Les 26, 27 et 28 Mai 1967 la Guadeloupe bascule dans une violence sans précédent. Durant trois jours les manifestants pacifiques réclamant au départ, 2% d’augmentation affrontent les forces de l’ordre qui n’hésitent pas à tirer à balle réelle sur les civils. Le bilan est lourd plusieurs dizaines, voire des centaines de morts sont à déplorer du côté guadeloupéen. Retour sur cet événement marquant de l’histoire guadeloupéenne.
Pour comprendre les événements de Mé 1967, il faut avant remonter dans le temps, parler de la Guadeloupe des années 60, où il n’y avait aucune modernité apparente. Le marasme économique plongeait la société guadeloupéenne dans une misère, où l’accroissement de la population, le chômage galopant dû à la fermeture des quatre principales usines sucrières de l’île, sans oublier le cyclone Inès qui frappa la Guadeloupe en 1966, sont les principales illustrations de la situation explosive que vivaient les guadeloupéens à l’époque. Il suffisait d’une étincelle pour que la Guadeloupe explose.
Cette première étincelle se nommait SNRSKY un commerçant d’origine polonaise installé en Guadeloupe depuis peu. Le matin du Lundi 20 mars 1967, vers 9 heures, dans la principale rue commerçante du chef lieu, devant le magasin de chaussure « le Sans-Pareil », le propriétaire du magasin, M. SNRSKY, agresse avec son chien un humble cordonnier, M. BALZINC, qu’il veut chasser de sa devanture en accompagnant son geste d’insultes racistes et d’un cynique « Dis bonjour au nègre ». Les passants s’indignent et se rassemblent, la police intervient. SNRSKY ferme le magasin, mais réfugié à l’étage, continue de son balcon d’invectiver la foule qui maintenant se chiffre à plusieurs centaines de personnes à l’heure de la sortie du travail. Vers midi, les portes du magasin sont forcées, le magasin est saccagé, les cartons de chaussures sont éparpillés et l’argent du tiroir caisse déchiré par la foule en colère, tandis que des groupes s’organisent pour faire la chasse à SNRSKY qui s’est enfui par les toits.
La foule qui emplit la rue renverse les deux voitures du raciste pour y mettre le feu. Le sous-préfet MAILLARD, arrivé sur les lieux comprend qu’il ne peut plus s’opposer au déchaînement de colère justifiée de la population et pour éviter un incendie en pleine ville, oriente l’action de la foule vers le port où la Mercedes est portée et jetée à la mer. Cela ne suffit pas : le feu est mis au magasin. Les gens affluent des communes avoisinantes, de Pointe-àPitre. Toute la soirée, les jeunes des quartiers populaires de Basse-terre tiennent la rue sans que la police puisse véritablement endiguer le mouvement. Des Blancs sont interpellés et bousculés par la foule en colère. Le lendemain l’agitation reprend de plus belle: la quincaillerie MASTON, à l’entrée du bas du bourg est prise d’assaut, des armes sont distribuées ; des coups de feu sont tirés contre les charges de CRS qui veulent dégager les rues. La ville s’embrase et, autour du cours Nolivos, les affrontements reprennent de plus belle toute la journée du mardi jusqu’au soir : volée de galets et coups de feu sporadiques contre gaz lacrymogènes entrecoupés de quelques tentatives de négociations au cours desquels les manifestants font valoir leur exigences : Que justice soit fait et SNRSKY chatié, réembauche des employés du magasin, « du travail pour les jeunes »…
L’appel au calme du préfet BOLOTTE n’a que peu d’effets immédiats, il faudra l’intervention de Gerty Archimède à la demande du Préfet pour que la colère s’estompe.
La deuxième étincelle est : le mois de Mai, mois chargé de commémorations historiques et sociales en Guadeloupe. Le 1er Mai des manifestations déclenchées à Capesterre-Belle-Eau marquent le ton de ce qui se déroulera sur l’île trois semaines plus tard.
Le Mercredi 24 Mai 1967, les ouvriers du bâtiments sous payés entament une mobilisation et réclament 2% d’augmentation ainsi que la parité des droits sociaux.
Le jeudi 25 Mai 1967 : l’importance de la mobilisation et la tension régnant sur les piquets poussent le patronats blancs à convoquer une réunion de négociation pour le lendemain à la Chambre de Commerce de Pointe-à-Pitre.
Le lendemain le Vendredi 26 Mai les négociations commencent mais le bras de fer entre les ouvriers et les patrons est dur, aucun des partis ne semblent vouloir trouver d’accord. Tôt le matin une partie des ouvriers de la Pointe de Jarry se mobilisent à leur tour, mais la répression des forces de l’ordre (CRS et Képis Rouge) est brutale : bastonnade, coup de crosse, tirs de sommation. Au même moment, à la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre, de nombreux ouvriers se rassemblent devant et aux alentours de la Chambre de commerce où débutent les négociations entre la délégation syndicale de la CGT et la délégation patronale : Les négociations, qui étaient sur le point d’aboutir, sont ajournées, en raison de l’opposition du représentant de la SOGOTRA. Dehors, le mot s’est répandu que c’est BRIZZARD qui est à l’origine de cet échec.
Les CRS prennent position. La tension grimpe d’un cran quand un responsable syndical annonce que BRIZZARD aurait dit « Lorsque les nègres auront faim, ils reprendront le travail. » Leur arrivée provoqua la colère générale : les affrontements débutèrent. Les CRS lancèrent des grenades lacrymogènes pour disperser la foule et chargent à coup de matraques, à coups de crosses et à coups de pieds, ceux qui tombèrent, glissent ou traînent.
Les manifestants, renforcés par des jeunes, répliquent par des jets de pierres, de conques de lambi, de bouteilles en verre. C’est le début de l’émeute ! Brizzard présent dans l’enceinte du bâtiment, menacé est évacué. Les affrontements se poursuivent : dans toute la ville, des groupes se forment.Le préfet BOLOTTE en repli à la sous-préfecture en compagnie des chefs militaires et du sous-préfet PETIT donne alors l’ordre de tirer, « en faisant usage de toutes les armes ». Il sait la portée de son ordre, et pour cause : L’homme a effectué deux séjours en Indochine (en 1950, au cabinet du maréchal de Lattre de Tassigny ; puis en 1953, au cabinet du ministre des Relations avec les Etats associés) ; et a passé trois années en Algérie où entre 1955 et 1958, il a été sous-préfet à Miliana, puis directeur de cabinet du préfet d’Alger.
Sur la Place de la Victoire, la mitraille des armes automatiques des forces de l’ordre se fait entendre, des dizaines de corps jonchent, certains sont morts, les autres, blessés sont conduits à l’Hôpital Général parmi eux se trouve un certain Jacques Nestor 26 ans, militant du GONG décède ! Son décès poussent les émeutiers encore plus nombreux, à déclencher une insurrection générale, Les armureries PETRELUZZI-QUESTEL & BOYER sont prises d’assaut : des armes et des munitions sont emportées. Pour protéger les civils, de groupes d’auto-défense populaire se mettent en place. Les affrontements avec les forces de l’ordre redoublent d’intensité. Aux conques à lambi, les Képis rouges répliquent par la mitraille des dizaines de blessés parfois graves sont à déplorer. Pourtant l’émeute ne faiblit pas les magasins UNIMAG & PRISUNIC, les immeuble d’AIR FRANCE & de FRANCE ANTILLES ainsi que le dépôt de la BANQUE de la GUADELOUPE sont attaqués et incendiés. Pointe à Pitre est en état de siège. Le Couvre Feu est imposé dans la ville, personne n’a le droit de circuler, sauf les képis-rouges circulant sur leurs auto-mitrailleuses. Les artères de la ville sont dégagées ; plus aucun regroupement n’est admis ; badauds, passants, riverains essuient les rafales meurtrières.
La Journée du Samedi 27 Mai 1967 : L’odeur de la mort !
Le bilan est lourd : 5 morts sont dénombrés par les manifestants guadeloupéens(Jacques NESTOR – ZADIG-GOUGOUGNAM – PINCEMAILLE – Camille TARET – Guidas LANDRE), des centaines de blessés civils, des centaines d’arrestations. La Radio parle même de 27 policiers tués dont 7 gendarmes blessés. Le matin, des guadeloupéens se rassemblent par petits groupes pour constater l’état de la ville et commenter les massacres de la veille. Ils découvrent une ville assiégée, transformée en champ militaire. Dans la matinée des étudiants du lycée de Baimbridge décident de se mobiliser pour dénoncer le massacre de la veille. Devant la Sous-Préfecture au cris de « CRS..BILLOTE dehors » ils sont matraqués par les CRS et les Képis Rouges qui les encerclaient. Plusieurs dizaines de jeunes sont arrêtés pour interrogatoire. Dans la rue, les affrontements reprennent entre les manifestants et les forces de l’ordre qui tireront de nouveau sur ces jeunes innocents. Il se dit que plusieurs dizaine de corps sont au sol, morts ! Les corps sont rapidement enterrés par leurs proches. Le même jour les arrestations se poursuivent, des centaines de guadeloupéens, parfois de simples badauds passent par les geôles des casernes de gendarmeries où les militaires procèdent aux interrogatoires musclés des « agitateurs ». Tabassage, torture, menace de mort sont le lot d’exactions qu’ont subis ces personnes. Le Samedi soir, Pointe-à-Pitre et la Guadeloupe s’en dorment. un silence morbide referme ces 48 heures de violences inouïes. Le bilan est très lourds : 8 morts au total selon les chiffres officiels, + de 200 selon les guadeloupéens.
Le Mardi 30 Mai 1967 : Un accord, signé en préfecture avec le patronat accorde une augmentation de 25% aux ouvriers ; 12 fois supérieure à ce qui était réclamé le 26 mai, 25 fois supérieure à la proposition maximale faite par BRIZZARD le même jour.
Sur le plan matériel, au moins 17 véhicules ont été sérieusement endommagés et 14 ont été incendiés. Des commerces ont été pillés, dont certains contenant des armes à feu, et des bâtiments ont été pris pour cible (journal France-Antilles, compagnie Air France…), parfois incendiés (SATEC). Au total, 38 armes à feu ont été saisies au cours des événements par les forces de l’ordre dans les rues voisines de l’armurerie Boyer qui a été pillée : 29 fusils de chasse, 3 carabines et 3 pistolets automatiques.
Dès le début du mois de juin, soit plus précisément le 7 juin 1967, des procès vont se tenir. Des dizaines de personnes sont inculpées. Il s’agit en général de personnes jeunes, pour la plupart âgées entre 20 et 30 ans, dont quatre mineurs de moins de 21 ans, sans travail ou exerçant des professions peu qualifiées. Ces jeunes sont domiciliés pour la plupart dans les faubourgs de la ville ; ils semblent étrangers à la manifestation des ouvriers du bâtiment en grève qui a débuté au matin du 26 mai sur la place de la Victoire. Aucun élément ne laisse penser qu’ils auraient été membres du GONG ou influencés par lui. Certains de ces jeunes ne sont que de simples curieux qui n’ont pas respecté le couvre-feu. Le juge estime pourtant qu’ « étant donné la gravité des événements […] que nul, s’il n’était directement intéressé par l’émeute, ne songeait à sortir dans la rue ». Certains sont néanmoins retrouvés porteurs de pierres et de pavés : c’est par exemple le cas de sept jeunes ainsi condamnés pour « participation non armée à un attroupement armé qui ne s’est dissipé que devant l’usage de la force ». Les peines prononcés par le Tribunal de grande instance (TGI) de Pointe-à-Pitre pour « participation à attroupement armé, port d’armes et dégradations d’objets d’utilité publique ».
Les peines requises contre ces jeunes badauds sont assez sévères. onze peines de prison ferme d’un an et plus sont ainsi prononcées Certains perdent même leur droit civique malgré le fait qu’ils étaient inconnus des services de police. C’est le cas d’un certain Urbain V., 50 ans, manœuvre, condamné à 30 mois réduits à 18, mais avec 5 ans de privation de droits civiques.
Plus rares sont les cas d’arrestation d’hommes accusés de porter des armes (alors que l’un d’entre eux est signalé caché derrière une voiture sous laquelle on a retrouvé une crosse de fusil). Parmi eux, un homme de 27 ans est cependant condamné à deux ans de prison ferme pour vol de munitions dans une armurerie, ou encore un homme de 41 ans condamné à quatre ans de prison ferme en première instance, confirmés en appel, pour le port d’un pistolet automatique chargé lors d’un attroupement le matin du 27 mai sur la place des Victoires.
En décembre de l’année 1967, soit plus exactement le 15 décembre 1967, s’ouvre au Tribunal correctionnel de Basse-Terre, le procès de vingt-neuf inculpés, qui ont pris part aux émeutes de Basse-Terre du 20 au 22 mars 1967. Dans sa plaidoirie, le procureur fait la distinction entre les « meneurs » pour lesquels il demande une peine de prison de trois ans, les « participants actifs » une peine de deux ans et les « participants passifs » une peine d’un an. Ils écopent finalement de quatre condamnations à deux ans de prison et 4 autres à 18 mois ; les autres peines s’échelonnent de 15 mois ferme à trois mois avec sursis.
En avril 1968, les 23 Guadeloupéens inculpés d’attroupement et autres délits les 26 et 27 mai 1967 ont écopé de six peines ferme de 18 mois à un an, onze peines de 3 ans à six mois avec sursis et huit acquittements.
Un an après les émeutes, en 1968 quelques mois avant les manifestations étudiantes Parisiennes, dix-huit guadeloupéens accusés d’appartenir au GONG sont jugés à Paris par la Cour de sûreté de l’Etat, pour violences et atteinte à l’intégrité du territoire. Devant le manque de preuves, le procès devient celui du pouvoir colonial, avec des témoins à charge tels que Jean-Paul Sartre ou Aimé Césaire, député et maire de Fort-de-France, en Martinique, qui proclame : «Nous ne sommes pas des Français à part entière, mais des Français entièrement à part.» Les accusés seront condamnés à des peines légères, souvent couvertes par la préventive.
Le vendredi 1er mars 1968, treize des accusés sont acquittés et six sont condamnés à des peines avec sursis : – Quatre ans de prison avec sursis pour Serge GLAUDE, Claude MAKOUKE, Pierre SAINTON et Louis THEODORE (absent, non arrêté). – Trois ans avec sursis : Georges BADEN, Rémy FLESSEL ; – Acquittement pour : Albert CARACALLA, Édouard DANCHET, Amédée ETILCE, Mathias GUSTAVE, Ken KELLY, Gérard LAURIETTE, Antoine MARGUERITE, Roland MINATCHY, Saturnin NICOLO, Michel-Théodore NUMA, Félix RODES, Henri RODES, Georges RUPAIRE.
Tous sont sortis libres après le procès et ont été amnistiés le 30 juin 1969 (après l’élection présidentielle).
Le gong comme instigateur de la tension sociale ?
Dès son arrivée dans le département en 1965, le préfet de la Guadeloupe, Pierre Bolotte a été prévenu par les Renseignements généraux du danger que représentaient les mouvements autonomistes et en particulier le GONG. Avant de rejoindre son poste, le préfet effectue une visite dans différents cabinets à Paris :
« Je revins persuadé qu’il y avait là à côté de Cuba et dans le système d’agitation politique et sociale de la Tricontinentale une menace directe contre les départements français de la Caraïbe et contre leur statut national. »
En mars 1967, dans les événements de Basse-Terre, après avoir pris attache avec le maire communiste de Pointe-à-Pitre, le docteur Henri Bangou, « seule tête politique de la Guadeloupe » Pierre Bolotte affirme que les responsables du GONG téléguident les jeunes, ce « prolétariat des bidonvilles de type pègre » qui ont pris part à l’émeute en s’appuyant sur « des réflexes raciaux » dans le cadre des élections législatives en cours. Après le retour au calme le 23 mars, le gouvernement et le préfet décident de rétablir l’ordre et de poursuivre le GONG.
Depuis son arrivée, le préfet a fait constituer des dossiers sur les membres du GONG et a diligenté l’ouverture d’une information judiciaire auprès du procureur général de la Guadeloupe, que le préfet revoit longuement à son retour d’une visite dans les différents ministères en avril,
Les Renseignements généraux se montrent très actifs dans la surveillance de cette organisation qui compte au plus une soixantaine de membres. Les archives nous fournissent une série de tracts du GONG avec les lieux où ils ont été distribués, le relevé des inscriptions faites la nuit sur les routes ou sur les murs… Fin mars, une mission de deux fonctionnaires de la police judiciaire et de la DST est envoyée de Paris en Guadeloupe, chargée « d’aider les autorités de la police locale dans leur action de répression et de déterminer les activités du Groupement d’organisation nationale des Guadeloupéens (GONG) susceptible d’exploiter à leur profit l’émotion que l’émeute a pu créer dans le département et parmi les Guadeloupéens vivant en métropole […] l’intensification de son activité risque de provoquer des troubles graves dans l’avenir »
Contrairement aux attentes de l’administration préfectorale, les fonctionnaires de la PJ et de la DST après une enquête approfondie concluent « qu’aucun lien n’a été découvert entre ce mouvement et l’émeute de Basse-Terre ». Mais pour aller dans le sens du procureur général qui voulait saisir la Cour de sûreté de l’État, les enquêteurs se sont intéressés à l’activité du GONG dans la récente campagne électorale des législatives après la saisie, avant les élections, de brochures et d’affiches qui appelaient à « briser les urnes colonialistes ». Le GONG avait appelé alors à l’abstention en citant Mao Tsé-Toung : « Rejetons nos illusions électorales et préparons nous à la lutte. »
Le 1er mai, une manifestation publique du GONG à Capesterre, fief du docteur Sainton, semble confirmer les RG dans leur analyse de la dangerosité de cette organisation marxisteléniniste, indépendantiste et ayant, selon eux, des liens avec les révolutionnaires castristes à Cuba. C’est au cours de cette manifestation que pour la première fois Jacques Nestor est repéré (et photographié) comme membre actif du GONG (dont il n’est pas un des dirigeants contrairement à ce qui est écrit dans certains rapports).
Vingt-trois ans après les événements de 67 en Guadeloupe, le préfet expose sa vision : « Une vingtaine de CRS durent pour se dégager faire usage de leurs armes. Un des manifestants fut tué M. Nestor membre connu du GONG et l’un des principaux meneurs. Moins d’un quart d’heure avant une armurerie en ville avait été dévalisée par un petit commando. »
Un rapport (anonyme) et un rapport des CRS font état de coups de feu venus des manifestants avant que les forces de l’ordre ne tirent. En réalité, comme nous le verrons ci-dessous, il y a contradiction entre les rapports des CRS et des gendarmes mobiles sur l’heure de l’ouverture du feu.
Début juin 1967, le préfet a fait rechercher, emprisonner et déférer devant la Cour de sûreté de l’État à Paris les principaux membres du GONG (tous connus par des renseignements antérieurs) dans le cadre d’une saisine effectuée avant les événements de mai 1967. Et le préfet conclut son récit postérieur par « l’émeute conduite par le GONG et les autonomistes avait duré de 15 à 23 heures », alors que les services de la Direction de la sécurité du territoire et différents tribunaux ultérieurement ont affirmé le contraire.
À la demande de M. Vigouroux, juge d’instruction à la Cour de sûreté de l’État, une commission rogatoire de la DST et de la PJ, présidée par le sous-directeur des Affaires criminelles, le commissaire divisionnaire Honoré Gévaudan, a en effet été chargée le 31 mai de « procéder à une enquête sur les activités du Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe, dit GONG, à partir de la diffusion de tracts subversifs des 26 mars, 18 et 19 avril 1967 à Pointe-à-Pitre et le 1er mai à Capesterre, et sur le rôle qu’auraient pu jouer des membres du GONG dans la préparation et le déroulement des incidents qui ont troublé l’ordre public à Basse-Terre les 20 et 21 mars 1967 et à Pointe-à-Pitre les 26 et 27 mai 1967. »
Comme le précise le rapport de Benjamin Stora , cette commission rogatoire concernait largement les événements antérieurs au 26-27 mai. Elle était le résultat de la demande, le 4 avril, du procureur général de la cour d’appel de Basse-Terre d’une saisine de la Cour de sûreté de l’État pour des tracts du GONG diffusés en mars 1967. Le rapport souligne le fait que le procureur fait parvenir son courrier directement au directeur des Affaires criminelles au ministère de l’Intérieur et non au garde des Sceaux, son supérieur hiérarchique, dubitatif sur la nécessité de saisir la Cour de sûreté de l’État, qui avait demandé le 3 mai, sans obtenir de réponse, l’avis du ministre d’État chargé des départements d’Outre-mer sur le « problème d’opportunité en raison d’une part des réactions locales que pourrait susciter une action judiciaire et d’autre part le fait que les inculpés résidant en Guadeloupe devront être transférés en métropole »
Il y a, comme Benjamin Stora le note, une divergence d’appréciation entre les institutions de l’époque : Justice, Outremer et Ministère de l’Intérieur ainsi que l’acharnement du procureur, du préfet, Jacques Foccart à poursuivre les membres du Gong. Pourtant, il n’y avait aucune preuve de l’implication directe du GONG dans le mouvement de grève de 1967. C’est d’ailleurs, ce qu’avait noté un commissaire divisionnaire du nom d’Hervé Gévaudan en mission d’inspection dans l’archipel n, précise dans son rapport établi le 20 juin 1967 qu’en mai 1967 « huit personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées » mais « les investigations qui ont été menées à Pointe-à-Pitre n’ont pu apporter la preuve de la responsabilité directe du GONG dans la préparation, l’organisation et l’exécution des manifestations de rues des 26 et 27 mai 1967 ». Tout en précisant que « la politique suivie par le GONG, ses objectifs, ses moyens de propagande, la violence de ses propos et de ses actions le font apparaître comme l’organisme de type révolutionnaire dont les menées si elles étaient laissées libres aboutiraient à un désordre public et total dans le département de la Guadeloupe. »
Il y a donc eu une construction du mythe du GONG organe politique puissant, capable de déstabiliser la France dans la Caraïbe, notamment dans l’archipel guadeloupéen. Il fallait sans doute une raison pour justifier le massacre à venir afin de mater toutes contestations ouvrières dans cette Guadeloupe des années 1960 où la question identitaire refaisait surface. Le champs d’action du GONG était même très limité. Comme le note l’auteur du rapport,
« On peut comparer l’action du GONG à celle des groupes d’extrême gauche hexagonaux qui associaient un vocabulaire révolutionnaire et guerrier à des pratiques de militantisme parfois spectaculaires, mais en fin de compte assez classiques (manifestations, tracts, affiches, etc.). Les autorités locales ont été poussées par Jacques Foccart qui suivait plus particulièrement ce qui se passait en Guadeloupe du fait de ses réseaux, de ses attaches familiales et de ses intérêts, , et par les fonctionnaires parisiens des Renseignements généraux et de la DST, qui voyaient dans les activités des groupes « gauchistes » la « main de l’étranger » (en 1967 surtout de la Chine et pour les Caraïbes, Cuba).»
Le rapport Stora rapporte que « les deux missions accomplies en avril et en juin 1967 par des fonctionnaires de la police judiciaire et de la DST ont conclu à la non-implication directe du GONG dans le déclenchement et le déroulement des émeutes de Basse-Terre en mars et de Pointe-à-Pitre en mai 1967, même si son vocabulaire révolutionnaire pouvait attirer, ici comme dans l’hexagone en Mai-juin 1968, des jeunes ouvriers ou sans travail, avides d’action et de changements.»
Quel bilan pour les émeutes de Mè 67 ?
– Le silence volontaire des autorités
Grâce à l’ouverture des archives, en particulier au Service historique de la défense, c’est la première fois que l’on peut dresser un bilan précis des formations militaires et civiles engagées dans le maintien de l’ordre en Guadeloupe en mars et en mai 1967. Selon le chef d’État-major particulier du général de Gaulle, le préfet disposait des moyens suivants pour le maintien de l’ordre :
– 1 compagnie d’infanterie de Marine : 130 hommes
– 3 pelotons mobiles de gendarmerie : 150 hommes
– 2 pelotons mobiles de gendarmerie venus de Martinique : 150 hommes
– une compagnie républicaine de sécurité : 150 hommes soit 580 hommes au total. Sans oublier les milices patronales pro-gouvernementales dont le nombre reste à déterminer.
D’autre part, on sait que le président De Gaulle avait été informé par son conseiller spécial pour l’Afrique et les Outremers et avait validé l’envoi d’un escadron de gendarmerie type PUMA, composé de 100 gendarmes, transporté par un Boeing d’Air France (soit un coût de 250 000 F). « l’avion décollera d’Orly ce soir (26 mai) vers 22h et atterrira à Pointe-à-Pitre demain vers 3h locales (6h de Paris).
Là encore, les archives n’apportent pas de bilan sur les victimes. Encore une fois, l’Etat parle de huit victimes dont on connait les noms.
Nous n’avons trouvé dans tous les dossiers consultés, aucun élément nouveau concernant le nombre de morts des 26-27 mai 1967, compris dans une fourchette qui varie entre les morts connus nominativement – huit, attestés par le commissaire Gévaudan dans son rapport du 20 juin 1967 – Jacques NESTOR, Ary PINCEMAILLE, Olivier TIDACE, Georges ZADIGUE-GOUGOUGNAN et Emmanuel CRAVERIE à Pointe-à-Pitre ; Jules KANCEL, Aimé LANDRES, Camille TARET aux Abymes – et les 87 morts annoncés en mars 1985 par le secrétaire d’État à l’Outre-mer, Georges LEMOINE.
En ce qui concerne les forces de l’ordre, la question des morts est inexistante. Il n’y aurait pas eu de morts. Pour ce qui est de la réponse violence qu’aurait exercée les forces de l’ordre, là encore, les chefs d’escadron et de pelotons prétendent avoir agi en légitime défense, en réponse aux actes violents commis par les manifestants guadeloupéens.
Les nombreux rapports des chefs d’escadrons et de pelotons des CRS ou des gardes mobiles ne font pas mention des morts (à l’exception de celle de Jacques Nestor). Ils évoquent parfois les blessés. Tous les rapports des différents corps des forces de l’ordre disent avoir fait usage des armes dans un processus de légitime défense après une description détaillée des attaques qu’ils ont subies : conques de lambi, pierres, bouteilles incendiaires et même coups de feu (à la suite du pillage d’armes de chasse dans des armureries et quincailleries). . Il y a par ailleurs des blessés parmi les « forces de l’ordre » (six dans la gendarmerie, dont deux très sérieusement, et 27 parmi les CRS, dont huit sérieusement, deux ayant perdu un œil).
Selon un des chefs : « Le personnel n’a pu contenir la foule qui nous lapidait à bout portant qu’en utilisant les armes individuelles dans un tir volontairement mal ajusté afin d’éviter le pire. »
Par ailleurs, il y aurait des divergences entre les différents corps de police et de gendarmeries présents dans l’archipel sur l’horaire du début de la riposte policière et le premier mort, Jacques Nestor le 26 mai. D’après le rapport de la gendarmerie mobile, tout aurait commencé à 14h45. Selon le commandant de la CRS, les tirs auraient commencé à 15h25. Des tirs qui seraient attribués à la CRS puisque Jacques Nestor est tombé entre 15h30 et 16h, mais là encore, il ne s’agit que d’une supposition.
De plus, le rapport Stora rapport qu’une fois Jacques Nestor abattu, c’est le Préfet Bolotte en personne qui prend le commandement des opérations à la place du commissaire central. Une chose est certaine, Jacques Nestor qui était déjà surveillé par les services de renseignement notamment ceux du commissariat central, a été délibérément visé par les tirs : « Jacques Nestor a été visé personnellement et il était bien plus connu des policiers du commissariat central que des CRS. Il avait été photographié la veille lors d’un rassemblement devant le commissariat. Le lendemain 26 mai, Nestor était habillé de la même façon. »
A la question de qui est l’auteur du tir mortel, là encore, beaucoup d’hypothèses et peu d’affirmations. Dans son rapport, Benjamin Stora écrit que « l’heure de ce tir correspond approximativement à celle où les CRS ouvrent le feu (14h45 d’après un rapport de gendarmerie mobile, « 15h25 environ » d’après le commandant de CRS) et pourrait donc leur être attribué. Il est plausible qu’il s’agisse en fait d’un tireur se trouvant avec le commissaire Canales sur la terrasse de la chambre de commerce d’où ce dernier a fait les premières sommations (avec une vue plongeante sur la place de la Victoire). À cette heure, c’est le commissaire central Canales qui est responsable du commandement des opérations. L’action de ce commissaire a été très appréciée de Jacques Foccart début juin 1967 »
Le rapport Stora rapporte que les archives qui n’ont pas été détaillées, n’apportent aucune information sur le déroulement complet des événements. Elles auraient même été constituées en omettant de rapporter ce qui c’était passé. Il y avait donc une volonté de cacher ce qui s’était déroulé entre le 26, le 27 et 28 mai. Une procédure inhabituelle quand on sait la façon dont procèdent les gradés de la Compagnie Républicaine de Sécurité.
Le rapport Stora apporte même des détails sur les armes et les munitions employées par les forces de l’ordre pour réprimer les manifestants. On y apprend que, « escadron des gardes mobiles, « les képis rouges », « la consommation de munitions le 26 mai du fait de l’usage des armes à feu » : 29 cartouches 9m/m pour pistolet-mitrailleur ; 4 cartouches 9m/m pour pistolet ; 29 cartouches de fusil 7,5m/m. De plus, les inventaires font état d’un stock 300 grenades, sans doute lacrymogènes, renouvelées.»
Les forces de répression ne se sont pas arrêtées là car les mitrailles ont continué toute la nuit et le lendemain à divers endroits de la ville.
Des témoignages et des chiffres bien plus importants que ceux avancés :
S’il y a bien une chose que tout le monde s’accorde à dire, la répression policière en Guadeloupe au mois de mai 1967 a été une véritable boucherie. On parle d’une centaine de mort. Les mouvements nationalistes et indépendantistes locaux aidés avancent un bilan dépassant les cent-trente morts. Selon d’autres témoignages, le bilan pourrait dépasser les trois cents victimes. Les derniers témoins ou victimes prétendaient voir des victimes qui s’étaient visiblement réfugiées dans les champs de canne avoisinants la ville de Pointe-à-Pitre. Certains témoignages, notamment d’infirmières travaillant dans les hôpitaux et cliniques au moment des faits affirmaient que lorsqu’une personne blessée par balle arrivait et qu’elle décédait, les établissements de santé ne déclaraient ni le décès ni sa cause, par peur de la DST. Ainsi, cette morts relève donc du mystère et, elle est même sujet à tabou.
Du côté du Gouvernement, le chiffre de huit morts a été pendant très longtemps avancé.
Il faudra attendre l’élection de François Mitterrand, dix-huit ans après les événements pour qu’un chiffre approximatif apparaisse : 87 mort selon George Lemoine Ministre des Outremer du Gouvernement Mitterrand. En 2012, François Hollande, en campagne avait promis une commission d’enquête avec à sa tête Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire coloniale. Sa mission s’étend d’ailleurs à d’autres événements, en 1959 en Martinique et en 1962 en Guadeloupe. Que disent les témoignages répertoriés dans le rapport de Benjamin Stora ?
Nous avons celui d’une documentaliste de la télévision locale qui, en 2016, a raconté à l’historien, alors qu’elle n’avait que 5 ans, se souvenir de la terreur de la soirée » sa mère lui avait ordonné ainsi qu’à ses frères et sœurs de se cacher sous un lit en fer et de se taire. Les gendarmes avaient frappé violemment à la porte de leur case, mais, devant le silence, ils s’étaient éloignés »
Nous avons aussi celui d’un habitant de la ville décrit comme étant un métropolitain ( donc blanc) qui dans un courrier ( non signé) adressé à l’Elysée évoque : le sentiment de peur qu’il a ressenti pour sa sécurité et celle de sa famille concluant que « le bilan de huit morts peut être raisonnablement multiplié par trois ou quatre ».
Autre témoignage, celui du préfet Pierre Bolotte dans un télégraphe daté du 28 mai adressé au ministre des Outremers, que : « Le total actuellement connu est de sept morts mais je suis obligé de rappeler ce que j’ai dit dans mon télex n° 8 : possibilité autres victimes toujours non déclarées et par conséquent indécelables actuellement. »
Dans ses mémoires, écrites en 2008, le docteur Pierre SAINTON, qui a passé la nuit du 26 au 27 mai 1967 dans une cellule de la caserne de gendarmerie, décrit ceci : « J’ai entendu des détonations et des rafales qui venaient de la ville. J’en ai entendu d’autres plus près comme si elles sortaient des sous-sols, comme si ils avaient exécuté des gens dans les sous-sols même. J’ai compté 18 coups de feu et entendu des cris. » Des actes non confirmés car, personnes pour confirmer et pas de corps.
Henri Bangou, historien et ancien maire de Pointe-à-Pitre, témoin du début des manifestations, a abordé les manifestations de 67 à Pointe-à-Pitre dans son ouvrage, Mémoire du temps présent. Témoignage sur une société créole de l’après-guerre à nos jours, affirme avoir été accueilli par des jets de pierres lancés par les manifestants, véritablement remontés contre tout ce qui s’apparentait à l’ordre colonial. Il a dû être protégé avant que les émeutiers ne s’en prennent à lui. Le sénateur-maire de la ville, explique qu’il ne revoit « [son] épouse et [ses] enfants métis que quelques jours après », ajoutant que « des amis du Gosier [ont] bien voulu les accueillir pour qu’ils échappent à d’éventuels sévices »
Au sujet de la violence des événements, Henri Bangou apporte différentes précisions ( qui ont régulièrement changé). Sauf, que les chiffres annoncés par le maire de l’époque sont supérieurs à ceux avancés par l’Etat. . Quelques jours après les événements, il évoque une dizaine de morts dans une note destinée au ministère des DOM-TOM, une version qui se transformera, sans plus de précisions, vingt ans plus tard, en « plusieurs dizaines de morts ». En 1992, il parle de plus de soixante morts. En 2008, dans ses mémoires d’ancien sénateur-maire, il se refuse à avancer le moindre chiffre. Il indique ne toujours pas connaître le nombre de morts, expliquant que l’enquête qu’il a menée à titre personnel pour la seule commune de Pointe-à-Pitre « révéla trois morts pour lesquels les services de l’état civil furent sollicités en vue de leur inhumation. » Pourquoi un tel revirement ? Jusqu’à ce jour, nul ne le sait.
Au niveau de la presse, localement, le France-Antilles qui a longtemps été la voix du Gouvernement, attaqué dans les émeutes a repris la thèse des huit morts, sans mener d’enquêtes approfondies. Même son de cloche pour les organes de presse nationaux. Sauf L’Humanité le 30 mai et L’Humanité nouvelle (journal de tendance maoïste) qui évoquent un bilan de 15 morts. Par ailleurs, Dans un entretien au journal Témoignage chrétien, l’avocat guadeloupéen Félix Rhodes déclare, sans s’approprier ce nombre, que « d’aucuns prétendent qu’il y aurait eu 47 morts ». Enfin, les indépendantistes de l’Alliance révolutionnaires caraïbes (ARC) évoquent 54 morts dans un tract de 1984, sans dévoiler la teneur de leurs propos.
A travers les lignes de cet article, nous avons également parlé des aveux de Geroge Loime. Là encore, rien de précis comme le souligne l’histoire français. « En 1985, Georges Lemoine, secrétaire d’État aux DOM-TOM du gouvernement de Laurent Fabius déclare que la répression des événements de mai 1967 a coûté la vie à 87 personnes. Mais l’origine exacte de cette déclaration reste imprécise.»
Tout comme la centaine de victimes voire les deux cent à trois cents morts émis dans les milieux militants syndicaux et nationalistes. Il n’y a aucune preuve de ce qu’ils avancent, parce que les archives de cette période ne le permettent plus. Elles seraient tout simplement plus en état de le faire.
«La recherche dans les archives hospitalières du CHU de Pointe-à-Pitre, qui auraient pu permettre d’accéder à une autre version que celles des autorités étatiques, s’est avérée vaine, ces archives ayant été détériorées par l’humidité ou la moisissure.»
Des chiffres démentis au sein même des milieux nationalistes. Par exemple : Paul Tomiche, déféré devant le TGI en Guadeloupe en 1968, a contesté cette version des 87 morts : « 87 morts en Guadeloupe et à Pointe-à-Pitre en un jour ça se saurait su et moi je pense que les survivants de l’époque ne l’aurait pas accepté non plus. Il y aurait eu de violentes réactions et ça aurait dégénéré en termes de couleur de peau. Parce que les jeunes se sachant brimés, tués, s’en seraient pris aux Français, aux blancs en particulier. Alors moi je dis que non des centaines de morts pour moi ça ne prend pas. »
D’ailleurs, les chiffres astronomiques avancés par certaines branches militantes parmi lesquelles l’ARC de Luc Reinette sont cœur de la rhétorique révolutionnaire afin de rappeler aux contemporains les sacrifices des générations passées de Guadeloupéens dans la lutte contre le colonialisme. Des chiffres volontairement grossis pour aire culpabiliser la France vu comme la puissance coloniale.
Benjamin Stora dans son enquête déclare que Sur la base d’une étude des registres d’état civil de la grande majorité des communes de la Guadeloupe, nous n’avons pu observer de pic de mortalité autour des 26, 27 et 28 mai 1967 par rapport à la même période en 1966 et 1968, bien que l’hypothèse selon laquelle des familles auraient récupéré des corps sans les déclarer à l’état civil n’est pas à exclure. Une autre hypothèse, qui n’est pas à exclure non plus, celle de personnes disparues non déclarées, ou déclarées ailleurs car non guadeloupéennes.
Cinquante ans plus tard, l’identité de victimes supplémentaires n’a pas émergé. Pourtant, de nombreux témoignages avancent que des familles auraient elles-mêmes directement récupéré des corps sans prendre le risque de les déclarer par peur de représailles.
Néanmoins, dans son investigation, l’historien français est allé fouillé dans les registres de l’Eglise et il constate que « si des familles n’ont pas déclaré leurs morts à l’état civil, il est, en revanche, probable qu’elles aient eu recours aux services de l’Église en vue de les inhumer religieusement. Aux Archives de l’évêché, à Basse-Terre, la consultation du Journal de la cathédrale, registre rempli quotidiennement par l’évêque, n’a pas permis d’avancer sur cette question. Aux dates des 26, 27 mai 1967, l’évêque a simplement consigné dans son registre : « Graves désordres à Pointe-à-Pitre : 7 morts et 60 blessés. »
Il reste malgré tout une solution relevée par Benjamin Stora : la consultation des registres de sépulture auprès de chacune des paroisses de la Guadeloupe. Cependant, pour l’historien, il s’agirait là d’un travail complexe et de longue haleine qui ne pourrait être mené qu’avec le concours des prêtres de toutes les paroisses de la Guadeloupe, car il n’existe aucun registre centralisé des sépultures à l’échelle du diocèse. L’historien invite les familles de ces victimes à se manifester et à parler si éventuellement il y aurait eu d’autres victimes. Il appartiendrait donc aux éventuelles familles qui seraient concernées de se manifester, faute de quoi la connaissance ne pourrait pas progresser sur ce point.
Les travaux de la commission n’ont donc pas permis d’établir un bilan humain incontestable des victimes des événements de mai 1967 mais le souvenir est bel et bien indélébile et la page ne peut être tournée.