradition. A l’époque on disait “ crèche”. Les gens faisaient des crèches durant cette période de Noël, ils chantaient principalement, il y avait peu d’instruments. Pour s’accompagner ils utilisaient des bouteilles en verre sur lesquelles ils cognaient avec des fourchettes et cuillères. Nous, à Ti Kanno, nous avons toujours fait ça et nous continuons de perpétuer la tradition. »
Christian Lunion-président de Ti Kanno.

En donnant vie aux Chanté Nwèl, les Mas a Po ne se contentent pas de chanter Noël : ils transmettent une mémoire, un héritage et une identité vivante. Entre tambours, voix et rituels partagés, chaque représentation rappelle que la tradition guadeloupéenne n’est pas figée, mais en perpétuelle réinvention, portée par celles et ceux qui refusent l’oubli. Ces chants, qui résonnent dans les rues, les salles et les cœurs, sont bien plus qu’une célébration : ils sont le témoignage vibrant d’une culture qui se raconte, se partage et se célèbre, génération après génération.
Photoreportage en inside dans les chanté nwèl des Mas a Po :





