Les gangs-brésiliens à l’assaut de la Guyane-Française

Il est vrai que la Guyane n’est pas connue pour abritée les plus belles plages du monde où des milliers de touristes se déverseraient par avion ou par bateau de croisière, mais, tout de même, c’est un territoire riche en biodiversité. Véritable poumon vert mondial, selon la DGTM Guyane, elle abriterait pas moins de 5500 espèces végétales dont notamment entre 1500 et 1700 espèces arbres, deux cent cinq espèces de mammifères, deux cent quatre-vingt dix espèces de reptiles et amphibiens. Ne parlons même pas des sept cent onze espèces d’oiseaux et les 416 espèces de poissons d’eau douces et saumâtres. La Guyane héberge autant d’espèces de vertébrés que l’Europe entière, pourtant quarante cinq fois plus grande. D’ailleurs, 9% des espèces de reptiles, 11% des espèces de mammifères terrestres (dont 50% de primates) et 35% des espèces d’amphibiens vivant en Guyane, sont endémiques de la région des Guyanes ( allant du Venezuela à la Guyane-Française). Nous ne plaisantions pas lorsque l’on la définissait comme poumon vert global.

Cependant, le seul territoire français implanté au cœur de l’Amérique du Sud, est une Région de contraste où extrême pauvreté côtoie grands projets spatiaux européens car, il est vrai que c’est bien dans ce territoire que depuis 1980 que la quasi totalité des lancements spatiaux français comme européens ont lieu à travers Ariane Espace. Des lancements qui ne profitent pas vraiment à la population locale ni aux instances politiques locales faisant de la Guyane-Française, un territoire balloté par les problèmes sociaux, économiques et sécuritaires.

L’un des plus gros dilemme, est bien entendu la pauvreté. Alors qu’elle est déjà très marquée dans les autres territoires ultramarins, en Guyane, elle est d’autant plus criante. Selon le rapport INSEE daté de 2023,en 2017, une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté, ce qui correspond à 122 600 personnes pauvres, soit 53% de la population. Ces personnes ont un niveau de vie inférieur à 1010€ / mois et par unité de consommation. A titre de comparaison, le taux de pauvreté est plus faible en Guadeloupe avec 34%, à la Martinique il est de 29% tandis que dans l’Hexagone, ce taux est de 14%. Ainsi, en Guyane, la moitié de la population guyanaise vit avec au moins 920€/ mois et par unité de consommation. On sait aussi que 23% de la population vivrait avec moins de 550€ alors qu’en Guadeloupe seuls 9% de la population vivrait avec moins de 550€ alors qu’en France Hexagonale, ce taux n’est que 2%. De plus, 30% de la population vivrait avec un salaire compris entre 550€ et 1010€ à titre de comparaison, en Guadeloupe, 25% de la population gagnerait un salaire entre 550€et 1010€ et dans l’Hexagone seuls 12% de la population gagnerait un salaire entre 550 et 1010€ / mois. D’autre part, 29 % de la population est en situation de très grande pauvreté en 2018  soit quatorze fois plus qu’en France métropolitaine (2,1 %).

L’un des principaux facteurs de pauvreté est évidemment le chômage. Toujours selon le site national des statistiques, malgré un fort recul ces dernières années, ( 22% en 2014), (19% en 2018), il reste tout de même plus élevé que dans l’Hexagone où il s’élève à 9% pour la même année. Les jeunes de 15 à 29 ans sont les premières victimes du chômage de masse ( soit 32% de la population active) et donc les premiers touchés par la pauvreté.

Le dernier facteur et non des moins des moindres est bien sûr l’immigration. L’INSEE dans son rapport souligne que : « Les résidents guyanais nés à l’étranger présentent des taux de pauvreté nettement supérieurs à ceux nés dans un DOM ou en France métropolitaine. Ainsi, 74 % des personnes dont la personne de référence du ménage est née à l’étranger sont pauvres et 37 % vivent avec un très faible niveau de vie. Un Guyanais sur trois est originaire du Surinam, de Haïti ou du Brésil. Ils disposent le plus souvent de faibles revenus et rencontrent des difficultés pour s’insérer sur le marché du travail.

Tant de problématiques faisant de la Guyane, un terreau fertile pour la délinquance et la grande criminalité. Abandonnée des pouvoirs publics depuis de nombreuses années, la région française sud américaine est la plus violente de France. En effet, bien que dans l’ensemble du territoire national, les chiffres de la violence sont en augmentation notamment ceux concernant les tentatives de meurtre, c’est en Guyane qu’ils sont vertigineux.  Rien que pour l’année 2023, la juridiction révélait alors le chiffre record de 59 homicides et 255 tentatives d’homicides au cours de l’année. C’est bien plus que le précédent « record », déjà battu en 2022, avec 47.  Une violence dû à la présence massive d’armes qui entrent sur le territoire via les mêmes filières illégales de cocaïne et de clandestins. Lors de notre dernier article sur les taux d’homicides en Outremer, on évoquait que la Guyane, avait des taux d’homicides 10 fois supérieurs à la moyenne nationale. C’est aussi elle qui se retrouve en tête du classement avec un taux moyen annuel de victimes pour 100 000 habitants, hors cadre familial, de 10,6 pour les homicides et de 42,4 pour les tentatives d’homicide. 

L’extrême pauvreté et les inégalités sociales poussent les habitants, souvent les jeunes sans emploi dont les parents sont issus de l’immigration à se tourner vers des activités illicites comme le trafic de cocaïne, positionnant le territoire sud américain comme le principal lieu de départ des substances illicites vers l’Hexagone. D’ailleurs, les trafiquants guyanais sont passés maîtres dans l’exportation de drogue. En effet, à travers nos différents articles, nous avons abordé la question des mules. Phénomène grandissant et qui se banalise au sein de la jeunesse guyanaise qui face à un avenir économique incertain bascule davantage vers cette activité lucrative mais ô combien dangereuse. Conséquence, un taux de violence plus élevé que dans l’Hexagone et des saisies records de drogue.

Ces personnes à la fois victimes et complices sont en général très pauvres, au chômage vivant des aides sociales. N’ayant pas de quoi subsister, elles tombent sous la coupe des trafiquants qui leur font miroiter une belle vie vers l’Hexagone, à la seule condition qu’elles avalent ces ovules chargées de cocaïne. Pour les trafiquants, le procédé est rentable: les mules sont payées 3.000 euros pour le voyage, le kilo de cocaïne est acheté 3-4.000 euros et se revend minimum 35.000 euros en France. Les passeurs peuvent avaler, parfois sur un ou deux jours, jusqu’à une centaine d’ovules. Elles ne sont pas bien grosses, elle font la taille d’une saucisse apéritif. Avant d’ingurgiter les capsules, les mules se préparent en avalant soit des graines de raisins soit en ingurgitant des morceaux de bougies. Malgré les dangers, elles sont de plus en plus nombreuses à risquer leur vie pour effectuer le voyage transatlantique. Selon les responsables des aéroports de Paris Orly et Charles De Gaulle, il y aurait des arrestations de mules tous les jours. Avec deux vols par jour depuis Félix-Eboué, un seul avion Cayenne-Paris, peut contenir quinze voire vingt mules. Cependant, sur l’ensemble des mules, en général sont arrêtées quatre voire cinq mules par les équipes de police ou de la douane au départ ou à l’arrivée à Paris Orly. Puis, il y a celles que les enquêteurs laissent volontairement passer dans le but de remonter la filière dans l’hexagone. Quand on les arrête, elles sont amenées à l’Unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu situé au coeur de Paris. Une fois les examens médicaux terminés et qu’elles ont évacué les boulettes, elles passent en comparution immédiate au TGI de Créteil dont dépend Orly. Leur avocat est commis d’office, l’audience dure environ quarante-cinq minutes, et à l’issue de celle-ci, elles sont incarcérées en région parisienne. Pour jusqu’à 1 kilo de cocaïne, les mules sont condamnées à un voire maximum deux ans de prison ferme.

Lutter contre le trafic de stupéfiant semble perdu d’avance au regard de la situation géographique. La Guyane est une région française enclavée entre le Suriname et le Brésil, d’ailleurs, elle partage avec le géant sud-américaine une frontière de 1 200 km de forêt. De plus, le territoire français est également situé non loin de la Colombie, du Pérou et du Venezuela, trois des plus gros producteurs de cocaïne. Elle est aussi dotée d’une large façade maritime s’ouvrant sur l’Atlantique. Longtemps épargnée par l’influence extérieure, la région est de plus en plus affectée par le développement du trafic de cocaïne dans la région. La topographie du département pré- sente en outre de multiples avantages pour les trafiquants, notamment un réseau fluvial très dense, vecteur traditionnel des échanges commerciaux et humains dans la région, comme c’est le cas avec le Suriname par le fleuve Maroni. En outre, la forêt équatoriale, couvrant près de 90 % de la superficie du territoire, est un lieu idéal pour l’implantation d’aérodromes clandestins. Tous ces facteurs contribuent à compliquer largement le travail des forces de l’ordre. Pour preuve, l’attractivité des narcotrafiquants est en constante augmentation. Entre 2012 et 2014, les saisies en provenance de la Guyane ont augmenté de 64 %, passant de 86 à 141 kilogrammes.  » Les saisies de cocaïne ont encore atteint un record en 2019 selon un premier bilan des services de l’Etat. En 2023, on estime que 25% de la cocaïne consommée en France transiterait par la Guyane.

Longtemps entre les mains de petits trafiquants locaux où originaires, le trafic de drogue serait dominé de plus en plus par les gangs venus du Brésil voisin et qui imposent leurs règles et leur violence sur le territoire. Selon la Police française, Les criminels brésiliens se sont implantés sur le territoire français depuis 2010. Au départ, il s’agissait de simples alliances entre gangs locaux guyanais et brésiliens pour le profit, mais années après années, les brésiliens tentent de supplanter les criminels guyanais. Selon les autorités judiciaires, certains clans locaux comme les B13 de Matoury ou le BTR Gang, deux gangs 100% guyanais se sont d’ailleurs associés avec les factions brésiliennes. 

Le principal point de contact entre les délinquants guyanais et les gangsters brésiliens se trouve à la prison de Remire-Montjoly. Avec un millier de détenu pour 600 places, le taux d’occupation y est de 167%, un des plus élevés en France. Dans cette prison, selon le renseignement pénitentiaire, 151 détenus sont de nationalité brésilienne, soit près de 15% de la population carcérale totale.

Dans les rapports de la police et de la gendarmerie, trois groupes criminels reviennent ces derniers temps dans la presse guyanaise et nationale. Trois groupes mafieux tristement célèbres dans le milieu du crime organisé mondial, La Familia Terror do Amapa originaire de l’Etat éponyme situé sur la rive brésilienne du fleuve Oyapock, au sud de la Guyane et dont la capitale, Macapa est l’une des villes les plus violentes d’Amérique du Sud. Ensuite, il y a le Primeiro Comando da Capital (PCC) né dans la sinistre prison de Piranhao dans l’Etat de Sao Paulo en 1993 et enfin, il y a Comando Vermelho, en anglais Red Command qui lui, né dans les prisons de l’Etat de Rio puis ayant pris souche dans les favelas de Rio do Janeiro dès 1979. Ces deux bandes armées sont connues pour leur extrême violence très souvent médiatisée lors d’émeutes sanglantes dans les prisons brésiliennes ou durant des affrontements avec les polices fédérales brésiliennes. Bien enracinées dans la haute criminalité brésilienne, ces deux bandes criminelles ont développé des connexions transnationales avec de petites mafias locales venues des autres pays limitrophes voire certains gros cartels de la drogue colombiens, boliviens, péruviens et même encore plus loin, les cartels mexicains et les groupes mafieux italiens.

D’ailleurs, selon les données Gendarmerie, les orpailleurs illégaux seraient au nombre de 8 600, brésiliens pour 97% d’entre eux, originaires d’une des régions les plus pauvres du Brésil, l’État du Maranhão. En situation irrégulière en Guyane, mais également installés dans leur pays d’origine, au Guyana ou encore au Suriname, les garimpeiros seraient, selon l’Observatoire de l’activité minière, au nombre total de 200 000 à 220 000.

 Toujours selon l’ONG, l’exploitation illégale de l’or freinerait le développement du territoire guyanais vu que l’or extrait ne rentre pas dans les caisses de la collectivité ou de l’état mais alimente un trafic illégal. Face à une telle situation, la population ne sait plus vers qui se tourner puisque l’Etat semble lui aussi démuni.

© Ministère de l’Intérieur – P. Chabaud

Loin de faire profil bas, les gangs brésiliens font de plus en plus parler d’eux dans la presse locale guyanaise. Ainsi, à la différence des petits groupes criminels guyanais, ceux du Brésil n’ont pas peur de faire usage de la violence pour s’imposer localement, c’est ce que relatait Hélio Furtado, procureur au département de la Justice de l’Etat d’Amapá,sur RMC :

Hélio Furtado, procureur au département de la Justice de l’Etat d’Amapá,

Propos confirmés par  le commissaire Bruno Almeida, de la police civile d’Amapá, qui voit groupe FTA ( Familia Terro do Amapà) comme une véritable menace pour la stabilité de la Guyane-Française.

Bruno Almeida- Commissaire de la Police civile d’Amapà

Sur ce point, ils n’ont pas tord puisque très récemment on évoquait dans un article, le cas de ce substitut du Procureur de la République Française, spécialisé dans le secteur de la criminalité organisée, et qui a été exfiltré hors du territoire car il a été menacé de mort par une bande criminelle brésilienne qui mène ses activités des deux côtés de la frontière. Des menaces jugées vraiment sérieuses pour justifier une telle action.

En 2023, les gendarmes de Cayenne ont interpellé 18 membres de FTA qui s’étaient installés illégalement dans une commune côtière et qui projetaient d’y commettre des vols à main armée et au moins un meurtre. D’autre part, les règlements de compte sont de plus en plus fréquents y compris dans la prison de Rémire-Montjoly où en 2020,  un membre d’une faction brésilienne a pris en otage un gardien de prison pour accéder à un autre quartier de l’établissement afin d’assassiner un membre d’un gang rival.

Autre différence d’avec les criminels locaux, les bandes criminelles brésiliennes n’ont pas peur d’affronter directement les forces de l’ordre françaises même les plus aguerris comme ce fut le cas en mars 2023 pour le major Arnaud Blanc membre de l’unité d’élite du GIGN, tué en service lors d’une banale mission d’infiltration de deux jours en forêt pour repérer des camps illégaux de Garimpeiros (orpailleurs guyanais). Le récit de la mission des militaires est édifiant :

En compagnie de deux autres gendarmes du GIGN, quatre militaires de l’armée et un infirmier, il s’était « fait déposer par hélicoptère en forêt afin de mener une opération d’infiltration pendant plus de 2 jours pour atteindre une base logistique » d’orpailleurs. Peu avant 6 heures du matin (heure locale), le groupe a été pris à partie par une bande armée, des brésiliens. Après des échanges de tirs nourris, le gendarme, sous-officier de l’antenne GIGN de Cayenne depuis 2019, a été touché par balle. Le militaire est décédé malgré les premiers secours prodigués par l’infirmier. L’auteur du meurtre est un jeune brésilien de 20 ans, agissant au sein d’une organisation criminelle brésilienne spécialisée dans le braquage d’orpailleurs.


Un hommage national a été rendu au maréchal des logis-chef Arnaud Blanc, le 31 mars 2023, à Versailles.
© (Photo AFP, Ludovic Marin)

Toutefois, ce n’est pas la première fois que des membres de la police, de la gendarmerie ou de la Légion Etrangère sont pris à partis par des tirs émanents de criminels brésiliens. En dix ans, cinq militaires ont été tués en Guyane comme en 2012, où Sébastien Pissot et Stéphane Moralia, deux commandos du 9e RIMA ont été tués par une bande criminelle brésilienne dirigée par un certain Manoelzinho de son vrai nom Manoel Ferreira Moura originaire de Macapà et condamné en 2016 à la réclusion criminelle à perpétuité au Brésil mais également à Fort-de-France, tandis que ses complices ont écopé de 18 à 30 ans ( par les deux juridictions) pour cet acte odieux contre les représentants de l’autorité française sur place.

La situation pourrait empirer quand on sait que depuis de nombreuses années la FTA de Macapà est en guerre ouverte avec le PCC de Sao Paulo ainsi qu’avec Comando Vermelho de Rio de Janeiro et que ces trois groupes criminels ont importé leur rivalité en Guyane où ils ont exporté leur rivalité et que 200 gangsters brésiliens ont été recensés en Guyane-Française par la Police Judiciaire. Cependant, pour faire Pour faire face à cette violence derrière les barreaux, l’administration pénitentiaire tente de désengorger la prison en transférant des détenus vers la métropole. Si bien que des membres de factions brésiliennes se retrouvent à leur sortie de prison à poursuivre leur activité criminelle depuis la métropole. Comme ce Guyanais mis en cause dans une affaire de meurtre visant un trafiquant de stupéfiants à Tours. En décembre dernier, il a été identifié comme appartenant au Comando Vermelho. Pour finir, les liens d’amitié qui unissent les deux pays depuis plusieurs siècles a établi une politique migratoire favorable aux Brésiliens don la communauté est 50 000 membres et cela fait courir le risque d’une implantation de ces groupes criminels sur le territoire hexagonal.