Le quadrille créole de Guadeloupe vient d’être inscrit au Patrimoine culturel immatériel de la France. Une reconnaissance majeure pour une danse née dans les plantations, recréée par les populations mises en esclavage et devenue l’un des symboles les plus puissants de l’identité guadeloupéenne.
Dès que l’on parle de musique de la Guadeloupe, on pense au zouk ou pour les plus connaisseurs, de la biguine ou du fait de l’influence caribéenne, du kompas en provenance d’Haïti. Pourtant, le quadrille figure parmi les musiques traditionnelles de nos îles. Les îles de Guadeloupe ont surtout chacune apporté une touche spécifique à cette danse de salon de la fin du XVIIIe siècle.
Le quadrille est directement issu de la contredanse française telle qu’elle était dansée au XVIII siècle. Après l’abolition de l’esclavage les maîtres avaient interdit la reproduction de leur danse par les anciens esclaves de peur qu’elle ne soit parodiée. Elle restait toujours pratiquée dans les milieux bourgeois, des communes à proximité des usines, par des rythmes européens.
Ce n’est que vers les années 1930, à la découverte de la biguine que les guadeloupéens de la commune de Sainte Anne, lieudit : Deshauteurs ont constitués le quadrille au commandement sur la base des quadrilles à la Française. Au plan musical le nom des figures restera les mêmes.
Un commandeur donnera le départ de la danse, les mouvements à exécuter à chaque reprise de cette musique syncopée constituant la figure et la fin de la danse.
Dans sa description du quadrille, Lameca parle du quadrille de la Côte sous-le-vent qui est lui aussi chorégraphié pour deux couples disposés exactement de la même façon qu’à Vieux-Fort. Toutefois, l’usage veut que les danseurs de la Côte sous-le-vent placent deux petits quadrilles côte-à-côte. Autrement-dit, huit danseurs se mettent sur deux lignes comptant chacune deux hommes et deux femmes. Chaque cavalier se tient à côté de sa dame et fait face à une autre dame. Cette disposition en deux quadrilles côte-à-côte fait évoluer huit danseurs en même temps, mais tous les déplacements se font en parallèle dans les deux petits quadrilles simultanément.
Malgré les différences notables qui distinguent les quadrilles de Guadeloupe les uns des autres, certains éléments chorégraphiques se retrouvent parfois d’un quadrille à l’autre dans les figures de même nom.
Pour ce qui est de la musique, l’accompagnement se fera avec des instruments fabriqués sur place, tel ; le siac, le triangle, le tambour de basse, le chacha, l’accordéon, la guitare étaient importés. En ce qui concerne le rythme, c’est généralement un rythme ternaire qui distingue la poule. Les autres figures sont toujours en binaire à deux ou quatre temps.
Lameca va plus loin et donne des détails sur le rôle de chaque instrument qui compose l’orchestre quadrille. Ainsi, des enregistrements effectués au début des années 1970 montrent qu’à travers la Guadeloupe, les mélodies de quadrilles étaient exécutées au violon aussi bien qu’à la flûte, à la mandoline ou encore à la guitare. Depuis la fin du vingtième siècle, tous ces instruments ont disparu et ont été remplacés par l’accordéon. Au milieu des années 2010, des efforts ont été entrepris pour réintroduire le violon dans l’orchestre de quadrille, notamment à Vieux-Fort où le recours au violon pour interpréter les mélodies de quadrille s’est maintenu plus longtemps qu’ailleurs. À l’accordéon qui joue la mélodie, on ajoute quatre ou cinq instruments – des idiophones pour la plupart – pour compléter l’ensemble de quadrille. Ces instruments sont le graj aussi appelé siyak ou mòtòyò (un râcleur en bambou), le chacha (sonnaille), le triangle et le tanboudbass, tous de fabrication artisanale. On leur adjoint de plus en plus souvent une basse électrique et quand le tanboudbass n’est pas disponible une boîte à rythme ou une batterie remplace le tanboudbass, au grand dam de certains porteurs de tradition.
Pour ce qui est de la danse, il y a aussi des différences notables entre les différentes régions de l’archipel guadeloupéen.
Un commandeur dont les rôles diffèrent là encore d’une zone à une autre comme l’explique la Médiathèque Caraïbe » Sur la Grande-Terre, les danseurs sont toujours au nombre de huit, organisés en quatre couples dirigés par un commandeur. À Marie-Galante aussi un commandeur annonce les figures et les parcours, mais si autrefois huit danseurs pouvaient figurer en même temps dans l’espace de danse, ils étaient disposés en deux petits quadrilles distincts, les katos, formés de deux couples chacun. Aujourd’hui à Marie-Galante, les petits quadrilles ou kato se multiplient dans la salle de bal où ils figurent sous le regard attentif du commandeur lançant ses injonctions. «
Autrefois le commandeur jouait d’un petit tambour sur cadre appelé kakòyè sur la Grande-Terre et makè à Marie-Galante. Depuis les années 1970, il ne s’occupe plus que d’annoncer les parcours et les figures car son tambour a disparu de l’orchestre traditionnel.
Le Carême excepté, le quadrille se danse à longueur d’année en Guadeloupe, dans des bals qui rassemblent jusqu’à deux cents danseurs et où de plus en plus souvent les quatre quadrilles sont dansés en alternance. Moins populaire que le zouk, la biguine ou le bien nommé gwoka, le quadrille a été menacé de disparition car elle était représentée par une petite communauté vieillissante. La transmission était faite en famille. Si vous n’étiez pas de la descendance d’une famille de danseur il vous était difficile de pratiquer cette danse. Pareil, si vous n’aviez pas de proche sachant commandé le bal, il vous était quasi impossible de le devenir.
Si les quadrilles créoles continuent d’être dansés partout en Guadeloupe, leur transmission repose désormais presque exclusivement sur des associations locales, dont les membres sont majoritairement âgés.

Le quadrille au patrimoine immatériel culturel national.
C’est sans doute une avancée majeure pour la conservation de cette musique, danse traditionnelle plus que centenaire. Les quadrilles de Guadeloupe viennent d’être inscrits à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel de la France. Cette reconnaissance fait suite au travail d’inventaire réalisé par la chercheuse et journaliste Isabelle Calabre, mandatée par le ministère de la Culture. Elle met en lumière l’histoire et la vitalité de ces danses nées à la fin du XVIIIᵉ siècle, lorsque les populations africaines réduites en esclavage ont réinventé les quadrilles français importés par les colons. Enrichies au fil du temps de rythmes, de mouvements et de pratiques vocales d’origine africaine, ces danses créolisées demeurent aujourd’hui un élément central de l’identité guadeloupéenne.
La fiche validée par le ministère de la Culture retrace l’origine des quadrilles guadeloupéens, nés à la fin du XVIIIᵉ siècle lorsque les populations africaines réduites en esclavage se sont approprié les quadrilles européens imposés par les colons. En y ajoutant leurs rythmes, leurs accents musicaux et leurs gestes traditionnels, elles ont façonné un répertoire entièrement original, qui s’est rapidement diffusé dans toute l’île. Pendant près de deux siècles, cette danse structurée en figures successives a animé les bals hebdomadaires les balakadri et est devenue un pilier de la sociabilité guadeloupéenne. Son inscription au Patrimoine culturel immatériel vient souligner l’importance de cette création chorégraphique née de la résistance culturelle et de l’inventivité créole.
Le dossier d’inventaire souligne la richesse et la singularité des quadrilles guadeloupéens. Cette danse en carré, où des couples enchaînent des figures codifiées, se caractérise par une hybridation unique entre héritages européens et apports africains. Aux mélodies de l’accordéon ou du violon se mêlent le rythme profond du tanboudibass, tandis que le siyak, les chachas ou les tibois rappellent l’ingéniosité instrumentale des populations créoles. Les figures du Pantalon, de l’Été, de la Poule ou de la Pastourelle, héritées des bals européens, sont réinterprétées selon des esthétiques, des rythmes et des savoir-faire propres à chaque territoire. Le quadrille guadeloupéen incarne ainsi un processus de créolisation, par lequel danseurs et musiciens ont transformé une danse de maître en un art populaire profondément ancré dans l’identité locale.
Le document d’inventaire pointe un enjeu majeur : la relève se fait rare. Beaucoup de jeunes continuent de percevoir le quadrille comme une pratique figée, voire enfermée dans une image trop liée à l’époque coloniale. À Marie-Galante, la situation est même critique : le dernier commandeur encore actif est octogénaire, sans héritier pour prendre le relais. Les crises récentes, en particulier la pandémie de Covid-19, ont affaibli un tissu associatif déjà fragile et accentué le risque d’une rupture dans la transmission.
Pourtant, la flamme ne s’est pas éteinte. Près d’une centaine d’associations, dont près de quatre-vingts réunies au sein de la FREGAQ (Fédération Régionale Guadeloupéenne des Activités de Quadrille), continuent d’organiser répétitions, balakadri et événements culturels. Grâce à elles, le quadrille reste une pratique vivante, fédératrice, et toujours profondément ancrée dans la vie culturelle guadeloupéenne.

Une inscription qui change la donne :
Avec leur entrée dans l’Inventaire du Patrimoine culturel immatériel, les quadrilles créoles disposent enfin d’un levier réel pour leur sauvegarde. Cette reconnaissance offre un cadre clair, mais surtout une impulsion : celle d’organiser, de structurer et d’accélérer des actions devenues urgentes.
Le document d’inventaire est sans ambiguïté : la transmission doit redevenir une priorité. Cela passe par des initiations dès l’école primaire, des programmes intergénérationnels, mais aussi par la création d’un véritable conservatoire où les danses créoles auraient toute leur place. Le texte appelle également à collecter systématiquement les archives sonores et visuelles, à valoriser ces pratiques à l’échelle nationale et à renforcer l’accompagnement des associations et festivals.
L’objectif est clair : permettre au quadrille de continuer à évoluer, à se transmettre et à demeurer un pilier vivant de la culture guadeloupéenne.
Une reconnaissance lourde de sens :
L’inscription des quadrilles créoles de Guadeloupe au Patrimoine culturel immatériel est bien plus qu’une formalité administrative : c’est un geste symbolique fort. Elle honore l’ingéniosité de celles et ceux qui, en pleine période esclavagiste, ont transformé une danse européenne en un art créole vibrant, inscrit dans la mémoire collective de l’île.
Elle met aussi en lumière la ténacité des associations, des musiciens, des commandeurs et de tous ceux qui, malgré les obstacles, maintiennent ce patrimoine en mouvement.
Surtout, cette reconnaissance ouvre un horizon nouveau : celui d’une véritable politique culturelle capable de redonner au quadrille la place qu’il mérite dans la Guadeloupe d’aujourd’hui, une place vivante, créative, fédératrice, fidèle à ce qu’il a toujours été : un lien social puissant et un marqueur d’identité.

La cérémonie officielle de remise du certificat d’inscription par la ministre de la Culture se tiendra le mercredi 17 décembre 2025 au ministère de la Culture, à Paris.
La fiche complète d’inventaire est accessible en ligne sur le site du ministère de la Culture.
Pour aller plus loin :
1ère édition du Festival International de Quadrille en Guadeloupe – The Link Fwi
On dimanch o komandman : Les grands-mères à l’honneur sur du quadrille – The Link Fwi

