Haïti, 3e pays le plus dangereux au monde pour les journalistes.

Après la Syrie et la Somalie, Haïti occupe la troisième place des pays les plus meurtriers pour les journalistes. Selon le Comité pour la protection des journalistes c’est la première fois qu’un pays de la Caraïbe figure parmi le top 10 des endroits les plus dangereux pour la profession. #CPJ

Nul ne peut le nier, être journaliste est un métier dangereux. Attaqués, intimidés, kidnappés, emprisonnés et même assassinés, disons-le, partout dans le monde, le journalisme est un métier à haut risque. Il y a des pays où la situation est vraiment plus dangereuse que d’autres pour les professionnels de l’information. Haïti fait partie de ces territoires où être journaliste équivaut à une mort certaine. La première République noire est même le 3e pays le plus dangereux pour la profession….

Emrick LEANDRE.

Haïti, pays mythique entré dans l’histoire pour avoir été le premier pays noir indépendant suite à une rébellion menée par des esclaves africains. Premier pays à avoir dit non à la “ domination blanche” et à avoir refusé l’injustice raciale. Lumière dans la pénombre de la colonisation, pendant très longtemps Haïti a fait figure d’exemple pour nombres de nations opprimées désireuses de s’émanciper de quelconque domination occidentale. Pourtant, la Première République Noire a payé le prix de sa liberté chèrement acquise aux français, aux britanniques, aux espagnols et aux Etats-Unis. Deux cent dix-huit ans après ce haut fait d’armes, l’ancien pays précurseur de la liberté des peuples noirs esclavagisés n’est plus que l’ombre de lui-même. Depuis la fin du régime autoritaire des Duvaliers père et fils, François et Jean-Claude, la nation haïtienne lutte constamment pour sa survie.

Entre les cyclones destructeurs et les tremblements de terre meurtriers comme celui de 2010 de magnitude 7,0 à 7,3 dont le bilan est de deux cent quatre-vingt mille morts, trois cent mille blessés et 1,3 millions de sans-abris. Depuis cet événement tragique, le pays caribéen peine à se relever. Pire, il s’enfonce dans une crise sociétale sans précédent.

Entre pauvreté grandissante, économie entravée, instabilité et violence politique, l’autre affliction d’Haïti est bien entendu la violence orchestrée par les gangs qui se disputent le territoire de Port-au-Prince. Le pays francophone des Grandes Antilles connaît depuis environ une décennie une situation d’insécurité grandissante et alarmante.

Vingt-cinq ans après le retour de la démocratie. Douze ans après le terrible tremblement de terre de 2010, Haïti semble plonger de plus en plus dans le chaos. Pauvreté extrême, violence, kidnapping et guerre des gang sont le lot quotidien des Haïtiens. Mais il en va sans dire que, depuis la mort du président Jovenel Moïse tué par un commando armé, la situation déjà très difficile, est devenue incontrôlable.

En effet, la lutte pour le contrôle des territoires que se font ces gangs politisés et proches de certains partis politiques, a des accents de guerre civile qui ne dit pas son nom. Longtemps cantonnés dans les zones très défavorisées du bord de mer de Port-au-Prince, les groupes armés ont grandement accru leur emprise à travers la ville et certains gagnent même l’intérieur du pays depuis l’automne 2020. Multipliant assassinats et enlèvements crapuleux. Ils n’ont pas de peine à recruter massivement parmi les jeunes chômeurs des quartiers défavorisés des villes et communes de la partie francophone d’Hispaniola.

En première ligne de cette flambée de violence, les journalistes tentent tant bien que mal de faire leur travail. Toutefois, leur métier n’est pas sans risque. Entre les menaces à leur intégrité physique qui débouchent bien souvent à des enlèvements ou des tentatives d’assassinats voire carrément des assassinats. Les gangs ne sont pas la seule menace. Même la police assassine les professionnels de l’information. Nul ne va sans dire qu’en Haïti, être journaliste est un métier à très haut risque.

Selon le CPJ (Comité pour la protection des journalistes) basé à New York, c’est la première fois qu’un pays de la Caraïbe figure parmi le top 10 des endroits les plus dangereux pour les journalistes. Après la Syrie et la Somalie, Haiti occupe la troisième place des pays les plus meurtriers pour la profession. D’ailleurs, toujours selon le Comité international, en 10 ans, de septembre 2013 à août 2023, 261 journalistes ont été assassinés dans le monde en raison de leur travail. Dans 80% des cas, les tueurs courent toujours.

Le Comité pour la protection des journalistes a publié son classement annuel de l’impunité en prévision de la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, organisée par les Nations unies ce (2 novembre). Comme le note, le Comité, les conflits, la corruption, l’insurrection, une mauvaise application de la loi, et le manque d’intérêt politique pour punir ceux qui sont prêts à tuer des journalistes indépendants sont tant de raisons qui font que ces pays ne poursuivent pas les assassins de journalistes. Parmi ces États se trouvent des démocraties et des autocraties, des nations en proie à la tourmente et d’autres ayant des gouvernements stables. Certains sortent d’années de guerre, mais le ralentissement des hostilités n’a pas mis fin à la persécution des journalistes. Et à mesure que l’impunité s’installe, elle témoigne d’une indifférence susceptible d’enhardir les futurs assassins et de saper le journalisme indépendant, car les journalistes alarmés fuient leur pays, réduisent leur couverture médiatique ou quittent complètement la profession.

D’ailleurs, selon le CPJ ( Comité pour la Protection des Journalistes), Haïti se classe désormais au troisième rang mondial des pays où l’impunité est la plus grande, derrière la Syrie et la Somalie. La Somalie, ainsi que l’Irak, le Mexique, les Philippines, le Pakistan et l’Inde, figurent chaque année dans l’indice depuis sa création. La Syrie, le Soudan du Sud, l’Afghanistan et le Brésil y figurent également depuis des années, ce qui donne à réfléchir sur la nature persistante et pernicieuse de l’impunité. Dans le passé, le Mexique était le pays de la région Caraïbe/Amérique latine le plus dangereux pour exercer le métier de journaliste. Aujourd’hui relégué à la 7e place.

Selon Jodie Ginsberg, présidente du Comité : « Alors que dans le monde les meurtres de journalistes restent impunis dans près de 80 % des cas, tant dans les démocraties que dans les pays autoritaires, le message est clair : les journalistes sont des proies faciles.»

« Le meurtre est la forme ultime de la censure. Des enquêtes locales rapides, transparentes et indépendantes sont essentielles. La volonté politique peut changer le cours de la justice pour mettre fin à l’impunité généralisée dans les cas de journalistes tués pour leur travail », a poursuivi Mme Ginsberg.

En ce qui concerne, Haïti, l’entrée de la République caribéenne dans l’indice fait suite aux meurtres non élucidés de six journalistes depuis 2019. Cinq ont été tués en 2022 et 2023, parmi les centaines d’Haïtiens tués par les gangs criminels qui ont pris le contrôle d‘une grande partie de Haïti, alors que le pays est en proie à une crise économique aggravée par une série de catastrophes naturelles et au vide politique laissé par l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Des journalistes haïtiens ont également été kidnappés et forcés de fuir leur domicile, de peur que leur travail ne les expose à un plus grand risque que les autres civils. (Pour en savoir plus sur les conditions en Haïti, cliquez ici.) 

En 2022, 9 journalistes tués en Haïti

Frantzsen Charles de FS News Haïti et Tayson Lartigue de Tijén Jounalis ont été tuées par balle le même jour à Cité Soleil.

John Wesley Amady de Radio Écoute FM et Wilguens Louis-Saint de Télé Patriote, Tambou Verité ont été assassinés près de Petion-Ville aux alentours de Port-au-Prince.

Maximilien Lazard, journaliste de « Roi des Infos » a été tué par les balles tirées par les agents de police lors d’une manifestation des salariés du secteur textile qui revendiquaient une revalorisation de salaire.

Le photojournaliste Romelson Vilcin a été lui aussi tué par une balle de la police alors qu’il couvrait une manifestation.

Le journaliste Roberson Alphonse, rédacteur du quotidien Le Nouvelliste a survécu à une attaque. Sa voiture a reçu plusieurs impacts de balles. Après 8 huit jours à l’hôpital pour soigner ses blessures, Roberson Alphonse a quitté le pays.

En 2019 Néhémie Joseph, journaliste à Radio Panic FM et Radio Méga a été retrouvé mort dans le coffre de sa voiture près de la ville de Mirebalais. Il a reçu plusieurs balles à la tête.

En 2023, au moins 5 journalistes ont dû fuir leurs domiciles avec leurs familles à cause de la violence des gangs. Les maisons de ces journalistes ont été incendiées.

Dans l’Artibonite, le propriétaire et les employées de Radio Antarctique ont dû fuir les gangs qui ont attaqué et brûlé les studios de la station.

D’autres journalistes haïtiens ont été enlevés puis libérés contre le paiement d’une rançon. Le système judiciaire ne fonctionne pas en Haïti pas plus que les institutions. L’assassinat en 2000 du journaliste Jean Dominique et la disparition en 2018 de Vladjimir Legagneur n’ont pas été élucidés.

Le matin du 16 avril 2023 est la dernière fois que Dumesky Kersaint, père de famille âgé de 31 ans qui travaillait pour Radio-Télé INUREP, a été vu en vie. Son corps a été retrouvé quelques heures plus tard avec une balle dans la tête. Selon les témoins, Dumesky Kersaint prenait des photos d’une scène de crime au moment de sa mort. Ses assassins courent toujours.

Comme le note le site oeil-maisondesjournalistes, en Haïti, la croissante popularité de certains membres et chefs de gang commence à peser lourdement dans l’opinion publique. Y voyant une certaine légitimation, les bandits n’hésitent pas à se mettre en scène dans des clips musicaux enregistrant des milliers de vues et d’abonnés. « Ils sont sur tous les réseaux sociaux : Twitter, Tik Tok, Facebook… Ils ne se cachent pas, dévoilent leur visage, car ils vivent dans l’impunité la plus totale. Certains sont devenus des blogueurs ou des stars des réseaux sociaux ! » A l’instar d’Izo Lucifer, accusé de multiples assassinats mais avec 80.000 abonnés sur Tik Tok

Pourtant, les journalistes haïtiens continuent d’accomplir leur travail malgré les difficultés à l’image de notre consoeur Lovelie Stanley Numa créatrice du média Impulse Webmedias que nous avions interviewé justement à ce sujet. Lovelie Stanley Numa nous raconte le difficile métier de journaliste en Haïti. (thelinkfwi.com)