Le dimanche 5 mai 2024, un incendie est déclaré à la rue Peynier à Pointe-A-Pitre (Guadeloupe). Malgré l’intervention des pompiers, six bâtiments sont détruits et de soldats du feu son blessés. Kervens Louis, un étudiant en science politique à l’université de Fouillole, a tout perdu durant cet événement. Il nous raconte ce moment difficile tout en gardant l’espoir et la positivité.
La ville de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe est-elle vouée à partir en fumée ? On pourrait se le demander vu le flux récurent de nouvelles évoquant un voire plusieurs incendies dans les rues et quartiers de l’ancienne capitale économique de l’archipel. En effet, chaque semaine, au moins, la presse se fait le relais de ces drames humains à consonnances sociales et sociétales qui touchent plus souvent le centre-ville historique. Pourtant, en quelques décennies, le centre a perdu de sa superbe. Fini le temps où l’on se bousculait pour faire ses achats. Il est terminé le temps où la ville faisait la fierté des habitants qui, redoublaient d’efforts pour entretenir leurs maisons créoles familiales qui étaient la touche si particulière à la ville. Cependant, l’avènement des zones industrielles et artisanales de Jarry puis de Dothémare, sans oublier le développement des grandes surfaces ont changé les modes de consommation de tout un chacun et cela a entraîné le déclin des bourgs et des centres. De plus, l’amélioration des conditions de vie, l’embourgeoisement d’une plus grande part de la population, le tout couplé à l’exode urbain, ont sonné le glas du centre-ville.
Disons-le, la ville n’est plus que l’ombre d’elle. Toutes les belles habitations traditionnelles, fleuries et resplendissantes sont de l’ordre du passé. Abandonnées par leurs propriétaires et leurs descendants. Entre les conflits familiaux pour la séparation des biens, le paiement des droits de succession et la question de l’indivision après le décès des parents propriétaires, ces dents creuses sont l’une des problématiques urbaines récentes.
Inoccupées, elles deviennent le lieu préféré du monde souterrain qui font d’elles des lieux de tous les trafics, repères pour les dealers, prostitution, squat d’immigrés ou de consommateurs de crack. Des activités illicites au vu et au su de tous. Régulièrement, le drame arrive et ces belles bâtisses traditionnelles finissent en cendre.
Toutefois, comment reprendre le cours de sa vie, quand les flammes ont réduit à néant tout ce que l’on possède ? Comment avancer quand tout le passé est parti en fumée ? Bien malgré eux, les sinistrés de la rue Peynier, victimes de l’incendie de dimanche 5 mai 2024, doivent relever ce défi. Depuis, une chaîne de solidarité s’est organisée autour d’eux. Kervens Louis est l’un d’eux. Étudiant en science politique à l’université de Fouillole, a tout perdu durant cet événement. Il nous raconte ce moment difficile tout en gardant l’espoir et la positivité grâce aux soutiens qu’il continue de recevoir avec notamment cette cagnotte Leetchi qui a battu tous les records.
Bonjour Kervens LOUIS, si on te donne la parole aujourd’hui c’est parce que tu es l’une des victimes du vaste incendie de la rue Peynier à Pointe-à-Pitre, tu as tout perdu. Comment ça va depuis ?
Kervens Louis : Déjà bonjour, merci de me donner la parole sur votre média. Alors, écoutez, depuis l’incendie, je me remets lentement. Ma vie a été bousculée par cet événement. Je dois tout réorganiser, papiers, logement, études. Mais, l’essentiel est que je n’ai rien eu et que je sois en vie.
Mais avant de commencer cette interview, pour notre public qui es-tu ? D’où viens-tu ?
Kervens Louis : Pour une présentation simple, je suis Kervens Louis, étudiant en 2e année Sciences politique à Fouillole et j’ai un parcours très dense et un parcours, artistique j’ai fait j’ai eu un bac artistique au lycée Carnot le bac S2TMD c’est Science s et Technique De la Musique et de la Danse et après le bac j’ai intégré Fouillole directement pour une licence de science politique je fais la science politique c’est pour me diriger directement dans la relation internationale mon objectif c’est de venir diplomate.
Justement avant l’incendie que faisais-tu le matin j’étais tranquillement chez
Kervens Louis : La journée avait plutôt bien commencé. Le matin, j’étais tranquillement chez moi, quand j’ai reçu un message d’une amie qui s’appelle Camille Boulland et qui est professeure à Ducharmoy au lycée de Saint Claude dans le sud Basse-Terre. Vu que je n’avais pas de programme, elle m’a proposé de passer la voir afin que nous puissions continuer à mettre en oeuvre notre projet associatif dédié aux jeunes. Je suis donc parti aux alentours de 10h-11h en bus vers Basse-Terre. Cela aurait dû être un week-end détente, bien que nous travaillions sur notre projet. J’avais prévu de revenir chez moi le lundi puisque j’avais aussi des choses plus personnelles à boucler. Cependant, le dimanche au matin, je reçois un appel de monsieur Eric Domichar qui est le proviseur du lycée Carnot. A peine, que j’ai décroché, il m’a demandé si j’allais bien ce qui était le cas jusqu’à ce que j’apprenne la nouvelle que ma maison est en feu. Cependant, je n’étais pas le seul dans la situation. En effet, il m’a informé que d’autres maisons à côté aussi étaient touchées par l’incendie que mon logement était complètement détruit. J’ai juste répondu “ ok”. Puis, j’ai contacté ma propriétaire c’est Madame Rilcy France Lise mais elle n’a pas répondu sur le coup. Je me suis dit qu’elle devait être sous le choc ou qu’elle était tout simplement occupée. Ensuite, j’ai téléphoné à une autre étudiante, car oui, je ne suis pas la seule victime. Nous sommes cinq étudiants de Fouillole. Au téléphone, cette dernière m’a confirmé l’information qui m’avait été donnée. Je lui ai demandé d’aller sur place, de prendre des photos des dégâts pour moi, ce qu’elle a fait. J’ai pu constater la force de ce feu, les destructions etc.
J’ai attendu le lendemain, soit le lundi pour retourner sur Pointe-à-Pitre afin de faire le constat par moi-même. J’ai pris le premier transport en commun qui faisait la liaison entre Basse-Terre et Pointe-à-Pitre et j’ai pu voir que je n’avais vraiment plus de maison. Tout est en cendres. Tous mes documents ont été brûlés ainsi que mes ordinateurs, mes livres. Tout est parti en fumée.
Tu n’étais pas présent à ce moment-là mais la propriétaire t’a prévenu, comment as-tu accueilli la nouvelle ? Comment t’es-tu senti ? Etais-tu triste, déconcerté ou en colère ?
Kervens Louis : Je pense que si c’était un jeune qui m’avait annoncé la nouvelle, je ne l’aurais pas cru. J’aurais pensé à une mauvaise blague mais comme la personne qui me l’a annoncé est un homme, un monsieur pour qui j’ai beaucoup de respect, j’ai compris la gravité de la situation. Un peu inquiet, avant d’appeler ma propriétaire, je suis allé sur internet pour voir l’actualité, voir s’il y avait bien un incendie. J’ai regardé la télé, ce qui a confirmé les avertissements que j’ai pu avoir. J’ai pris un temps de pause pour réfléchir et surtout accepter. Par la suite, je me suis dit qu’il y aurait surement des documents ou des affaires personnelles à récupérer. Le lendemain matin, au moment de retourner chez moi, je relativisais beaucoup comme pour me rassurer. Je me disais : “ c’est juste un incendie” mais une fois arrivé sur les lieux, j’ai vu que tout est parti en feu. J’étais décontenancé. Je n’avais plus de force pour me tenir debout.Après tout, c’est 5 ans de ma vie qui a disparu dans les flammes. Une vie que j’étais en train de bâtir une vie tout est parti. Là, j’avoue que cela m’a attristé.
Avant d’être une victime de l’incendie, tu te destinais à quoi ? Que faisais-tu dans la vie avant d’être
Kervens Louis : comme je l’ai indiqué au tout début de l’interview, je faisais mes études. Je suis étudiant à plein temps (rires). Par moment, comme j’ai pour passion la comédie, je suis comédien. J’ai déjà collaboré avec des troupes et des compagnies de théâtre. D’ailleurs, en ce moment je travaille avec une compagnie. En parallèle de tout ça, j’aide aussi des enfants à faire leurs devoirs au sein d’associations. Mais là, depuis l’incendie, j’ai un peu mis de côté mes activités théâtrales mais je n’ai pas l’intention d’arrêter vu que c’est le théâtre qui m’a forgé, c’est cette passion qui m’aide à rester debout, à tenir. Puis, après tout, je suis un homme de théâtre.
Pour revenir à cet événement, comment tout a commencé ? Il est vrai que comme tu nous l’as dit, tu n’y étais pas, mais est-ce que l’on t’a donné des détails ?
Kervens Louis : J’aimerais bien vous répondre mais honnêtement je n’ai jamais su comment tout a commencé. Même moi, je me pose encore des questions du style “ comment ça a commencé ?” “ Qu’est-ce qui ou qui est à l’origine de l’incendie ? “. Toutefois, je suis dans l’incapacité de fournir une réponse concernant le départ du feu.
A cause de l’incendie, vous êtes nombreux à avoir tout perdu, mais toi particulièrement tu es seul ici, que t’es-tu dit ? qu’as-tu fait
Kervens Louis : Pour ne rien vous cacher, au fond de moi, j’étais déjà mort. J’étais bousculé par des émotions négatives mais vu que la Guadeloupe est avec moi, d’ailleurs j’ai reçu beaucoup d’appels, beaucoup de dons tout ça donc je commence à reconstruire ma vie. Pour l’instant ça va même si ce n’est le top à 100%, je vais bien. Il y a pleins de gens qui m’entourent et qui m’aident. Il y a monsieur Eric Domichard qui est avec moi ou encore madame Berville ou même maître Beaubois ainsi que monsieur Cordoval et toutes ces personnes qui m’envoient des messages ou qui m’appelle, qui prennent mes nouvelles tous les de jours. Elles me donnent des soutiens moraux et psychologiques. J’ai aussi reçu des soutiens venant d’étudiants de l’Université notamment ceux en Droit et Science Politique qui m’ont envoyé des messages ou qui prennent de mes nouvelles. C’est aussi le cas des professeurs de l’Université mais égalements ceux de mon ancien lycée. Par exemple, le lendemain de la tragédie, le lundi et même le mardi ils ont essayé d’entrer en contact avec moi. J’ai aussi reçu des appels et des messages d’élus locaux. Donc oui, pour l’instant, ça va.
Tu nous parles des soutiens que tu reçois mais comment ça se passe avec l’administration ? Est-ce que c’est difficile ? Est-ce qu’ils sont compréhensifs ?
Kervens Louis : ça va… Ils sont très compréhensifs et à l’écoute après, les choses prennent du temps à se mettre en place, je dois patienter avant de pouvoir retrouver une certaine vie normale.
Comment est ton quotidien depuis le feu ?
Kervens Louis : J’essaie d’avancer même si c’est dur. J’avance. Comme le dit le proverbe haïtien, « Toutotan tèt ou poko koupe, espere met chapo » (Tant qu’on est vivant, il faut lutter sans désespérer). Je suis en vie, c’est l’essentiel. Hier, j’étais avec ma psychologue de Fouillole ( Université des Antilles), elle m’a dit le plus important est que je sois en vie et que le reste, je vais le reconstruire. J’ai la vie, je respire encore, donc je peux le faire. En plus, je suis soutenu, j’ai la Guadeloupe avec moi, je ne suis pas seul. J’ai des gens autour de moi, donc ça va.
Tu as perdu tes cours, tu dois les rattraper, sur ce point, comment ça se passe avec l’université ?
Kervens Louis : Là encore, je veux souligner la solidarité dont je suis témoin. Il y a les étudiants qui me proposent de me passer leurs cours. Il y a les professeurs comme je le disais précédemment. Il y a aussi les gestionnaires qui sont eux aussi à l’écoute donc si j’ai besoin de cours, ils sont prêts à me les fournir. Pareil quand j’ai besoin d’aide pour des révisions, ils sont là avec moi. Avec l’incendie, j’ai pu rencontrer de nouvelles personnes qui sont elles aussi prêtes à m’aider. Soient-elles m’aident avec des dons natures soit des pensées ou des messages et ça me touche vraiment car cela permet de remonter mon moral. Toutes ces marques d’attention me donnent la force de combattre l’obstacle qui se dresse face à moi et cela renforce ma détermination à aller de l’avant.
Il est vrai qu’après l’incendie ne cagnotte a été mise en ligne pour te venir en aide, elle a dépassé le montant espéré, t’attendais-tu à une si forte solidarité des Guadeloupéens ?
Kervens Louis : je sais que le peuple guadeloupéen est un peuple très généreux. C’est aussi un peuple solidaire. Au début quand on a lancer la cagnotte, je ne m’attendais pas à ce que tout le monde réagisse. C’est au fur et à mesure que je me suis rendu compte de la forte compassion des Guadeloupéens. Des gens que je ne connais même pas m’ont aidé, m’ont envoyé des dons ou des soutiens moraux. Certains donnent de l’argent tandis que d’autres préfèrent donner des vêtements. C’est très touchant. Puis quand j’ai vu la cagnotte comment les gens ont réagi, j’ai été très ému mais cela me donne beaucoup de courage pour avancer et affronter l’avenir afin de poursuivre mes études que je compte bien finir.
Alors, nous arrivons à la dernière question. Comment vois-tu ta reconstruction et ton avenir après ce grave incendie et si tu avais un message quel serait-il ?
Kervens Louis : avec autant de solidarité, je peux voir mon avenir et ma reconstruction sous un meilleur jour et cela me rassure. Sans doute, je vais me répéter mais j’étais avec ma psychologue et elle m’a dit que je suis en vie, c’est primordial et que je suis entrain de reconstruire quelque chose. Je vais réussir. Mon principal objectif est pouvoir mettre un pied dans le monde diplomatique et pour quoi pas, faire partie du corps diplomatique français ou d’ailleurs car on ne sait jamais. Après tout, c’est la vie donc on essaie d’avancer. Nous ne connaissons pas le futur. La preuve, je ne savais pas qu’un tel incendie irait perturber mon quotidien. La vie est pleine de mystères et de surprises.
Merci beaucoup Kervens.
Kervens Louis : c’est à moi à vous dire merci donc merci à toute votre équipe. Je suis très heureux de m’être exprimé devant vos caméras. Je ne sais pas si l’on se recroisera ou s’il y aura d’autres interviews mais on reste en contact.