Fin de carrière politique pour Marine Lepen ( ou pas).

C’est un séisme dans le paysage politique français et européen. La sentence est tombée hier et elle est sévère. Marine Lepen, cheffe de file du Rassemblement Nationale et figure emblématique de l’extrême droite nationaliste française et européenne a été reconnue coupable de détournement de fonds publics et condamnée à quatre ans de prison, dont deux ferme aménagés sous bracelet, et à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution immédiate par le tribunal de Paris. C’est sans doute la fin de sa carrière politique et aucune succession à l’horizon puisqu’elle n’a laissé aucun mot d’ordre à ses militants.

A l’image des Kennedy, des Bush ou des Trump aux Etats-Unis, la famille Lepen est avant tout une dynastie omniprésente dans le paysage médiatique et politique français. Il y a eu le père, Jean-Marie fondateur en 1972 du parti d’extrême droite Front National. On pourrait dire que de son vivant, celui qui était originaire de la Bretagne, ouvertement raciste, antisémite, islamophobe et xénophobe fut le précurseur de de ce que nous assistons aujourd’hui en France et dans l’ensemble du Monde occidental. A savoir une extrême droite blanche raciste et décomplexée qui accède à des leviers de pouvoir inégalés.

Pour rappel, dans les années 1970, Le FN reste marginal sur la scène politique française, avec des scores électoraux faibles. Jean-Marie Le Pen se présenta à l’élection présidentielle de 1974, mais n’obtient que 0,75% des voix. C’est à partir des années 1980, une décennie marquée par le chômage et la colère ouvrière liée aux fermetures d’usine que le parti commença à gagner des voix avec un discours populiste séduisant, calqué sur celui du Parti Communiste mais dans lequel l’étranger ( généralement le noir et l’arabe) est vu comme une menace au plein emploi du bon Français et dans un même temps, un rejet de cette classe politique embourgeoisée et corrompue. La montée du FN sera pleinement favorisée par la médiatisation voulue par le président François Mitterrand dans l’optique de casser ses grands rivaux de Droite. Le pari sera réussi puisque le Front National commence à gagner en popularité, notamment lors des élections européennes de 1984 où le parti obtient 10,95% des voix et dix sièges au Parlement européen. Les années 1990 seront synonymes de conquête pour le parti jadis rejeté par la majorité des Français. En effet, lors des élections législatives de 1993 où le parti obtient 12,42% des voix et 35 sièges à l’Assemblée nationale. Cependant, le coup tonnerre interviendra lorsque Jean-Marie Lepen parviendra à se qualifier au second tour de l’élection présidentielle de 2002 face au président RPR Jacques Chirac qui gagna grâce à un sursaut national et une union de l’ensemble des partis politiques pour contrer les idées Lepenistes.

Après cette fulgurante montée, la décennie des années 2000, le FN connaît une longue traversée du désert avec des dissentions en interne et des tensions entre les ténors du mouvement. Ces oppositions couteront chères au mouvement nationaliste, Jean-Marie Le Pen se présenta à nouveau à l’élection présidentielle de 2007, mais n’obtiendra que 10,44% des voix. Au delà des contestations partisanes, il y a eu celles entre le père et la fille, Marine qui était restée longtemps dans l’ombre de son mentor et qui occupait le poste directrice du service juridique du Front National. Après un quasi coup d’état au sein du parti, celle elle parviendra à évincer son père pour accéder au poste de présidente du Front National. Une fois au pouvoir, en 2011, cette dernière s’attèlera à appliquer son programme de dédiabolisation du parti et de ses idées visant à adoucir l’image du FN et à élargir son électorat. Pour arriver à ses fins, en 2015, l’ancienne avocate spécialisée dans le droit pénal et le droit des étrangers chassa son père du parti qu’il avait fondé et trois ans plus-tard en 2018, le FN est rebaptisé Rassemblement National (RN) pour marquer une rupture avec son passé sulfureux. Au niveau des discours, là aussi, elle opéra un changement avec la fin des propos outranciers et la dialectique violente. Place à des allocutions plus policées dans lesquelles le racisme, la xénophobie sont « éclipsés  » par des termes mélioratifs comme la préférence nationale ou le localisme et l’opposition à l’Europe libérale des financiers et des banquiers.

La recette opère au point qu’en 2017, Marine Lepen est arrivée deuxième du Premier tour aux Elections Présidentielles en obtenant 7 678 491 voix, soit 21,30% des suffrages exprimés. Elle s’est qualifiée pour le second tour où elle a été battue par Emmanuel Macron, obtenant 10 638 475 voix, soit 33,90% des suffrages exprimés. Même son de cloche pour les élections législatives de la même année où le FN a obtenu lors du premier tour, 2 990 454 voix, soit 13,20% des suffrages exprimés au niveau national et au second tour, le Front National a remporté 8 sièges à l’Assemblée Nationale. Marine Le Pen a été élue députée de la 11ème circonscription du Pas-de-Calais.

Cinq ans après cette grande percée, boosté par la colère populaire contre les politiques vaccinales, le FN devenu entre temps RN réitère l’exploit lors des Présidentielles de 2022 en se hissant dans l’entre deux tours. Ainsi, au premier tour, a obtenu 8 135 456 voix au premier tour, soit 23,15 % des suffrages exprimés. Au second tour, elle a recueilli 13 288 686 voix, correspondant à 41,5 % des suffrages, marquant ainsi le meilleur score historique du parti lors d’une élection présidentielle.

Parmi les territoires où le parti de la famille Lepen a enregistré la plus grande percée c’est évidemment dans les Outre-mer. Ces régions agricoles naguère acquises à la Gauche principalement le Parti Communiste, ont opéré un changement brutal dans leur choix électoral. Délaissées et exsangues économiquement, du fait des nombreuses crises des différentes filières agricoles, avec un chômage des jeunes bien plus important qu’en France Hexagonale, une population vieillissante et une immigration clandestine importante ( NDLR : Mayotte ou la Guyane), le RN a trouvé un terreau fertile. Pour preuve, à la différences des élections précédentes, lors de l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen réalisé des scores significatifs dans plusieurs territoires d’Outre-mer, comme en Guadeloupe où elle a obtenu 69,60% des suffrages exprimés, à la Martinique la candidate RN a été plébiscité à 60,87% des voix, en Guyane : 60,70% des suffrages en son nom. Les résultats sont aussi importants à Saint-Martin et Saint-Barthélemy : 55,42% des voix, à Saint-Pierre-et-Miquelon 50,69% des suffrages et c’est aussi le cas dans l’Océan Indien où sur l’île de La Réunion, elle est parvenu en tête des suffrages avec 59,57% des voix ainsi qu’à Mayotte : 59,10% des suffrages obtenus. Cette tendance s’explique en partie par un vote « anti-Macron », notamment dans les Antilles, où la gestion de la crise sanitaire et les mesures gouvernementales ont suscité un mécontentement significatif.

L’affaire des assistants parlementaires européens: le procès de Marine Le Pen et du RN :

Toute cette omniprésence médiatique nous avait fait oublier que depuis sept ans, le Rassemblement National et sa cheffe de file mais aussi plusieurs cadres et anciens membres de haut rang étaient au centre d’une enquête judiciaire basée sur des accusations de détournement de fonds reposant sur des emplois fictifs d’assistants parlementaires au Parlement européen.

Entre 2004 et 2016, des eurodéputés du FN auraient employé des assistants parlementaires rémunérés par des fonds européens. Cependant, il est reproché à certains de ces assistants d’avoir travaillé principalement pour le parti en France, plutôt que pour des activités liées au Parlement européen. Cela aurait permis au parti de bénéficier d’un financement indirect par le Parlement européen. Ce qui constituerait un détournement de fonds publics.

L’affaire a débuté en 2015 suite à un signalement du Parlement européen mais c’est à partir de 2016 que tout va s’accéler. En effet, en décembre 2016, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour « abus de confiance » et « escroquerie en bande organisée ». Cette enquête a conduit à la mise en examen de plusieurs membres du RN, dont Marine Le Pen, présidente du parti, pour détournement de fonds publics. Bien entendu, lors des différentes auditions les accusés ont nié les faits qui leurs étaient reprochés.

Le procès s’est tenu du 30 septembre au 27 novembre 2024 devant le tribunal correctionnel de Paris. Une vingtaine de personnes étaient sur les bancs des accusées dont Marine Lepen. Le verdict est tombé hier et il est sévère (mais juste) au point de déclenché un véritable séisme politique sur la scène nationale.

Le tribunal de Paris a déclaré, lundi 31 mars, coupables de détournement de fonds publics les neuf eurodéputés du RN, dont Marine Le Pen qui a été reconnue coupable de détournement de fonds publics et condamnée à quatre ans de prison, dont deux ferme aménagés sous bracelet, et à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution immédiate par le tribunal. Les douze assistants jugés à leurs côtés ont, eux aussi, été déclarés coupables de recel. Le tribunal a estimé que le préjudice total était de 2,9 millions d’euros.

Dès l’énoncé du verdict, Marine Le Pen a dans un premier fuit la salle d’audience et les journaliste avant de dénoncer une « décision politique ». La cheffe du RN a appelé à ce que « la justice se hâte » pour lui permettre d’être jugée en appel à temps pour la présidentielle de 2027. Pour elle et son conseil, « L’État de droit a été totalement violé » par « une décision politique ».

Interviewée par Gilles Boulot, la leader du RN a parlé d’une cabale contre sa personne, se présentant comme innocente des faits qui lui ont été reprochées sauf que les preuves étaient là, elle était à la tête du parti, elle savait bien ce qui se jouait, elle ne pouvait ignorer vu que tout passait par elle. D’autre part, parmi les éléments à charge, un mail de juin 2014 envoyé à la présidente du parti disant : « Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen », l’alerte le trésorier, Wallerand de Saint Just, lui aussi poursuivi. Des eurodéputés ont, eux, témoigné qu’au cours d’une réunion à la même période, Marine Le Pen aurait exigé qu’ils « recrutent un seul assistant par eux-mêmes, le reste de leur enveloppe devant être mis à la disposition du mouvement ». L’un des parlementaires écrit dans la foulée au trésorier : « Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs. »

Des témoignages, des preuves matérielles et pourtant les accusés continuent de nier. Que dire ? Une chose est sure, ce jugement pourrait mettre un brutal coup de frein à ses ambitions présidentielles, un objectif qu’elle poursuit depuis plus de dix ans, alors qu’elle a pour l’instant le vent en poupe. Dimanche, un sondage Ifop pour le JDD la créditait de 34% à 37% d’intentions de vote pour le premier tour de la présidentielle de 2027, loin devant ses concurrents. La leader d’extrême droite espère désormais un procès en appel d’ici à la fin de 2026, avec l’espoir que le tribunal renonce à l’exécution provisoire, voire à la peine complémentaire d’inéligibilité. Toutefois, elle est consciente que l’affaire est compliquée et que le temps sera cours avant les échéances électorales.

En terme de succession, là aussi, face à Gilles Boulot, elle a réfuté l’idée d’utiliser Jordan Bardella en carte joker si elle était condamnée en appel :  » Jordan Bardella est un atout formidable pour défendre le mouvement, j’espère que nous n’aurons pas à utiliser cet atout plut tôt qu’il est nécessaire. »

Voici les noms de tous ceux qui ont été jugés et condamnés :

Outre Marine Le Pen, 23 personnes et le parti ont été condamnés ce lundi :

Les eurodéputés

Neuf anciens députés européens, dont Marine Le Pen, ont été reconnus coupables d’avoir embauché et payé des assistants parlementaires qui n’ont en réalité pas travaillé pour eux mais pour le parti. Ils ont été condamnés pour détournement de fonds publics.

Louis Aliot (55 ans). Le tribunal a condamné le vice-président du RN à 18 mois de prison dont 6 ferme sous bracelet électronique, avec une amende de 8.000 euros et une inéligibilité de trois ans, sans exécution immédiate. La juridiction explique avoir tenu compte des « montants détournés, relativement modestes » et le besoin de « préserver la liberté des électeurs ».

Marie-Christine Arnautu (72 ans). Autre historique du parti, elle se voit infliger une peine de 18 mois avec sursis, 8.000 euros amende dont 3.000 euros avec sursis et une inéligibilité de 3 ans.

Nicolas Bay (47 ans). Secrétaire général du FN (2014-2017), puis vice-président du parti (2017-2018), il a rejoint Éric Zemmour en 2022. Il est aujourd’hui député européen. Il a été condamné à 12 mois de prison dont 6 mois ferme sous bracelet, 8.000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire.

Bruno Gollnisch (75 ans). Cet ultra-loyal à Jean-Marie Le Pen, figure historique du FN, a été sanctionné de trois ans de prison dont 1 an ferme sous bracelet, 50.000 euros d’amende et une inéligibilité pendant cinq ans avec exécution provisoire.

Ont également été condamnés les ex-eurodéputés Fernand Le Rachinel (2 ans avec sursis, 15.000 euros d’amende, 3 ans d’inéligibilité), Marie-Christine Boutonnet, Dominique Bilde et Mylène Troszczynski (18 mois avec sursis et inéligibilité pendant trois ans avec sursis pour tous les trois).

Les assistants parlementaires

Douze personnes sont sanctionnées pour avoir bénéficié d’emplois fictifs alors qu’elles ne travaillaient que pour le FN à des fonctions bien éloignées. Elles ont été condamnées pour recel de détournement de fonds publics.

Catherine Griset (52 ans). L’ancienne cheffe de cabinet et très proche de Marine Le Pen a été condamnée à 12 mois avec sursis et 2 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Elle est depuis devenue députée européenne.

Thierry Légier (59 ans). Garde du corps et visage historique à l’arrière-plan des déplacements de Jean-Marie Le Pen (puis de Marine Le Pen et plus tard Jordan Bardella), il a longtemps été rémunéré comme assistant parlementaire. Il a été condamné de 12 mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité, sans inscription au casier.

Julien Odoul (39 ans). Aujourd’hui député de l’Yonne, il a été condamné à huit mois de prison avec sursis et 1 an d’inéligibilité sans exécution provisoire.

Yann Le Pen (61 ans). Une peine de 12 mois avec sursis et 2 ans d’inéligibilité avec sursis a été prononcée contre la sœur de Marine Le Pen et mère de Marion Maréchal. Elle s’occupait des grandes manifestations du parti.

Micheline Bruna, Gérald Gérin et Guillaume L’Huillier, respectivement secrétaire particulière, assistant personnel et directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen, écopent de 12 mois de prison avec sursis, ainsi que respectivement deux ans avec sursis, un an et deux ans ferme de privation d’éligibilité.

Six mois avec sursis et un an d’inéligibilité ont été infligés à Timothée Houssin (aujourd’hui député de l’Eure), six mois avec sursis à Loup Viallet, Charles Hourcade, graphiste au parti, et Laurent Salles, qui travaillait sur les grandes manifestations et huit mois avec sursis à Jeanne Pavard.

Le trésorier, la « cheville ouvrière » et les experts-comptables

Ils sont sanctionnés pour avoir œuvré à la mise en place du « système », de l’intérieur ou l’extérieur du parti. Ils ont été condamnés pour complicité de détournement de fonds publics.

Wallerand de Saint-Just (74 ans). L’ex-trésorier du parti, longtemps avocat en chef du FN, a été condamné à trois ans de prison dont un ferme sous bracelet, 50.000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité avec exécution immédiate.

Charles Van Houtte (58 ans). Celui qui assurait la gestion centralisée des contrats a été condamné à 18 mois de prison avec sursis, 5.000 euros d’amende et une inéligibilité de 2 ans avec exécution immédiate.

Contre l’expert-comptable Nicolas Crochet (proche de longue date de Marine Le Pen), les juges ont prononcé une peine 3 ans dont 1 an ferme aménagé ab initio et une inéligibilité de 3 ans avec exécution provisoire.

Le parti

Le FN devenu RN a été condamné à deux millions d’euros d’amende, dont 1 million ferme, ainsi qu’à la confiscation d’un million d’euros saisis pendant l’instruction. Des dommages et intérêts ont enfin été octroyés au Parlement européen, différentes sommes selon les prévenus. Le tribunal a ordonné le paiement immédiat de ces indemnisations. Une condamnation là aussi sévère pour un parti qui était jusqu’à très récemment dans la tourmente financière. Selon nos confrères du Parisien depuis, 2019, le RN a recouru à l’emprunt pour financer ses campagnes électorales. Fin 2023, il cumulait près de 20 millions d’euros de dette entièrement issue, selon le parti, de ces emprunts. Celle-ci, précise Le Parisien, est actuellement détenue par environ 2 000 prêteurs. Le RN a déjà apuré la dette issue de son prêt russe de 2014. En 2023, il indiquait ainsi, par communiqué, avoir «honoré le remboursement du solde de son prêt pour un montant de 6 088 784,00 euros – capital et intérêts inclus». Et les autres remboursements devraient être effectués plus rapidement que prévu, malgré l’amende dont le parti vient d’écoper.

Néanmoins, selon Le Parisien l’an dernier, la dissolution de l’Assemblée nationale a permis au RN de bénéficier d’un financement public plus important qu’auparavant. Depuis la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, l’aide publique est corrélée aux résultats électoraux. Et celui du RN aux législatives anticipées lui a donc permis de se remettre à flot : les financements publics versés chaque année par l’État au parti doivent augmenter dès cette année de 30 % par rapport à 2024, passant de 10,2 à 13,3 millions d’euros par an. De quoi permettre au RN d’être mieux armé pour payer ses dettes. Et ses amendes.

Une condamnation, une inéligibilité et un parti endetté, autant dire que l’avenir semble sombre pour Marine Lepen ( ou pas).