La mort d’Henry Kissinger marque la fin d’une époque et la fin de la domination des Etats-Unis dans le Monde.

Adulé par l’élite conservatrice du paysage politique des Etats-Unis, mais aussi détesté aussi par l’aile gauche, Henry Kissinger a marqué son temps. Figure emblématique de la géopolitique états-unienne et occidentale. L’homme est décédé paisiblement à 100 ans « dans sa maison du Connecticut ». Durant plus d’un demi-siècle, Henry Kissinger a influencé la politique étrangère des États-Unis. Il a servi douze présidents américains.

Henry Kissinger est mort ! Le monde diplomatique est en deuil. Les hommages internationaux s’enchaînent tant l’homme était une figure tutélaire. Conseiller américain, ancien conseiller à la sécurité nationale des USA de 1969 à 1973, négociateur hors pair contre le Vietnam communiste durant la guerre du Vietnam. Prix Nobel de la paix en 1973 pour avoir mis fin à la guerre au Vietnam. Figure médiatique, homme d’influence de la politique extérieure des États-Unis, architecte de la coopération Israel/ USA, organisateur du rapproche israelo arabe et penseur des coups d’Etat militaires en Amérique Latine notamment celui d’Augusto Pinochet, ou encore soutien indéfectible des différentes dictatures militaires en Asie, comme l’Indonésie de et la Corée du Sud.

Adulé par l’élite conservatrice du paysage politique des Etats-Unis, mais aussi détesté aussi par l’aile gauche, Henry Kissinger a marqué son temps. Figure emblématique de la géopolitique états-unienne et occidentale. L’homme est décédé paisiblement à 100 ans « dans sa maison du Connecticut ». Durant plus d’un demi-siècle, Henry Kissinger a influencé la politique étrangère des États-Unis. Il a servi douze présidents américains de Richard Nixon à Gerald Ford avant de passer dans le privé avec son entreprise de conseil. Malgré son âge avancé, l’homme à la voix rocailleuse et au fort accent allemand fut était encore consulté récemment par toute la classe politique et reçu à travers le monde par des chefs d’Etat ou pour des conférences.

Dernier exemple en date, il s’était rendu en juillet à Pékin pour rencontrer le président chinois Xi Jinping, qui avait salué un « diplomate de légende » pour avoir permis le rapprochement dans les années 1970 entre la Chine et les Etats-Unis.

Secrétaire d’Etat et Conseiller politique de haut rang, Henry Kissinger est pourtant né loin des Etats-Unis. C’est en Allemagne en 1923 que Heinz Alfred Kissinger voit le jour. Il grandit à Furth en Bavière dans une famille juive avec un père instituteur et une mère, femme au foyer. Son enfance et son adolescence se passe dans une Allemagne exsangue défaite par la Première Guerre Mondiale mais gagnée par l’antisémitisme et l’avènement du nazisme porté Adolf Hitler.

Les études d’Heinz et Walter sont brutalement interrompues lorsque les nouvelles lois du Reich ferment l’accès des écoles publiques aux juifs alors que le père, Ludwig, a déjà été mis prématurément à la retraite (il touche alors une pension qu’il percevra jusqu’à sa mort en 1982, à l’âge de 95 ans). Pressentant l’horreur qui s’annonce, les Kissinger embarquent du Havre, en France, pour New York le 10 août 1938, trois mois seulement avant la Nuit de Cristal qui annonce le génocide auquel ne survivront pas certains de leurs cousins qui se croyaient protégés par le fait d’avoir été décorés sous l’uniforme allemand durant la Première Guerre mondiale.

Rescapé de l’Allemagne nazie, son irrésistible ascension lui avait permis d’avoir l’oreille des présidents et le respect de ses adversaires, un parcours qui n’est cependant pas exempt de controverses. En près d’un siècle d’existence, ce diplomate érudit et manœuvrier aura en effet vécu de près tous les bouleversements de l’histoire, de l’Allemagne nazie qu’il a fui en 1938 avec ses parents à l’âge de 15 ans jusqu’à l’instauration du nouvel ordre mondial qu’il a dessiné avant et même après la chute de l’URSS et la prolifération du terrorisme international.

Une fois à New York, la famille Kissinger s’installe dans le Bronx où le père trouve un emploi de comptable, alors que les deux fils reprennent leurs études à Manhattan. Heinz, devenu Henry (et Harry pour les intimes), n’a pas encore 20 ans en février 1943 lorsque après avoir obtenu sa naturalisation américaine, il interrompt à nouveau ses études pour suivre une formation militaire. Sa parfaite maîtrise de sa langue maternelle – il conservera d’ailleurs tout au long de sa vie un très fort accent germanique – ajoutée à son intelligence supérieure lui vaut d’être envoyé en Europe pour faire du renseignement au sein de la 84e division d’infanterie qu’il rejoint deux mois après le Débarquement, en septembre 1944. Promu sergent, il participe à la Bataille des Ardennes et à la dénazification en Rhénanie puis à Hanovre, se voyant au passage décorer de la Bronze Star, la quatrième plus haute décoration des armées américaines.

Une fois rentré aux États-Unis, il intègre Harvard, haut-lieu de l’enseignement universitaire américain où il va passer la première partie de sa deuxième vie, d’abord en tant qu’étudiant brillant (licence en science politique en 1950, maîtrise en 1952, doctorat en 1954), puis comme professeur émérite après une thèse très remarquée sur Metternich. Tout en gardant un pied à l’université, il intègre dès 1955 le Conseil de sécurité nationale en tant que consultant, ses premiers pas à la Maison Blanche. Devenu très proche du gouverneur de New York (et futur vice-président des États-Unis sous Gerald Ford) Nelson Rockefeller, Henry Kissinger évolue dès lors dans les arcanes du pouvoir où il va approcher tour à tour les présidents Eisenhower, Kennedy, Johnson jusqu’à Gérald Ford.

À la fois initiateur pragmatique de la « Realpolitik américaine » et véritable « faucon », Henry Kissinger est un de ces personnages complexes qui attirent l’admiration ou la haine. D’ailleurs, ce poste de Conseiller lui confère des pouvoirs inégalés car comme le souligne RFI :

  » ce poste de « conseiller » se situe très haut dans la hiérarchie du pouvoir américain puisque le Conseil de sécurité nationale ne comprend statutairement que quatre personnes autour du président des États-Unis : le vice-président, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le secrétaire d’État à la Défense et, donc, le conseiller, Kissinger dans ce cas précis. »

RFI

L’homme prend sa pleine puissance au milieu de la Guerre du Vietnam et en pleine Guerre froide, une période difficile pour les Etats-Unis empêtrés dans la terrible Guerre du Vietnam dont Washington ne trouve aucune issue. Les temps sont durs à Washington, ce qui permet à Kissinger de s’imposer comme l’homme de la situation au détriment du secrétaire d’État en poste, William P. Rogers. Il va ainsi finir par imposer sa stratégie de sortie du Vietnam. Une position critiquée puisque durant les dures négociations entre Washington et Hanoï, le territoire nord-vietnamien subira les pires bombardements de l’histoire contemporaine, plus que l’Allemagne Nazie et l’Empire Japonais durant la Deuxième Guerre Mondiale. Malgré tout, son engagement à mettre fin au conflit lui confèrera le Prix Nobel.

La signature de l’armistice au Vietnam vaudra à Le Duc Tho (g) et Kissinger (d) le prix Nobel de la paix 1973.

C’est aussi lui qui a mis en place la politique de  » détente » entre les Etats-Unis et l’URSS. Il  négocia avec l’URSS le traité SALT sur la limitation des armes stratégiques dans le but évidemment de mettre un frein à la course aux armements. Parallèlement, il entame en secret un rapprochement diplomatique avec la Chine, pays dont il va devenir, au fil des ans, un expert avisé, témoin son livre De La Chine, paru en 2011. Ce travail de l’ombre débouche sur la visite de Richard Nixon à Pékin fin février 1972, la première visite d’un président américain en République populaire. 

Après la réélection de Richard Nixon la même année, il apporte la touche finale aux Accords de Paris, qui scellent, le 27 janvier 1973 dans la capitale française, l’armistice entre les États-Unis et les différentes forces en présence au Vietnam, mettant ainsi un terme à dix ans de conflit. Malgré tout, son engagement à mettre fin au conflit lui confèrera le Prix Nobel 1973 conjointement avec le nord-vietnamien Le Duc Tho, le même homme qui mènera les communistes vietnamiens à la victoire de 1975 lorsque les hommes de Hanoï déferleront sur Saïgon, aujourd’hui nommée Ho-Chi-Min Ville du nomme de Ho Chi Min père fondateur de la République communiste.

Après lui avoir officiellement confié le poste de secrétaire d’État, Nixon lui donne également carte blanche pour négocier avec l’Égypte et Israël après la Guerre du Kippour fin octobre 1973, un conflit qui a suscité de nouvelles tensions américano-soviétiques et qui va provoquer le premier choc pétrolier, suite à l’embargo des pays arabes à destination des pays occidentaux.

Henry Kissinger a mis le mot ‘détente’ au goût du jour dans les années 1970 lors de ses rencontres avec le N.1 soviétique Leonid Brejnev.

Incomparable gestionnaire de crise, son aura est à son paroxysme si bien que Kissinger est élu homme le plus sexy de l’administration et fait même la Une de Playboy. Pourtant au delà du succès, l’homme est fortement critiqué sur son soutien à des coups d’Etat militaires notamment en Amérique Latine comme au Chili où il a appuyé le coup de force du général Augusto Pinochet contre le président socialiste démocratiquement élu Salvador Allende ( imputé par la CIA) ou encore son appui à l’invasion militaire du Timor Oriental par l’Indonésie de dictateur Suharto (soutenue par les États-Unis). Ces trois tragédies historiques lui seront notamment reprochées dans deux livres à charge Les Crimes de Monsieur Kissinger du britannique Christopher Hitchens (2001) qui l’accuse de crimes de guerre et The Flawed Architect (L’Architecte Défaillant) du Finlandais Jussi Hanhimäki (2004).

Après des années d’activités politiques, il est mis à l’écart par le nouveau président Ronald Reagan qu’il avait pourtant soutenu lors de sa campagne. Eloigné des sphères de décision pour la première fois depuis près de vingt ans, l’ancien secrétaire d’Etat retourne alors enseigner à Georgetown, université basée à Washington.

En quasi retraite politique, Kissinger va user de toutes ses relations pour entamer une troisième vie très lucrative à la tête de Kissinger Associates, un cabinet de conseil juridique où il a pour clients des multinationales comme American Express, Coca-Cola, Lockheed ou Fiat, notamment pour la négociation de leurs contrats à l’étranger. Ses partenaires au cabinet se nomment entre autres Paul Bremer, Lawrence Eagleburger, Timothy Geithner, Bill Richardson ou Brent Scowcroft, rien que des personnalités de premier plan. Parallèlement, il entre au conseil d’administration de nombreuses entreprises, mais aussi à celui de la défunte Ligue Nord-américaine de football (NASL) car ce grand fan de Franz Beckenbauer (qu’il contribua à faire venir au New York Cosmos au début des années 1980) a gardé de son enfance en Bavière une ardente passion pour le ballon rond.

En parallèle de sa vie politique et universitaire active, Kissinger fut un auteur à succès. Il a eu le mérite d’avoir publié neuf livres entre 1981 et 2014, dont le très épais Diplomatie (900 pages) en 1994, La Nouvelle Puissance Américaine en 2001, De La Chine en 2012 et L’Ordre du Monde en 2014, tous considérés comme des ouvrages de référence, chacun dans leur domaine.

Malgré son éloignement de la vie politique, il garde une grande influence considérable au point d’être souvent consulter par les faucons de la Maison Blanche. Par exemple, il fut nommé par le président George W. Bush au sein de la commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001, il finit par renoncer quand on lui demande de révéler le nom de ses clients chez Kissinger Associates pour éviter tout conflit d’intérêt. Kissinger continuait de maintenir le canal de discussion entre Pékin et Washington.

Adulé par l’élite conservatrice du paysage politique des Etats-Unis, mais aussi détesté par l’aile gauche, Henry Kissinger a malgré tout marqué son temps. Au point que les hommages internationaux s’enchaînent notamment en Chine où il était nommé « Ji Xin Ge » traduction  » grand ami » « C’est un ami de la Chine, on le voyait beaucoup dans ma jeunesse », nous confiait toute à l’heure une septuagénaire en faisant son marché. L’« amitié » un terme également employé par le numéro un chinois cité par le Global Times : « Nous n’oublions jamais nos vieux amis, ni vos contributions historiques à la promotion des relations sino-américaines et au renforcement de l’amitié entre nos deux peuples »

« Nous n’oublions jamais nos vieux amis, ni vos contributions historiques à la promotion des relations sino-américaines et au renforcement de l’amitié entre nos deux peuples »

Xi Jinping.

D’ailleurs de son vivant, Kissinger a fait au moins cent voyages à Pékin où il rencontrait régulièrement les officiels du Parti Communiste Chinois. La première fois en 1971, la dernière en juillet 2023. Il a 52 ans lorsqu’il vient préparer la visite de Richard Nixon, prémices à la reconnaissance de la Chine de Mao par les États-Unis et à l’établissement des relations bilatérales en 1979.  Une proximité avec Pékin marquée encore lorsque l’ancien géant de la diplomatie américaine critiquait la guerre commerciale États-Unis-Chine sous l’administration Trump, facteur selon lui d’instabilité et potentiel déclencheur d’une troisième guerre mondiale.

FILE PHOTO: Chinese President Xi Jinping (L) is introduced by former U.S. National Security Advisor and Secretary of State Henry Kissinger at a policy speech to Chinese and United States CEOs during a dinner reception in Seattle, Washington, U.S. September 22, 2015. REUTERS/Jason Redmond/File Photo

Alors qu’il était apprécié en Chine, dans le reste de l’Asie et du Monde, Henry Kissinger restera une figure controversée du XXe siècle et un criminel qui a soutenu les pires dictatures.