Le 22 Mai 1848, l’esclavage était aboli en Martinique île à sucre. 176 ans après ce décret, l’ombre de l’esclavage plane toujours sur l’île, la page ne peut être tournée.
Aujourd’hui 22 mai est une date historique pour la Martinique. L’île française des Caraïbes commémore le 22 Mai 1848, jour où les esclaves se sont défaits de leurs chaînes. Chaque année, les Martiniquais rendent hommage à leurs ancêtres esclaves devenus par décret citoyens français. Habituellement, cette journée est émaillée de conférences, de marches, d’une retraite aux flambeaux, d’un vidé et de bèlè et autres manifestations symboliques, car, c’est la Martinique entière qui commémore l’abolition de l’esclavage. Il y a 176 ans, à force de révoltes et de détermination, les esclaves ont arraché eux-mêmes leur liberté, avant que le décret d’abolition ne soit voté par l’Assemblée Nationale. Retour sur une libération obtenue après deux jours d’émeutes décisives.
En Martinique comme dans les autres colonies, les esclaves n’ont jamais cessé de lutter pour obtenir leur liberté. Le 27 avril 1848, sous l’impulsion de Victor Schoelcher, un décret proclamant l’abolition de l’Esclavage dans les colonies françaises est enfin adopté. Il entre en vigueur le 23 mai en Martinique. Les esclaves doivent être affranchis dans les deux mois qui suivent. Cependant, les journées puis les semaines passent et la libération tant espérée n’arrive pas. Les esclaves craignant que ce décret ne soit factice. En effet, le rétablissement de l’esclavage huit ans après son abolition de 1794 dans les colonies de Guadeloupe, Bourbon, Tobago etc restait gravé dans les esprits. Certains bourgeois de couleur et quelques démocrates blancs s’allièrent à la cause des esclaves et entrèrent en campagne pour réclamer leur libération immédiate. Les esclaves étaient à bout, le sentiment de révolte prenait de plus en plus d’ampleur.
« ASSEMBLÉE NATIONALE.
Présidence de M. Sénard. — Séance du 22 juin.
M. L’Amiral Casy, ministre de la marine est des colonies. Il m’est parvenu ce matin des nouvelles fâcheuses des Antilles. Je crois devoir en donner connaissance à l’Assemblée pour que l’émotion publique n’aggrave pas encore le mal. (Oui ! oui !)
Voici le résumé des dépêches qui me sont parvenues de la Martinique et de la Guadeloupe :
Sans attendre l’abolition officielle de l’esclavage, on a proclamé cette grande mesure, cela a été le signal d’une grande agitation dans la Martinique; cependant l’ordre avait été maintenu jusqu’au 20 mai, mais à cette date des rassemblements se formèrent à Saint-Pierre pour demander l’élargissement des noirs arrêtés par la police. La ville a été envahie par la population noire et livrée au meurtre et au pillage.
La journée et la nuit du 22 mai ont été signalées par des actes déplorables. Une maison occupée par la famille Desabaye et de laquelle un coup de fusil avait été tiré contre les noirs a été incendiée, maîtres, enfants et domestiques, en tout 35 personnes, ont été brûlées. (Sensation.)
Vingt autres maisons ont été brûlées et de malheureuses victimes ont succombé.
Le lendemain 23, l’autorité municipale de Saint-Pierre a pris les mesures nécessaires au maintien de l’ordre et elle a publié l’arrêté suivant :
« Art. 1er. L’esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique. Le maintien de l’ordre public est confié au bon esprit des anciens et des nouveaux citoyens français. Ils sont, en conséquence, invités à prêter main forte à tous les agents de la force publique pour assurer l’exécution des lois.
Saint-Pierre, 23 mai 1848.
Le général de brigade, Rostoland. »
L’arrêté était suivi de la proclamation suivante :
« Citoyens de la Martinique, la grande mesure de l’émancipation que je viens de décréter a détruit les distinctions qui ont existé jusqu’à ce jour entre les diverses parties de la population ; il n’y a plus parmi nous de maîtres ni d’esclaves; la Martinique ne porte aujourd’hui que des citoyens. J’accorde amnistie pleine et entière pour tous délits politiques consommés dans la période du mouvement que nous avons traversée. Je recommande à chacun l’oubli du passé. Je confie le maintien de l’ordre, le respect de la propriété, la réorganisation si nécessaire du travail à tous les bons citoyens; les perturbateurs, s’il en existait, seraient désormais réputés ennemis de la République, et comme tels, traités avec toute la rigueur des lois.
Saint-Pierre, 23 mai 1848.
Le général de brigade, gouverneur provisoire, Rostoland. »
M. le gouverneur termine en m’annonçant qu’au départ de sa dépêche la situation était aussi bonne que possible.
Le gouverneur de la Guadeloupe m’écrit qu’à la nouvelle des événements de la Martinique, il a cru devoir ordonner l’abolition immédiate de l’esclavage, qui lui a été demandée par le conseil de la Pointe-à-Pître ; sa lettre se termine ainsi :
« Tout est calme autour de moi ; j’ai lieu de penser que la tranquillité ne sera troublée nulle part. »
J’ai cru devoir porter immédiatement ces faits à la connaissance de l’Assemblée.
[…]
Un membre à droite : C’est le décret intempestif du gouvernement provisoire qui est cause de tout ce sang répandu.
M. Le Président : L’Assemblée entend-elle que la communication qui vient de lui èlre faite devienne l’objet d’une discussion incidente?
Voix nombreuses : Non ! non ! »
En effet, les 21 et 22 mai 1848, l’île fut le théâtre de nombreuses émeutes. A Saint-Pierre, un esclave est arrêté et conduit en prison pour avoir joué du tambour. La nouvelle se répandit très rapidement. C’est l’embrasement. Plus de 2 000 esclaves se saisirent de coutelas, de lames et de bâtons et réclamèrent sa libération. Ils se heurtèrent à des maîtres armés de fusils.
Vingt-cinq esclaves sont tués. La vue de ces cadavres et des nombreux blessés décupla la volonté des insurgés. Ils menacèrent d’incendier toute la ville. Paniqué, conscient de son impuissance face à la détermination des esclaves, le conseil municipal se réunit d’urgence et vote l’entrée en vigueur immédiate du décret d’abolition à Saint-Pierre. Le décret entra en vigueur à l’issue de cette réunion exceptionnelle.
Le lendemain, le 23 mai, alors que des incidents similaires se déroulent dans d’autres villes de la Martinique, le gouverneur décréta l’abolition de l’esclavage et l’abandon des poursuites contre les insurgés. Conformément au décret voté à Paris, les colons furent indemnisés pour la perte de leur main-d’œuvre gratuite. Quant aux esclaves, ils ne bénéficièrent pas de ces largesses et durent survivre par leurs propres moyens. Ce qui est encore le cas pour les descendants de ces hommes et ces femmes qui durent subir, le fouet, la violence, le racisme, l’humiliation et même le viol de la part du maître;
Chaque 22 mai, les Martiniquais commémorent par un jour férié non pas l’application locale du décret, mais la révolte de Saint-Pierre qui a permis l’abolition.
La Presse, n° 48, jeudi 22 juin 1848.
« Importantes nouvelles de la Martinique. Soulèvement des hommes de couleur contre les blancs.
Des événements déplorables ont signalé les dernières journées de mai à la Martinique.
Une sourde fermentation, provoquée par des nouvelles de la métropole et par l’annonce d’une prochaine émancipation, régnait depuis quelque temps. Les esclaves étaient travaillés par les hommes de couleur, et ces excitations avaient presque complètement fait disparaître le travail.
Le lundi 22 mai, le maire de Saint-Pierre fit arrêter un esclave qui avait proféré contre son maître des menaces d’assassinat. L’adjoint, homme de couleur, fit remettre cet esclave en liberté.
Le soir, effervescence générale. Les noirs et les mulâtres descendent dans la rue. Les blancs prennent la fuite ou sont forcés de se cacher. Trois familles s’étaient retirées dans une maison du quartier du Fort. Elles se composaient de trente-trois personnes, dont sept hommes seulement. Sous prétexte que cette maison constitue un camp, les insurgés s’y introduisent en brisant des portes et des fenêtres ; ils se précipitent dans l’escalier. L’un des assaillis, M. Desabaye père, placé au haut de l’escalier, fait feu ; il tue l’un des assaillants, et tombe lui-même immédiatement frappé de mort. Des noirs munis de torches mettent le feu à la maison.
« On vit alors, nous dit notre correspondant, un spectacle digne de pitié. Les flammes s’élèvent avec une horrible furie, toutes ces familles éperdues répandent des cris lamentables ; ces pauvres femmes demandent grâce pour elles et pour leurs enfants ; des fenêtres de la maison elles présentant à la foule ces petits êtres innocents qui lui tendent les bras. Elles la prient de les sauver au nom de la liberté, au nom de la République. Des cris de vengeance répondent seuls à ces voix suppliantes. Enfin l’incendie dévore toutes intéressantes victimes, et pas un être pour les secourir, pas une autorité pour les protéger.
M. l’adjoint du maire, préposé à la police, et qui a tant d’influence sur sa classe, n’avait même pas eu la précaution de placer les moindres agents de surveillance, de sorte que l’incendie avait déjà fait de rapide progrès, lorsqu’un détachement de troupes de la ligne et la compagnie des sapeurs-pompiers sont arrivés sur les lieux, non sans beaucoup de lutte.
Un assez grand nombre de maisons sont devenues la proie des flammes ; l’incendie s’est aussi propagé par l’effet de la malveillance, dans plusieurs autres rues du Fort ; le matin même, ces brigands promenaient insolemment et impunément leurs torches dans la ville, malgré la présence du général Rostoland, arrivé vers dix heures du soir. Le mouillage a été heureusement protégé du fléau. »
Dans un autre quartier, un jeune homme, M. Fourniols (fils), assis sur le seuil de sa demeure, a été traîtreusement assassiné.
Le lendemain, le général Rostoland, gouverneur provisoire, décréta, sur l’invitation du conseil municipal de Saint Pierre, l’abolition immédiate de l’esclavage. Mais au lieu de prendre en même temps une attitude ferme et énergique, le gouverneur eut le tort de laisser croire que l’émancipation était la conquête des crimes de la nuit. Aussi l’effervescence était-elle loin d’être calmé le 25 mai, jour du départ du paquebot. »
En ce jour de commémoration, synonyme d’hommage mais aussi de fête, cette journée du 22 mai 2024 est chargée en programme.
Kout Tanbou Matinik
La CTM ka gloryé 22 mé, place de la Savane
* Mercredi 22 mai, de9h à 12h sur la Savane : danmyé, gran bèlè an mod lino, bèlè an mod lisid, bèlè an mod Baspwen, bèlè en mod Sentmari, kalenda, mizil lalin klè…
Belfontèn ka sonjé 22 mè
*Mercredi 22, front de mer
– 7h : opération 1 000 tambours
– 9h : caravane bèlè
– 15h : conférence avec Rolande Bosphore
– 17h : atelier bèlè avec Stella Gonis
– 19h : retraite aux flambeaux
Saint-Pierre : conférence théâtralisée
Mercredi 22, à 17h, place René Branbam à Saint-Pierre, l’association Mémoires Habitées et La Martinique Ensemble organisent une conférence théâtralisée consacrée à la résistance des femmes esclaves en Martinique avant l’abolition de 1848.
Anses-d’Arlet : les journées de la réconciliation
*Mercredi 22, à 7h30 : marché mémorielle à l’anse Belay – 18h dans les rues du bourg : déboulé au son du tambour et en flambeau – 19h : spectacle Racines et réconciliation
Dikos ka sonjé 22 mé
*Mercredi 22 à 17h, hôtel de ville
Cérémonie de levée de drapeau Rouge Vert Noir suivie d’une retraite aux flambeaux vers le parcours santé avec Niko Gernet – 18h30 parcours santé : « Dikos ka sonje 22 mé », spectacle vivant retraçant l’histoire de l’esclavage.
An tjè kawtié nou – Lamentin
Les membres du foyer rural de Sarrault Duchesne au Lamentin présentent : An tjè kawtié nou.
*Mercredi 22 à 6h30 : randonnée traditionnelle dans le quartier suivie d’un tinen lan-mori – Gratuit
*Samedi 25 à 19h : soirée bèlè en partenariat avec l’AM4
Mai en liberté aux Trois-Ilets
*Mercredi 22 à 6h : randonnée La route de l’esclavage – Départ entrée du golf – intervenant Serge Pain
*22 avril au 25 mai : exposition mémoire de l’esclavage, bibliothèque
*Samedi 25 à 19h30 : 10 ans de l’association Bèl ti pa bèlè sur la place du marché – Conférence sur le danmyé et le bèlè
*Vendredi 31 : cinéma en plein air sur le front de mer Le royaume de Naya
Sentan’ ka gloryé 22 mé 1848
*Mercredi 22 à 7h : opération 1000 tambours, Matnik ka lévé épi son tambou-a
– 10h-18h : Tambou an libèté tou sa ki sa jwé mizik vini gloryé 22 mé Sentàn – Plas Vincent-Placoly
– 18h : pawol épi mizik palé di istwa nou. Palé di jodi a adan an lawon mizik
22 Mé Fwanswa
*Mercredi 22 de 9h à 18h : l’AKSKTTPPM organise le 22 Mè Fwanswa kay Roda. Avec : Yaya, Senbè Trouda, Wobè Mavounza, Krisyan Jésof, Moun Bèlè, Sully Cally, Thélor Licidé, le groupe C’ Saw Di + artisanat local ek manjé antan lontan
*à 17h, ancienne gare des taxis : Son tanbou avec Lésansiel – 18h, place du Forçat : Marche aux flambeaux avec les Nèg gwo siwo et Karnival all stars – Dress code : blanc – 19h – Espace Filia : concert de Kolo Barst
*Jeudi 23 – Espace Filia
– 10h : les leçons à apprendre de la traite négrière + pratique danses et tambour du Bénin
– 19h : spectacle Racine et Réconciliation, de La compagnie Frères Gnague & Hwendo Na Bua, de la ville de Ouidah au Bénin.
Ek Nèg gwo siwo – Schœlcher
*Mercredi 22 : Marche aux flambeaux – dress code : Nèg gwo siwo – Départ à 4 heures du plateau sportif de démarche pour une arrivée au bord de mer de Fond Lahaye où un coup de senne sera tiré au son des tambours du groupe Ka Siwo + animations
Rando souvenir
*Mercredi 22 à 6h : Rando sans frontière et la maison du bèlè de Sainte-Marie proposent une randonnée souvenir sur les sentiers de la liberté à la rencontre de l’histoire. Suivie d’une animation de souvenirs historiques.
Dress code : blanc – Tarif : 20 euros (avec bus) – Inscription obligatoire au : 0696 45 55 87