La France est sans doute le pays où l’on commémore le plus les événements passés et notamment l’esclavage. Depuis les années 1980, l’idée du Devoir de mémoire a été instituée et depuis elle a fait son cheminement. Rien que pour l’esclavage, le saviez-vous qu’il existait pas moins de sept dates d’abolition de l’esclavage, principalement dans les DOM et institués en 1983 en jours fériés. Ils diffèrent d’un DOM à l’autre. Petit récapitulatif des dates clés de l’histoire de l’esclavage pratiqué en France.
12 à 18 millions. C’est le nombre estimé d’Africains déportés depuis l’Afrique Subsaharienne vers les Amériques, entre le milieu du 17ème siècle et les années 1850. Si la pratique de l’esclavage n’est pas apparue avec les Européens, ce sont bien eux qui ont initié et organisé la traite transatlantique jusqu’à étendre le commerce des humains à des régions d’Afrique dont il était absent. Basé sur une idéologie éminemment raciste, le système esclavagiste est avant tout un commerce extrêmement lucratif, tant pour les négriers que pour l’État.
Durant quatre cent ans, l’Afrique a été saignée à blanc. Des millions de ses enfants sont partis de force vers les terres d’Amérique afin d’abreuver les bouches occidentales. Quatre cent ans de misère, de racisme, de violence, de travail forcé pour le plus grand plaisir du Royaume-Uni, de la France, du Portugal, de l’Espagne et des Etats-Unis. Pays qui se sont enrichis considérablement tandis que l’Afrique, les Caraïbes et les populations noires des USA sont encore très pauvres.
Avec plus de 1,6 millions d’esclaves africains transportés vers les Antilles, la France est clairement un acteur majeur dans le commerce d’esclave. Ses ports négriers contribuèrent grandement aux progrès économiques du pays au XVII° siècle. Beaucoup de ses villes de la côte ouest, comme Nantes, Lorient, La Rochelle et Bordeaux, construisirent leur richesse grâce aux principaux bénéfices du commerce triangulaire. Entre 1738 et 1745, de Nantes, leader des ports négriers de France, 55 000 esclaves furent embarqué, dans 180 navires, pour le Nouveau Monde. De 1713 à 1775, près de 800 navires négriers partirent de Nantes. Le revenu et les taxes de la production de sucre esclavagiste sont devenus une source importante du budget national français. Chaque année, plus de 600 bateaux visitèrent les ports d’Haïti pour transporter son sucre, café, coton, indigo, cacao et consommateurs européens. Avec la Révolution de 1789, de grands changements politiques s’opèrent sur le territoire, sauf dans les territoires d’Amérique (Haïti, Guadeloupe) et l’île Bourbon (aujourd’hui La Réunion). La demande d’émancipation des noirs commencera à Saint Domingue, où les mulâtres et métisses demandèrent les même droits que les blancs. Droit qu’on leur accorda rapidement.
Face à cela, les noirs entamèrent des révoltes sanglantes pour la reconnaissance de leur droit. Il faudra attendre le 4 Février 1794 pour que la Convention, abolisse enfin l’esclavage dans toutes les possessions françaises. Cette décision aura des conséquences politiques dans les îles à sucre. Sur une proposition des députés René Lavasseur, Delacroix et Danton, l’esclavage est aboli sur tout le territoire de la République Française. A la tribune, les représentants de Saint-Domingue, principale colonie française, sont ovationnés. La loi du 16 pluviôse an II sera transgressée dès 1799 quand la traite reprendra au Sénégal. En 1802, le Premier consul Napoléon Bonaparte rétablira l’esclavage en France, ce qui aura des conséquences politiques : Saint Domingue prend son indépendance après des années de guerre en 1804 tandis qu’à la Guadeloupe, Delgrès, Ignace et les soldats noirs mourront pour leur liberté. L’esclavage sera définitivement abolit en 1848. Une abolition suivie par une très longue période déni mais désormais, chaque année, au mois de Mai, la France rend hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite négrière.
A ce sujet, la France est sans doute le pays d’Europe voire du monde qui rend le plus hommage à ces illustres ou à des événements marquants de son histoire. Pas moins de vingt dates sont consacrées au devoir de mémoire, notion apparue à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Elle illustrait cette volonté d’honorer dans un premier temps la mémoire des Français assassinés et tous ceux tombés pour le maintien de la République, tout en rendant présent leur sacrifice dans l’esprit de tous les Français et Françaises, en dénonçant les actes de barbarie dont se sont rendus coupables les assassins nazis et leurs collaborateurs français. L’autre objectif affiché au sortir du deuxième conflit mondial était d’empêcher par cette propagande et ce rayonnement, le retour des idées extrémistes qui pourraient à nouveau menacer la République. C’est au milieu des années 1980 et principalement au début des années 1990, sous la présidence de François Mitterrand que la notion du devoir de mémoire va se généraliser. Elle concernait surtout l’hommage aux victimes de la Shoah. C’est aussi à cette période que les partis d’extrême droite faisaient leur grand retour sur le devant de la scène politique nationale et avec eux l’émergence d’idées négationnistes. Il fallait donc une nouvelle fois, les contrer.
C’est au mois de mai que l’on trouve le plus de dates de commémoration historique. Disons le clairement, mai est le mois de l’histoire. En France et notamment aux Antilles-Françaises, mai est chargé en symbolisme. Comme chaque année, il y a des commémorations en l’honneur des luttes sociales menées par la classe ouvrière et le 1er mai comme dans presque toute la planète est le jour pour elle de revendiquer tout en commémorant les combats menés par les générations précédentes.
Il existe pas moins de sept dates d’abolition de l’esclavage, principalement dans les DOMS, institués en 1983 et ils sont fériés. Ils diffèrent d’un DOM à l’autre: le 27 mai en Guadeloupe, le 22 mai en Martinique, le 10 juin en Guyane, le 20 décembre à la Réunion et le 27 avril à Mayotte. Ces jours fériés ont été institués par une loi de 1983. Après une demande des assemblées locales, entérinée par Mitterrand après son arrivée au pouvoir, une circulaire détermine ces jours en fonction de jours historiques.
Mais toutes ces dates, ne sont connues que localement, dans les différentes régions. En France, le jour qui fut retenu, était alors le 27 avril, jour de l’adoption du décret Schoelcher en 1848, où «une heure devra être consacrée dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées de la République à une réflexion sur l’esclavage et son abolition», comme le prévoyait le décret d’application de la loi de 1983. Une disposition dont on doute qu’elle fut systématique appliquée, et qui fut d’ailleurs supprimée par décret en 2006.
Il faudra attendre la loi Taubira de 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. La loi prévoit qu’«en France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large». Cette date ne fut fixée que cinq ans plus tard, en 2006. Et après de multiples réflexions qui ne furent pas sans susciter des polémiques, c’est le 10 mai qui fut retenu: 10 mai pour 10 mai 2001, jour de l’adoption en dernière lecture au Sénat de la loi Taubira.
A ce calendrier s’ajoute la date du 23 mai, qu’un décret de 2008 reconnaît comme un jour de commémoration pour les Français d’Outre-mer de l’Hexagone. Une date qui peut renvoyer à la décision du gouverneur de la Martinique du 23 mai 1848, mais aussi à la marche de mobilisation du 23 mai 1998, qui initia la loi Taubira. Il y a également, le mois des Mémoires de l’Esclavage, du 27 avril au 10 juin créé par le CNMHE. S’ajoutent encore à cela les dates reconnues internationalement. Le 2 décembre, la «Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage» commémore l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une Convention pour la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, le 2 décembre 1949. Le 23 août, enfin, fut initié par l’Unesco en 1998 en souvenir de la nuit du 22 au 23 août 1791 où éclata à St-Domingue une révolte d’esclaves qui mena à l’indépendance de la première République noire Haïti.
Une preuve supplémentaire qu’une histoire aussi longue et complexe que des siècles d’esclavage et de traite transatlantique ne peut certainement pas se résumer en une date.