Ce 21 avril est un jour historique en France. En effet, longtemps infantilisées et privées de leurs droits civiques, le 21 avril 1944, les Françaises ont obtenu le droit de voter au même titre que leurs pères, frères et maris. Le droit de vote des femmes en France est le fruit d’un long combat mené durant des décennies. Malgré cet aboutissement, les inégalités entre citoyens des deux sexes sont encore très présentes dans notre société.
Si de nos jours, pour une femme aller voter, se présenter à une élection locale comme régionale ou présidentielle est une chose normale, n’oublions pas que c’est le fruit d’un très long combat mené durant des décennies. Au point qu’aujourd’hui, nous vivons dans une société en apparence basée sur l’égalité. Les femmes comme les hommes sont sur le même pied d’égalité sur la question des droits civiques.
La lutte pour le droit des femmes commence à la Révolution française. Dès 1791, dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges milite pour l’émancipation de la femme, pour la reconnaissance de sa place sociale et politique. Mais la lutte prend une ampleur significative au début du XXe siècle.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les femmes, qui avaient été appelées à occuper des emplois traditionnellement réservés aux hommes pendant la guerre, prouvent leur capacité à prendre des responsabilités publiques et sociales. La revendication pour le droit de vote des femmes est alors relancée. En 1919, un projet de loi, impulsé par le Conseil national des femmes françaises et par divers groupes féministes, est déposé. Le Sénat le réfute, malgré la validation de la Chambre des députés. Les féministes renouvellent leur initiative en 1925, 1932 et 1935, sans succès.
Dans les années 30, des militantes multiplient les actions féministes pour interpeller la société sur la question du droit de vote des femmes. Louise Weiss, brillante journaliste, mène plusieurs actions spectaculaires : invasion de l’hippodrome de Longchamp avec des suffragettes, manifestations, candidature aux municipales de 1935 et aux élections législatives de 1936.
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans l’histoire du droit de vote des femmes en France. Engagées au sein de la Résistance, les femmes jouent un rôle majeur dans le conflit. Les débats autour de la question du suffrage féminin se multiplient. En 1942, Charles de Gaulle donne son aval pour une ébauche de projet politique allant dans ce sens, après avoir reçu à Londres un représentant de la Résistance intérieure. Le Parti communiste français milite à son tour pour le droit de vote des femmes. Il faudra toutefois attendre l’aube du printemps 1944 pour que la mesure vienne s’inscrire de façon durable dans les textes de la loi française.

21 avril 1944 : droit de vote accordé
C’est par une ordonnance, signée de la main de Charles de Gaulle depuis Alger, et rédigée par le Comité français de libération nationale, que le droit de vote est officiellement accordé aux femmes en France, le 21 avril 1944.
L’article 17 de l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose ainsi que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
Quelques mois plus tard, le Gouvernement provisoire de la République française confirme ce nouveau droit accordé aux femmes. Rédigé et adopté en 1946, le préambule de la Constitution de la IVe République rappelle que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme« .
29 avril 1945 : les Françaises votent pour la première fois dans toute la France :
Un an après avoir acquis le droit de vote, les femmes françaises font valoir leur droit pour la première fois lors des élections municipales d’avril 1945. Le taux de participation à ce premier vote est élevé. Environ 60% des femmes inscrites sur les listes électorales se rendent aux urnes. Un chiffre comparable à celui des hommes, et ce malgré l’absence de véritable préparation électorale pour ces électrices qui n’avaient jamais participé à un vote national auparavant. Un bouleversement sociétal partout sur le territoire français.
A l’image de la France métropolitaine, dans les plus vieilles colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion, qui deviendront département en 1946, ce droit s’applique également en Guadeloupe, ce droit s’applique également. Dans une société post-esclavagiste et post-coloniale, c’est une véritable révolution. La voix des femmes compte au même titre que les hommes. Sur place, l’accès à la citoyenneté ne garantit pas l’égalité réelle : beaucoup de femmes antillaises restent marginalisées socialement et économiquement. Les taux d’alphabétisation étaient plus bas chez les femmes, ce qui a limité leur participation politique au début.
Cependant, Guadeloupéennes, Martiniquaises, Guyanaises ou Réunionnaises se sentent concernées par cette évolution puisque depuis plusieurs décennies, nombreuses sont celles qui se sont impliquées dans des mouvements syndicaux ou féminins, comme à la CGT ou dans des groupes catholiques. D’autres ont lutté pour les droits sociaux : éducation, santé, conditions de travail. L’engagement féminin reste souvent invisibilisé, mais il a existé dès les premières années du droit de vote. Dans ces terres de misère, les femmes ont dû faire face au mépris des élites politiques et économiques masculines locales et les autorités coloniales. Elles ont dû bataillé contre les structures sociales racialisées qui les maintenaient dans des rôles subalternes.
Pourtant quelques unes ont réussi à entrer dans l’histoire locale comme nationale.
Ces femmes qui ont marqué le paysage politique et intellectuel antillais :

C’est le cas de Gerty Archimède, qui est l’une des plus grandes figures politiques de ces Outre-mer. Elle fut la première femme avocate en Guadeloupe en 1939, devenant ainsi la première femme avocate des Antilles françaises. Engagée en politique au parti communiste, elle devint, en 1946, deux ans après que les femmes eurent le droit de voter et d’être élues (ordonnance du 21 avril 1944), la seconde Afro-descendante à entrer à l’Assemblée nationale (après Eugénie Éboué). Militante féministe active, elle deviendra maire-adjointe (1953) puis maire de Basse-Terre. C’est Gerty Archimède qui, en août 1969, évita à l’activiste afro-américaine Angela Davis, et à ses camarades, d’être arrêtés pour propagande anticolonialiste, alors qu’ils étaient de passage en Guadeloupe.

Autre figure majeure féministe et politique, qui a marqué l’histoire de son vivant, Eugénie Eboué-Tell. Femme du Gouverneur Félix Eboué qui sera le premier Gouverneur d’une Colonie à rejoindre la résistance conduite par le Général De Gaulle. Cette petite-fille d’esclave et fille d’d’Hypollite Herménégilde Tell, le premier directeur noir du bagne de Guyane, née le 23 novembre 1889 à Cayenne en Guyane-Française a marqué l’histoire de toute une nation mais étant une femme qui plus est une femme noire, elle est restée dans l’homme de son charismatique mari qu’elle épousa en juin 1922 alors que Félix Eboué était membre du corps des administrateurs coloniaux. Elle quitte sa terre natale afin de suivre mais aussi seconder son mari dans des tâches administratives liés à ses fonctions en Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine), au Soudan français (actuel Mali) et aux Antilles. Tous deux adhèrent à la SFIO, s’intéressent aux langues et cultures des pays qu’ils fréquentent, et détonnent dans le milieu colonial au sein duquel ils vivent.
L’appel du 18 juin 1940 provoque un tournant important : gouverneur du Tchad, Félix Eboué rallie le pays à la France Libre. Cette décision marque l’entrée en Résistance d’Eugénie, de Félix Eboué et de leurs enfants répartis entre la France et le continent africain, aux côtés du Général de Gaulle. Eugénie Eboué s’engage dans les Forces française libres féminines comme infirmière à l’hôpital militaire de Brazzaville au Congo jusqu’en 1944, un engagement qui lui vaudra la Croix de guerre et la médaille de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Veuve dès 1944, elle s’engage en politique à la Libération, sous l’étiquette socialiste et en utilisant désormais le double patronyme d’Eboué-Tell, déléguée à l’Assemblée consultative provisoire puis députée de Guadeloupe des deux Assemblées nationales constituantes entre 1945 et 1946. Tout en s’appuyant sur la mémoire de son époux, très vivace dans l’après-guerre, elle défend également les réformes sociales et économiques du gouvernement provisoire auprès de son électorat en Guadeloupe. Partisane de l’assimilation juridique des territoires d’outre-mer, elle participe au débat sur la loi de départementalisation, qui sera votée en mars 1946. Battue aux législatives de 1946, elle est élue quelques mois plus tard au Conseil de la République (le Sénat de la IVème République), jusqu’en 1952, siégeant d’abord comme socialiste puis comme gaulliste après 1947 à la Commission à l’Education Nationale, à la Commission à l’Intérieur ainsi qu’à la Commission des Outre-mer qu’elle présidera jusqu’en 1951. Dans ses fonctions, elle contribue aussi à l’entrée au Panthéon de Victor Schœlcher et de son mari, en 1949.
Elle s’exprime également sur l’insurrection à Madagascar, sur la loi d’amnistie du 5 janvier 1951 sur les crimes de la Deuxième Guerre mondiale, sur l’égalité dans les départements d’outre-mer, notamment des femmes, en matière de sécurité sociale, de retraite, de congés maternité. Elle défend aussi l’égalité entre les enfants nés de femmes africaines et de soldats français et les enfants français de métropole. Si elle quitte le Parlement en 1952, elle poursuivra ses engagements à l’Assemblée de l’Union Française, au Conseil économique et social et au sein du conseil municipal d’Asnières. Elle meurt 20 novembre 1972, à 82 ans, après une vie d’engagements et de combats pour la liberté et l’égalité, qui lui ont valu d’être élevée au rang de commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur ainsi que dans les ordres du Tchad et de la Côte-d’Ivoire.
Depuis plusieurs années, elle fait l’objet d’une campagne pour la faire entrer au Panthéon, où elle rejoindrait son mari qui y repose déjà. Longtemps reléguée dans son ombre, elle est aujourd’hui redécouverte comme une femme engagée, porteuse d’une certaine histoire des outre-mer et héritière des combats de la Résistance et de la France Libre sous les 4ème et 5ème Républiques.

Comment omettre le combat acharné de l’écrivaine et journaliste Suzanne Césaire, femme d’Aimé Césaire, chantre de la négritude qui, officiait dans l’ombre de son charismatique de mari pour la cause des femmes à la Martinique. Cofondatrice de la revue Tropiques, aux côtés d’Aimé Césaire et René Ménil et dont elle fut la cheville ouvrière principale en contribuant à son succès, au point d’en faire l’un des magazines littéraires les plus influents. Militante active féministe, elle n’a eu de cesse d’écrire sur la condition des femmes, la colonisation, l’identité antillaise. Bien que non engagée dans un parti, elle a posé les bases théoriques d’une pensée décoloniale féminine car sa plume a contribué à éveiller une conscience politique chez de nombreuses femmes antillaises de l’époque.

La Martiniquaise Jane Léro peut aussi être citée parmi ces femmes d’histoire. Militante féministe, anticolonialiste et communiste, elle est pourtant méconnue de ces compatriotes. Née dans une famille de la bourgeoisie noire locale, elle a accès à l’éducation, fait rare dans cette Martinique des années 1930. Adolescente, elle intègre le Pensionnat colonial des jeunes filles de Fort-de-France. En 1938, Jane Léro obtient le prix d’honneur en mathématiques et en sciences du lycée Schoelcher. Elle souhaite alors poursuivre ses études supérieures en France, mais seuls ses deux frères Etienne et Thélus, y sont autorisés. De cette différence de traitement naît un premier engagement contre les inégalités femmes-hommes. L’entrée de la France dans la Seconde Guerre mondiale et l’incendie de l’épicerie familiale en 1940, mettent définitivement un terme à ses espoirs de terminer son parcours universitaire à Paris. Elle travaille quelques mois dans une banque avant de s’installer aux Terres Sainville, où accompagnée de sa mère, elle ouvre un commerce de confections et d’ouvrages artisanaux.
Le 11 juin 1944, à la tête d’un groupe de femmes de sensibilité communiste, elle se mobilise pour la création de l’Union des Femmes de la Martinique (UFM) dont elle devient la présidente. Dans un premier temps affiliée à l’Union des femmes françaises, l’association devient autonome au début des années 1960. Par ses prises de position et ses différentes actions, l’Union des Femmes de la Martinique a joué un rôle moteur dans l’histoire sociale et la place des femmes en Martinique, œuvrant ainsi pour davantage de visibilité, une égalité de droits et une meilleure prise en charge de leur besoin en santé et éducation.
En 1949, elle s’installe dans la métropole pour poursuivre des études d’assistante sociale. Elle est également à l’origine des comités de l’Ermitage et des Terres Sainville, mis en place dans les quartiers populaires de Fort-de-France.
Jane Léro décède tragiquement le 17 juillet 1961.
Toutes ces personnalités ont non seulement revendiqué le droit de vote, mais aussi posé les bases d’un féminisme enraciné, antillais, conscient de sa condition à la fois de femme, de noire, et de citoyenne d’un territoire longtemps tenu à la marge. Avec leur combat, elle ont tracé le chemin pour qu’aujourd’hui, hommes et femmes puissent vivre ensemble en bonne intelligence, mais on constate que le long chemin de l’égalité est encore loin tant les inégalités et les incompréhensions entre les deux sexes sont encore perceptibles. Comme dans l’Hexagone, aux Antilles-Guyane, la conquête ne s’est pas arrêtée aux urnes. Elle continue dans chaque prise de parole, chaque engagement, chaque femme ou chaque homme qui décide de se battre pour l’égalité.