Coke en stock : les Antilles-Guyane, plaque tournante vers la France

En France, le marché de la cocaïne est sur le point de devenir le premier marché de drogues illicites en valeur, devant celui du cannabis, et connaît une croissance rapide : en 2023, 1,1 million de Français en ont consommé au moins une fois dans l’année, contre 600 000 en 2017. Le marché français est l’un des plus accessibles pour les narcotrafiquants sud-américains, car la France, à la fois pays de consommation et de transit, bénéficie d’un avantage stratégique grâce à ses Outre-mer, proches des zones de production de cocaïne en Amérique du Sud.

La consommation de drogue n’a jamais été aussi importante en France et dans le monde. Au fil des années, le nombre de consommateurs augmente, malgré les efforts acharnés des forces de police nationales et internationales. Et pourtant, le trafic persiste. Il s’agit d’une tendance mondiale, mais également nationale, car la France est touchée par ce fléau qu’est la drogue.

Une expansion telle que les autorités craignent désormais que notre pays ne devienne un narco-État. De Marseille à Grenoble, en passant par les banlieues parisiennes, lilloises, sans oublier les villes moyennes, les villages, et même jusqu’aux Outre-mer, tous semblent se tourner vers elle. Le temps des petits trafics, menés par des dealers solos ou les membres de la French Connection, est révolu. Le ‘business’ est désormais aux mains des jeunes barons de la drogue, qui n’ont même pas trente ans. Ils ne s’identifient plus aux anciens parrains de la pègre corso-marseillaise, celle qui a marqué l’âge d’or du grand banditisme tricolore. Leurs modèles sont Pablo Escobar, Joaquín Guzmán, Marcos Willians Herbas Camacho ‘Marcola’, Arturo Beltrán Leyva, Luiz Fernando da Costa, et tous ceux à la tête des cartels mexicains, colombiens et brésiliens, starifiés par les séries Netflix. Comme leurs idoles, ils ont grandi dans la misère des HLM des villes hexagonales ou dans les bidonvilles de Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Cayenne.

Évidemment, qui dit trafic de drogue dit enrichissement des bandes criminelles, à l’image de la DZ Mafia, du Clan Yoda de Marseille ou des gangs guadeloupéens SK et Chien Lari, désormais bien implantés sur le territoire national après leur transfert vers des maisons d’arrêt hexagonales. On note également la présence croissante des gangs brésiliens, connus pour leur ultra-violence, sur le territoire guyanais. D’autre part, l’accumulation de drogue et d’argent entraîne souvent des rivalités entre trafiquants, ce qui mène à des règlements de comptes violents, impliquant des armes de guerre.

Toutefois, ne faisons pas les étonnés : Pablo Escobar, le narcoterroriste, l’avait déjà prédit lors d’une interview accordée aux journalistes français Jean Bertolino et Tony Comiti, alors qu’il était en cavale.

Le cannabis, encore le roi des drogues :

Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, entre 2021 et 2022, les saisies mondiales de drogues illicites ont été largement dominées par le cannabis, qui représente 59 % du total des saisies réalisées. Parmi celles-ci, l’herbe de cannabis constitue 37 %, la résine de cannabis 19 %, et les plants de cannabis 3 %. L’Organisation des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime qu’en 2022, 5 292 tonnes d’herbe de cannabis et 2 033 tonnes de résine ont été interceptées. Les stimulants de type amphétaminique (STA) représentent 20 % des saisies mondiales, principalement dominés par la méthamphétamine (16 %), suivie des amphétamines (2 %) et de l’ecstasy/MDMA (1 %). En termes de volumes, 375 tonnes de méthamphétamine, 118 tonnes d’amphétamines et 13 tonnes d’ecstasy/MDMA ont été saisies en 2022 dans le monde. La cocaïne représente 11 % des saisies mondiales, dont 5 % pour la forme poudre, le cocaïne chlorhydrate. En 2022, 1 664 tonnes de cocaïne chlorhydrate ont été interceptées. Les opioïdes, majoritairement sous forme d’héroïne (6 %), constituent 7 % des saisies mondiales, avec 77 tonnes d’héroïne saisies à l’échelle mondiale en 2022.

Selon l’OFDT, pour l’année 2022/2023, un million de saisies ont été rapportées dans l’Union Européenne. Celles-ci sont également dominées par le cannabis, qui en représente plus des deux tiers (71 %). L’herbe de cannabis représente 34 % des saisies totales, tandis que la résine de cannabis en constitue 35 %. La cocaïne arrive en deuxième position avec 13 % des saisies, suivie des amphétamines (4 %), de l’héroïne (3 %), de la MDMA (2 %) et de la méthamphétamine (1 %).

Ces augmentations prouvent que nous sommes passés à une échelle industrielle dans la production de drogues en tout genre, destinées aux marchés occidentaux toujours plus demandeurs. Sur la période 2012-2022, les chiffres montrent une augmentation générale des quantités saisies pour tous les stupéfiants, à l’exception de l’herbe de cannabis, dont les volumes sont restés stables par rapport à 2012. Les plus fortes augmentations concernent la méthamphétamine (+204 %), la cocaïne (+189 %), les drogues de type ecstasy (+113 %) et les amphétamines (+44 %), avec des saisies en constante progression à l’échelle mondiale. En Europe, la tendance est également à la hausse, mais avec un focus plus marqué sur la cocaïne (+376 %), la méthamphétamine (+293 %), l’herbe de cannabis (+184 %), l’héroïne (+91 %), les amphétamines (+74 %) et la MDMA (+71 %).

La France suit également la tendance, avec cinq millions d’usagers de cannabis en 2023. Le niveau record de saisies a été atteint en 2022, avec 128,6 tonnes interceptées. Selon les autorités judiciaires, 240 000 personnes seraient impliquées dans le trafic de cannabis, qui aurait rapporté 3,5 milliards d’euros en 2023, soit une augmentation de +60 %. En 2022, les saisies de cannabis en France ont atteint un niveau record de 128,6 tonnes interceptées. L’année 2023 a toutefois enregistré une légère diminution, avec 124,7 tonnes saisies, soit une baisse de 3 % par rapport à l’année précédente. Ces saisies sont constituées de 87 tonnes de résine et de 37,7 tonnes d’herbe de cannabis. Les autorités constatent néanmoins que la part de l’herbe dans le total des saisies de cannabis est passée de 6 % en 2013 à 30 % en 2023.

À l’image de leurs voisins européens, le marché français de la résine de cannabis est principalement alimenté par la production marocaine. Celle-ci est acheminée en Europe par voie maritime via l’Espagne, avant d’être distribuée par voie terrestre, via des ‘go-fast’, vers les principaux lieux de stockage, généralement les banlieues des grandes villes, avant sa mise en vente sur l’ensemble du territoire. Quant au cannabis sous forme d’herbe, il est principalement cultivé localement ou dans les pays limitrophes, comme l’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas, ce dernier étant considéré comme l’acteur principal de la production en Europe, représentant 75 % des plants saisis en 2021.

La cocaïne, de plus en plus populaire :

La culture de la feuille de coca est concentrée dans trois pays d’Amérique du Sud : la Colombie, le Pérou et la Bolivie, qui abritent également des laboratoires clandestins de transformation de la feuille en la poudre blanche que nous connaissons. Selon les données mondiales fournies par l’UNODC, en 2022, la Colombie représentait 65 % de la production mondiale. En dix ans, la superficie mondiale consacrée à cette culture a plus que doublé, culminant à 354 900 hectares en 2022, soit environ 2 700 tonnes de cocaïne produites. Les principaux pays consommateurs de cocaïne sont situés en Amérique du Nord (États-Unis, Canada), en Europe (Espagne, Royaume-Uni) et en Amérique du Sud (Brésil, Argentine).

À l’échelle mondiale, européenne et nationale, la cocaïne est la drogue qui connaît la croissance la plus rapide ces dernières années. Jadis réservée aux élites et aux personnalités du show-business, elle s’est largement démocratisée, entraînant une baisse de son prix dans les pays consommateurs. Elle s’est désormais infiltrée dans des milieux sociaux plus modestes, avec des consommateurs allant de l’étudiant en Lettres au simple ouvrier, en passant par le chômeur. La poudre blanche commence même à éclipser l’herbe, et les saisies effectuées par les forces de police et les armées sont en nette augmentation.

Cela s’explique par le choix des producteurs basés en Amérique du Sud d’augmenter leur production, rendant ainsi la cocaïne plus accessible aux petits consommateurs. Selon l’OFAST, le prix à l’exportation de la cocaïne en Colombie, principal pays producteur, est estimé à 1 000 € par kilogramme. À titre de comparaison, il est évalué à 2 610 € par kilogramme pour le Pérou et à 2 235 € pour la Bolivie.

Pendant trois décennies, le nord du continent américain (États-Unis et Canada) a été la cible privilégiée des narcotrafiquants sud-américains. Cependant, avec l’arrivée des drogues de synthèse et des opioïdes, ainsi que les contrôles renforcés des différents services fédéraux américains, ayant conduit à l’arrestation et à l’extradition de plusieurs têtes pensantes des cartels et des gangs latinos, les organisations criminelles se sont finalement tournées vers des marchés plus porteurs, comme l’Afrique, mais surtout l’Europe, où la demande explose.

Par la mer, par la route, grâce à l’utilisation de mules (souvent des jeunes femmes sans emploi), mais aussi par les airs ou via le digital, les routes et méthodes d’approvisionnement en stupéfiants en France sont en constante évolution. En effet, le marché de la cocaïne est sur le point de devenir le plus important en termes de valeur parmi les drogues illicites, devançant ainsi celui du cannabis, et connaît une croissance rapide : en 2023, 1,1 million de Français en ont consommé au moins une fois au cours de l’année, contre 600 000 en 2017. La France se classerait parmi les dix premiers pays européens en termes de nombre de consommateurs.

Sur le marché français, le prix de gros de la cocaïne atteint 32 586 € par kilogramme, marquant une légère hausse par rapport à 2022. En ce qui concerne le prix au détail, le service chargé de la lutte contre la drogue indique que le prix moyen du gramme de chlorhydrate de cocaïne s’élève à 66 € en 2023, contre 65 € en 2022 et 2021. Depuis le début des années 2010, le prix de détail est resté relativement stable, oscillant généralement entre 65 et 66 € le gramme.

Une autre raison de l’expansion de la drogue en provenance d’Amérique du Sud réside dans le recours croissant des trafiquants à des principes actifs supplémentaires. En résumé, la cocaïne est de plus en plus coupée, ce qui la rend moins pure dans les rues des villes françaises (ou européennes). Ainsi, le prix de la cocaïne ‘pure’ a diminué en France. En 2012, le prix du gramme de cocaïne ‘pure’ était de 130 €, contre 90 € en 2023, soit une baisse de 30 %. Les trafiquants s’adaptent également à la situation sociale et économique. En effet, ajusté à l’inflation, le prix réel a diminué de 17 %, passant de 65 € en 2012 à 53,87 € en 2023. Par ailleurs, le fractionnement des unités de vente s’est largement répandu à travers le territoire national.

Résultat, les saisies s’enchaînent et battent des records comme en Août 2024 où 10 tonnes de cocaïne avaient été saisies au large de la Martinique, ou plus récemment en décembre 2024, à la République Dominicaine où 9,8 tonnes de poudre ont été interceptées par la police suivie de l’arrestation d’un véritable réseau de trafiquants colombiens bien implantés dans ce pays des Caraïbes.

Une mutation du trafic :

Pendant longtemps, le trafic de drogue était contrôlé par de grandes familles mafieuses, tant en Europe qu’en Amérique Latine. Cependant, les choses ont évolué. L’organisation des groupes criminels impliqués dans le trafic de cocaïne est devenue de plus en plus fragmentée et décentralisée, avec une montée en puissance de groupes plus petits et moyens. Ces derniers contrôlent souvent seulement une partie de la chaîne d’approvisionnement et collaborent avec d’autres organisations criminelles. Le trafic se décentralise ainsi, avec des groupes spécialisés dans des tâches spécifiques de la logistique, sans nécessairement posséder la drogue qu’ils transportent. Cette fragmentation est également le résultat des nombreuses extraditions vers les États-Unis et de la collaboration renforcée entre les services fédéraux américains et ceux de la Colombie, qui ont conduit à la destruction des principaux cartels que nous connaissions.

D’autant que la Colombie, avec ses ports donnant à la fois sur la mer des Caraïbes et le Pacifique, a été supplantée par d’autres pays qui étaient jusqu’alors moins concernés, comme l’Équateur ou le Paraguay. En Europe, l’Espagne, longtemps perçue comme la porte d’entrée de la drogue, a également été remplacée par des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, ainsi que la France.

D’ailleurs, l’un des marchés privilégiés pour les trafiquants de drogue d’Amérique du Sud est le marché français. La France, à la fois pays de consommation et de transit, bénéficie d’un avantage stratégique grâce à ses Outre-mer, situés à proximité des zones de production de cocaïne en Amérique du Sud. En effet, ces territoires, en raison de leur position géographique, se trouvent proches des pays producteurs.

Les Antilles-Guyane, au cœur de ce trafic, jouent un rôle central dans l’approvisionnement en drogue. »

Ces petits bouts de France, confrontés à de réelles difficultés structurelles et sociales, souffrent d’un taux de chômage particulièrement élevé, atteignant 30 à 40 % dans certaines régions ultramarines, en particulier chez les jeunes, bien au-dessus de la moyenne hexagonale. La pauvreté y est deux à quatre fois plus élevée qu’en métropole, ce qui fait de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane des territoires criminogènes, des lieux stratégiques pour les narcotrafiquants qui entretiennent des liens directs avec les organisations criminelles locales. Ces groupes ont pour particularité de disposer de ramifications parfois jusqu’au plus haut niveau de la société, avec des connexions dans la diaspora, notamment dans les grandes villes françaises et européennes comme la Belgique.

C’est particulièrement vrai en Guyane française, la plus grande région de France, qui partage la plus longue frontière avec un pays non européen. Là, les gangs brésiliens ont réussi à s’implanter durablement pour acheminer la drogue directement vers des trafiquants guyanais ou surinamiens, malgré les alertes émises par les autorités fédérales brésiliennes aux services du Ministère des Armées et de l’Intérieur. Dans un article de 2024, nous rapportions déjà que deux gangs 100 % guyanais, le B13 de Matoury et le BTR Gang, se sont associés avec ces factions brésiliennes. Ces derniers n’hésitent pas à menacer physiquement des membres des forces de l’ordre, comme en mars 2024, lorsqu’un substitut du procureur a été menacé par un gang brésilien et a dû être exfiltré pour sa propre sécurité.

Tous ces acteurs se rencontrent, bien entendu, derrière les murs des prisons en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et en France métropolitaine. En effet, c’est en détention que des liens se nouent entre les membres des cartels colombiens, les Antillo-Guyanais et les chefs de réseaux des banlieues.

Les Antilles françaises, historiquement considérées comme des zones de transit maritime pour la cocaïne destinée au marché métropolitain, jouent un rôle stratégique à travers leurs ports, notamment ceux de Fort-de-France en Martinique et de Jarry en Guadeloupe. La cocaïne est dissimulée dans des fruits, des légumes, du poisson, des objets, des meubles, voire dans la structure même des conteneurs (parois, blocs réfrigérants). Les trafiquants recourent aussi à des livraisons atomisées en utilisant la technique du rip-on/rip-off, qui consiste à dissimuler des sacs de cocaïne de quelques dizaines de kilos dans des conteneurs dont l’ouverture a été trafiquée, avec la complicité de membres du personnel portuaire. Autre méthode couramment employée, le troc : les trafiquants de la Caraïbe échangent de la résine de cannabis en provenance du Maroc contre de la cocaïne en provenance de Colombie ou du Venezuela. En 2022, les saisies de cocaïne effectuées aux Antilles via les infrastructures maritimes ont atteint près de 1,2 tonne. Parallèlement, les saisies dans les ports de commerce de l’Hexagone en provenance des Antilles ont totalisé 6,7 tonnes (OFAST, 2023). En Guyane, la situation se distingue par le rôle clé de l’approvisionnement du marché métropolitain par voie aérienne. L’axe Cayenne-Paris est fréquemment utilisé par des passeurs transportant la drogue, souvent en utilisant des mules qui ingurgitent des boulettes de cocaïne ou les dissimulent dans leurs bagages avant de prendre l’avion vers Paris. Ce phénomène a conduit les autorités françaises à déployer un arsenal judiciaire et législatif pour lutter contre cette situation.

En novembre 2022, les mesures de sécurité à l’aéroport de Cayenne ont été renforcées, notamment par la mise en place du dispositif « 100% contrôle » dans le cadre du « Plan mules », ce qui a permis une interception plus efficace des tentatives de trafic. À la date du 31 janvier 2024, ce dispositif avait conduit à l’interception de plus de 680 mules et à la saisie de près d’une tonne de cocaïne. Cependant, malgré ces efforts, le trafic continue. Selon le rapport de l’OFDT, face au renforcement des contrôles douaniers à Cayenne, les trafiquants ont cherché à contourner ces mesures en privilégiant des vols à destination des Antilles, puis des Antilles vers l’Hexagone, des trajets qui font l’objet de contrôles moins stricts (OFAST, 2023).

Redoublant d’ingéniosité, les trafiquants s’adaptent rapidement, allant jusqu’à réutiliser des méthodes anciennes, telles que le fret express et postal. En 2022, ce mode de transport représentait 36 % des saisies de cocaïne effectuées par les services douaniers de Roissy Fret en provenance de Guyane (OFAST, 2023). Modernisation oblige, ces trafiquants ont également investi les réseaux sociaux et les messageries cryptées pour promouvoir leurs produits auprès de consommateurs discrets, mais toujours plus nombreux. En un clic, le client peut obtenir la drogue qu’il désire, livrée à son domicile en quelques heures par des coursiers, véritables « Amazon » de la drogue. Ces outils numériques ne servent pas seulement à vendre, mais aussi à blanchir de l’argent.

Une recrudescence des violences liées au trafic de cocaïne

Le trafic de cocaïne, de plus en plus lucratif, engendre une hausse significative des violences, que ce soit au niveau des rivalités entre groupes criminels ou dans les quartiers où se concentre le trafic. Les cartels, mais aussi les petits groupes de dealers, se livrent à des règlements de comptes violents pour contrôler les routes d’approvisionnement, les zones de distribution et les réseaux. Les armes de guerre, désormais largement utilisées dans ces confrontations, témoignent de la montée en puissance de la violence dans ce milieu. Les autorités, bien qu’elles multiplient les interventions, peinent à endiguer cette spirale de violence, qui touche directement les populations locales, souvent prises en otage dans ces conflits. En conséquence, l’augmentation des violences liées au trafic de cocaïne devient un phénomène préoccupant, affectant la sécurité publique et les équilibres sociaux des territoires concernés.

En 2023, l’augmentation des violences liées au trafic de drogue a été frappante, alimentée par des rivalités territoriales et la concurrence féroce entre organisations criminelles. Ces violences incluent des règlements de comptes, des homicides volontaires, des tentatives de meurtre, mais aussi des enlèvements et des séquestrations. D’après l’Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO), entre 80 et 90 % des règlements de comptes, meurtres et tentatives de meurtre entre délinquants sont directement liés à des différends sur le contrôle du trafic de stupéfiants. En 2023, les règlements de comptes ont augmenté de 38 %, avec 418 victimes, dont des victimes collatérales, contre 303 l’année précédente, et 85 morts, contre 67 en 2022. Parmi les 8 000 armes saisies par la police en 2023, près de 300 étaient des armes de guerre. Les profils des individus impliqués dans ces trafics sont généralement des jeunes âgés de 15 à 20 ans, utilisés comme guetteurs ou revendeurs par les chefs de réseau. Ces jeunes sont les premières victimes de violences armées dans les zones de deal. Par ailleurs, certains mineurs, sans antécédents judiciaires, sont engagés comme tueurs à gages par les barons du trafic, comme cela a été observé dans des villes telles que Marseille, Grenoble, Perpignan, et d’autres villes de taille moyenne.

Alors que la violence sous fond de trafic de drogue fait les choux gras des médias occidentaux, en Outre-mer, elle s’est enracinée depuis des décennies. En effet, comme nous l’indiquions dans notre article sur la question des violences, c’est en Outre-mer que la violence est la plus marquée, notamment en Guyane française, en Guadeloupe et en Martinique, où les taux d’homicides et de tentatives d’homicide atteignent des niveaux vertigineux comparés à ceux des régions de l’Hexagone. C’est du moins ce qui ressort des statistiques du ministère de l’Intérieur, publiées le jeudi 25 janvier, et portant sur la période 2016-2022.

Les départements d’Outre-mer affichent les taux de criminalité les plus élevés, avec un pic en Guyane, où ces taux sont dix fois supérieurs à la moyenne nationale. La Guadeloupe et la Martinique suivent de près ce territoire français d’Amérique latine. Ces deux régions caribéennes enregistrent des taux d’homicides, tant réussis que tentés, environ cinq fois supérieurs à la moyenne nationale.

Les Antilles françaises et la Guyane figurent également en tête des régions où le taux d’homicides et de tentatives d’homicide est le plus élevé. Sans surprise, la Guyane arrive en première position, avec un taux moyen annuel de victimes (hors cadre familial) de 10,6 homicides et 42,4 tentatives d’homicide pour 100 000 habitants. En Guadeloupe, le taux moyen de victimes d’homicide est estimé à 9,4 pour 100 000 habitants, contre 1,3 dans l’Hexagone et 1,5 à l’échelle nationale. En Martinique, ce taux s’élève à environ 6,5 pour 100 000 habitants, restant ainsi nettement supérieur aux chiffres enregistrés en métropole.

Le trafic de drogue, entraînant régulièrement des règlements de compte, est l’une des principales causes de l’augmentation des homicides et tentatives d’homicide en Guyane comme aux Antilles. En Guadeloupe, deuxième territoire le plus violent en termes de taux d’homicides, 36 meurtres ont été commis en 2023, dont 18 par arme à feu. Cette même année, les services de police et de gendarmerie ont saisi pas moins de 400 armes à feu. Par ailleurs, la majorité des détenteurs d’armes illégales sont de plus en plus jeunes, parfois même mineurs. Ces armes, de plus en plus nombreuses, entrent illégalement sur le territoire par les mêmes circuits d’approvisionnement que la drogue.

Aux Antilles comme en Guyane, la majorité des homicides sont liés à des altercations, représentant respectivement 37 % en Guadeloupe, 36 % en Martinique et 33 % en Guyane. Le mode opératoire est également similaire, l’usage d’une arme à feu étant très fréquent : 49 % en Guadeloupe, 67 % en Martinique et 68 % en Guyane. En général, ces crimes sont principalement commis sur la voie publique (61 % en Guadeloupe, 73 % en Martinique et 61 % en Guyane). La moyenne d’âge des auteurs est relativement homogène : 33,4 ans en Guadeloupe, 32,4 ans en Martinique et 31,1 ans en Guyane. La grande majorité d’entre eux sont sans emploi et ont des antécédents judiciaires.

Sur ce point, une différence notable apparaît entre les Antilles et la Guyane : en Guadeloupe et en Martinique, 85 % des mis en cause pour homicide ont déjà eu affaire à la justice, contre 67 % en Guyane. Par ailleurs, en Guyane, une proportion importante des auteurs d’homicide est de nationalité étrangère

Combiner la lutte et la prévention.

Le constat est sans appel : les chiffres sont là pour le prouver, les politiques répressives menées au cours des vingt dernières années, tant au niveau national qu’international, ont échoué. Lutter contre le trafic de cocaïne, qu’il soit en Outre-mer ou en Hexagone, représente un défi majeur nécessitant une approche globale. Celle-ci doit allier répression, prévention et coopération internationale. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusions : tant que la prohibition des drogues persistera, au niveau des États et des législations internationales, et surtout tant que les inégalités et la pauvreté continueront de régner, que ce soit entre l’Hexagone et les territoires d’Outre-mer tels que la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, ou encore entre les banlieues et les zones urbaines plus privilégiées, le trafic ne cessera pas.

Il convient également de souligner l’échec des politiques sanitaires de prévention, particulièrement auprès des jeunes, plus vulnérables à la fois à la consommation et à la vente de stupéfiants. De nombreux professionnels de santé ainsi que des associations d’insertion dénoncent un manque de financement de l’État pour lutter efficacement contre ce fléau. La situation est encore plus alarmante en Outre-mer, où les territoires sont non seulement géographiquement éloignés mais aussi frappés par une grande précarité.

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