Vie chère, octroi de mer et lobby Béké : Entretien exclusif avec Maryse Coppet

Maryse Coppet, avocate au barreau de Bruxelles et lobbyiste engagée auprès de l’Union européenne, aborde des sujets brûlants qui concernent l’Outre-mer : la vie chère en Guadeloupe, l’octroi de mer et l’influence du lobby Béké. Découvrez son analyse et son engagement en faveur des intérêts ultramarins dans cet entretien exclusif.

Ah ! La vie sous les tropiques : la farniente sur les plages aux eaux turquoise, les rivières cristallines, l’ambiance festive du carnaval… Autant de clichés qui font rêver les voyageurs en quête de sérénité. Cependant, derrière ce décor de rêve, se cache une autre réalité.

Ces îles, pourtant paradisiaques, sont loin d’être un paradis pour leurs habitants. Le chômage y est nettement plus élevé que dans l’Hexagone, touchant 30 à 40 % de la population, notamment les jeunes. Le taux de pauvreté y est également bien supérieur à celui de la France métropolitaine. Selon les dernières données de l’INSEE, en Guadeloupe, 20 % des personnes vivant seules sont en situation de grande pauvreté, tout comme 17 % des familles monoparentales. En Martinique, 13 % des personnes seules vivent dans une grande pauvreté, et 17 % des familles monoparentales sont en situation financière difficile. Le constat est similaire en Guyane, où, en 2023, 14 % de la population est en grande difficulté, tandis que 32 % des familles monoparentales sont en situation de grande pauvreté.

Alors que la pauvreté augmente, la situation est compliquée par l’octroi de mer, qui rend la vie plus chère qu’elle ne devrait l’être. Pour ceux qui n’en auraient jamais entendu parler, l’octroi de mer est une taxe coloniale créée par le ministre du roi Jean-Baptiste Colbert, spécifique aux colonies françaises mais toujours applicable dans les départements d’outre-mer (DOM), notamment en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. Cette taxe est prélevée sur l’importation de biens dans ces territoires, qu’ils proviennent de France métropolitaine, de l’Union européenne ou de pays tiers. Elle s’applique également à certains produits locaux, selon leur origine et leur nature. Les taux varient en fonction des catégories de produits et des collectivités, allant officiellement de 0 % à environ 30 %.

Alors que la pauvreté augmente, la situation est compliquée par l’octroi de mer, qui rend la vie plus chère qu’elle ne devrait l’être. Pour ceux qui n’en auraient jamais entendu parler, l’octroi de mer est une taxe coloniale créée par le ministre du roi Jean-Baptiste Colbert, spécifique aux colonies françaises mais toujours applicable dans les départements d’outre-mer (DOM), notamment en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. Cette taxe est prélevée sur l’importation de biens dans ces territoires, qu’ils proviennent de France métropolitaine, de l’Union européenne ou de pays tiers. Elle s’applique également à certains produits locaux, selon leur origine et leur nature. Les taux varient en fonction des catégories de produits et des collectivités, allant officiellement de 0 % à environ 30 %.

Diplômée en droit européen, avocate au barreau de Bruxelles depuis plusieurs années, présidente du M.O.M. (Mouvement pour les Outremers) et ancienne déléguée du CREFORM (Conseil Représentatif des Français d’Outre-Mer) pour les questions européennes, Maryse Coppet est avant tout une lobbyiste à l’Union européenne. Face à nos caméras, elle est revenue sur des sujets d’actualité : la vie chère en Guadeloupe et en Outre-mer, l’octroi de mer, le lobby Béké, ainsi que son travail de lobbyiste à l’Union européenne.

Me Coppet, bonsoir, et bienvenue dans notre émission « Rencontre avec », tournée au Karukera Café. On entend souvent parler de droit européen et de lobbyisme, alors ensemble, nous allons tenter d’apporter quelques éclaircissements. Mais avant tout, qui êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter brièvement à nos téléspectateurs et téléspectatrices ?

Maryse Coppet : Bonjour, et avant tout, je vous remercie de me recevoir. Qui suis-je ? Me Maryse Coppet, avocate au barreau de Bruxelles, originaire de la Guadeloupe. Je me considère profondément antillaise, à la fois guadeloupéenne et martiniquaise, avec une mère guadeloupéenne et un père martiniquais. J’ai grandi en Guadeloupe jusqu’à l’âge de 17 ans. Après mon bac, je suis partie étudier en Belgique, à Bruxelles, où je suis désormais avocate au barreau de Bruxelles, tout en étant lobbyiste auprès des institutions européennes. On parle souvent de moi en ce moment car je tire la sonnette d’alarme : il est crucial que nos départements d’Outre-mer défendent leurs intérêts, d’où l’importance du lobbying, que nous allons aborder aujourd’hui.

Quel est votre parcours professionnel ? Qu’avez-vous accompli après toutes ces années ?

Me Maryse Coppet : Oh, tant d’années, vous savez, je suis encore très jeune (rires). Comme je vous le disais, après avoir obtenu mon bac, j’ai quitté l’archipel pour poursuivre mes études à Bruxelles, en Belgique. J’avais la volonté de travailler à l’international. Venir d’un territoire français de 400 000 habitants m’a donné l’envie de découvrir le monde. Il était donc essentiel pour moi de partir à l’étranger. J’ai étudié entre Londres et Bruxelles. Finalement, j’ai passé plus de temps à Bruxelles qu’en Guadeloupe ou en France. J’ai une carrière européenne et internationale qui me plaît beaucoup. Comme vous le savez, nous, les insulaires, avons souvent ce besoin de partir pour découvrir le monde. D’ailleurs, nous sommes riches d’une diaspora répartie aux quatre coins du globe, et je trouve cela magnifique.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir avocate ? Était-ce un choix d’enfance et vos parents étaient-ils d’accord avec ce choix de carrière ?

Maryse Coppet : Je dirais que la défense des intérêts est presque innée chez moi. Je pense que j’avais suffisamment de caractère pour me dire qu’il fallait porter ma voix. Depuis petite, au collège et au lycée, j’avais cette volonté de défendre mon prochain, car en étant originaire des départements d’Outre-mer, on est constamment confronté à l’injustice. Une injustice historique, notamment en raison de l’esclavage. Ainsi, mes arrière-grands-parents étaient esclaves, mes grands-parents ont été enseignants et ont eu ce parcours de transmission, se battant toujours pour le mieux-être des leurs. Mes parents ont toujours voulu faire mieux pour leurs enfants. Ma mère, issue d’une famille de sept enfants, était une travailleuse acharnée et aspirait à la réussite. Pour elle, réussir, c’était s’épanouir, avoir un travail et accéder à la liberté, ce qui passait par un travail qu’on aime et qui permet d’apporter quelque chose à la société. Elle est devenue pharmacienne. Mon père venait d’un milieu très pauvre, il a perdu son père à l’âge de cinq ans, a quitté l’école à 16 ans et sa mère était tétraplégique. Mais malgré cette situation, cela ne l’a pas empêché de réussir. Il est devenu un homme d’affaires, importateur automobile très connu dans les territoires ultramarins. Comme j’aime à le dire, je suis le fruit d’une alliance : ma mère, avec son côté intellectuel, et mon père, qui s’est fait seul et avait sans cesse soif de justice sociale, désirant donner au peuple. Il a même créé des écoles de formation pour les garagistes et avait cette ouverture sur le monde. Il me disait toujours : « Tu sais d’où tu viens, et tu dois savoir où tu vas. Chacun de nous a une fonction bien spéciale dans cette société, un rôle à jouer. »

C’est tout cela qui me donne aujourd’hui l’envie de prendre la parole pour mon peuple. Même si je vis à l’extérieur, je sais d’où je viens et qui je suis. Pour moi, le peuple a besoin de ces notions de défense de ses intérêts. Vous comprenez donc que cette volonté de défendre mon prochain, je la tiens de mon histoire familiale.

Me Maryse Coppet avocate et lobbyiste à l’Union Européenne au Karukera Café. Photo : ELMS Photography ( Emrick LEANDRE )
Vous êtes avocate spécialisée en droit européen. En 2020, vous avez été élue Déléguée du CREFORM pour la Guadeloupe, ainsi que Déléguée Nationale en charge des relations avec les institutions de l’UE. Mais d’abord, qu’est-ce que le CREFORM ? À quoi sert-il et quelles sont vos actions pour cette organisation ?

Me Maryse Coppet : Il est vrai que j’ai été sollicitée par le CREFORM en 2020 pour devenir sa représentante en Guadeloupe, mais je ne connaissais pas cette organisation. Ils m’ont demandé de représenter les intérêts de l’Outre-mer au niveau européen. Le CREFORM, le Conseil Représentatif des Français d’Outre-mer, était pour moi une découverte. C’était la première fois que j’entendais parler d’une association ayant pour vocation de défendre les intérêts de nos citoyens d’Outre-mer, qui en ont profondément besoin. J’ai donc pris connaissance de cette association, et une fois que je les ai rencontrés, je leur ai dit que je suis une technocrate, capable de gérer des procédures communautaires. Je leur ai proposé d’ouvrir des procédures d’infraction pour que nous puissions obtenir une égalité des droits. Lorsque les procédures ont été enclenchées et que tout semblait être en bonne voie, Daniel Dalin a demandé qu’on arrête tout. C’est à ce moment-là que l’on parle de lobbying. En ouvrant la page d’accueil du site du CREFORM, j’ai découvert qu’il y avait derrière eux EURODOM, le fameux lobby béké de la banane, qui est le fondateur de ce Conseil Représentatif des Peuples d’Outre-mer. J’ai alors compris pourquoi M. Dalin m’a demandé d’abandonner les procédures que j’avais engagées pour défendre nos citoyens. Il a même contacté la Commission européenne pour faire retirer ces procédures, mais aucune inquiétude, elles sont toujours en cours. Elles continuent.

Maintenant, vous vous rendez compte que les puissants lobbies des anciennes colonies infiltrent ceux qui, soi-disant, sont censés défendre nos intérêts, comme le CREFORM. À partir du moment où vous avez un Conseil Représentatif des Outre-mers, censé être notre lobby, mais qui est infiltré par un contre-lobby, on n’ira pas bien loin. J’ai découvert que, nous les ultramarins, nous n’avons aucun lobby véritablement représentatif. C’est pourquoi j’ai créé une association appelée le Mouvement Outremer, qui est une association de défense des ultramarins, avec pour objet social d’ester en justice auprès des institutions européennes, afin de pouvoir introduire des procédures judiciaires, car ces associations n’ont pas cette capacité, et je le déplore. J’ai récemment ouvert une procédure concernant le chlordécone.

Vous comprenez pourquoi je suis consternée de voir que nous avons une association nommée le CREFORM, qui n’a pas pour vocation de défendre les populations d’Outre-mer, mais plutôt de s’assurer que ceux qui auraient intérêt à défendre ces populations soient neutralisés. Cependant, sachez que ce n’est pas la première fois que cela se produit, car quand vous prenez les grands textes de l’Union européenne, par exemple la directive sur les plastiques à usage unique, vous pouvez être certain qu’à chaque fois qu’il y a des propositions législatives et des actions de lobbying auprès de l’Union européenne, certains opposants infiltrent les organisations qui soutiennent ces initiatives. Ils infiltrent parce qu’il faut toujours savoir ce que font les autres, et cela ne m’étonne pas venant de lobbies comme Eurodom. 

C’est vrai que vous êtes lobbyiste, installée à Bruxelles, capitale de l’Union européenne. Dès qu’on entend parler de lobby et d’Union européenne, on pense souvent au côté obscur de cette fonction et de cette institution. Mais qu’est-ce qu’être lobbyiste, qu’est-ce qu’un lobby, et comment se déroule votre travail au sein de l’institution européenne ?

Maryse Coppet : Il faut être honnête, c’est très français de penser que le lobbying est quelque chose de négatif. Il n’y a qu’en France que cette vision existe, car ici, de façon très pragmatique, vous avez un droit supranational, le droit européen, qui prime sur le droit français. Il faut aussi savoir qu’aucune disposition législative ne peut contredire ou être en opposition au droit européen. Vous avez des directives européennes qui doivent être transcrites dans le droit français. Pour faire simple, vous avez un droit qui est au-dessus de celui des vingt-sept États membres. Vous imaginez bien que ceux qui rédigent ces textes ne peuvent pas être présents dans les vingt-sept États, c’est pourquoi ils rencontrent les lobbyistes, qui sont là pour représenter les intérêts des individus, mais aussi des personnes morales, comme celles de la protection des animaux, ainsi que tous les secteurs sur lesquels l’Union européenne doit légiférer. C’est la même chose aux États-Unis, à Washington, et le lobbying fait partie intégrante du cadre réglementaire. On a beau faire croire que le lobbying est quelque chose de sournois et de flou, il est important que vos lecteurs et lectrices sachent que les lobbyistes sont inscrits auprès de la Commission européenne, dans le registre de la transparence de l’Union européenne. Cette commission sait qui nous sommes et ce que nous faisons.

Pour revenir à mon parcours, il est vrai que je viens de la Guadeloupe, un territoire d’Outre-mer, mais je n’ai pas fait ma carrière spécifiquement sur la défense de nos problématiques. Je suis une spécialiste des secteurs de l’énergie et de la santé. Je suis présidente d’Espace Europe Équipement Énergie à Bruxelles, ce qui signifie que je préside un lobby dans le domaine de l’énergie. J’ai travaillé sur de nombreux sujets, notamment le nucléaire, les énergies renouvelables, et j’ai collaboré avec des entreprises comme Atomenergoprom, une société russe, sur les quotas d’uranium au sein de l’Union européenne. J’ai collaboré avec presque toutes les grandes entreprises du secteur de l’énergie.

Dans le secteur de la santé, j’ai ouvert des procédures d’infraction contre la France, que j’ai remportées, notamment sur la libéralisation du secteur des laboratoires d’analyses médicales, avec la prise de participation dans ces laboratoires, ce qui a permis à la direction générale de la concurrence de saisir le bâtiment de l’ordre des pharmaciens et de donner des amendes aux pharmaciens. On sait que la France, en raison de son histoire, a toujours tendance à être très autocentrée et à vouloir donner des leçons à tout le monde. Je prends un exemple : vous avez sans doute entendu parler de l’Accord de Paris sur le climat et de toutes les COP qui ont suivi depuis. J’ai été intervenante à plusieurs de ces grands événements internationaux, à la demande de l’Union européenne. J’ai participé à la COP de Marrakech, la COP de Berlin, etc. Toutes ces rencontres sont censées promouvoir le développement durable à travers les énergies, lutter contre la déforestation et réduire les gaz à effet de serre. Mais pendant ce temps, l’État français ne se prive pas de puiser dans le pétrole en Afrique, notamment.

Me Maryse Coppet avocate et lobbyiste à l’Union Européenne au Karukera Café. Photo : ELMS Photography ( Emrick LEANDRE )

 Il est vrai qu’en ce moment il y a un problème en Ouganda avec Total Energies ?  

Oui, mais si l’on prend le cas de nos territoires concernant l’énergie, nous avons les centrales EDF qui fonctionnent au fioul lourd, importé par bateau pour alimenter ces centrales. Cependant, on ne produit plus de fioul lourd en Union européenne, sauf dans nos territoires d’Outre-mer français, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. De plus, on subventionne la déforestation au Canada et au Brésil avec les programmes d’Albioma, qui utilisent des pellets pour alimenter les centrales et produire de l’énergie. Cela entraîne une forme de dépendance énergétique avec des émissions de gaz à effet de serre. Là encore, on aborde la question du lobbying avec l’Accord de Paris, mais à côté de cela, la direction générale de la concurrence demande à la France d’arrêter cette politique de dépendance énergétique organisée en Outre-mer. Il faut arrêter de promouvoir le pétrole et développer les énergies renouvelables.

Pour revenir à nos territoires, nous utilisons des pellets de bois que l’on fait brûler dans une centrale à Moule pour faire fonctionner la turbine. Il faut beaucoup d’eau, alors que nous avons des problématiques d’eau en Guadeloupe : les agriculteurs de la Grande Terre n’en ont pas, ni la population qui subit des coupures régulières. On coupe l’eau agricole tout en brûlant des pellets de bois, sans étude environnementale préalable. Ainsi, on prend des décisions qui sont en dépit du bon sens dans nos départements. En Martinique, c’est la même chose : vous avez la centrale Albioma soutenue par M. Letchimy, mais comme en Guadeloupe, on importe des pellets de bois. Dans tout cela, les DROM sont dépendants des énergies fossiles, acheminées par des transporteurs maritimes, donc par bateau. Il faut savoir qu’à chaque fois que vous importez un combustible, cela rapporte de l’argent aux collectivités, qui soutiennent cette dépendance énergétique.

Un peu comme l’Octroi de mer, mais nous y reviendrons plus tard.

Me Maryse Coppet : Effectivement, comme l’Octroi de mer. Vous avez un système économique dans les départements d’Outre-mer qui repose sur une dépendance économique organisée, soutenue par les collectivités, car l’État a trouvé le moyen de maintenir cette situation avec l’aide de lobbyistes qui veillent à ce que ce système perdure. En même temps, dès lors que cette dépendance génère des bénéfices, il y a un intérêt à la soutenir.

Il y a pourtant des subventions pour les énergies renouvelables, mais peut-être qu’il n’y a pas d’investissements clairs dans ce domaine ?

Me Coppet : Non, ce n’est pas cela. Partout dans le monde, il y a des investissements clairs, mais beaucoup moins en France et dans les départements ultramarins, contrairement à tout le marketing que l’on peut voir. Dans nos Outre-mer, ils ont trouvé un système incroyable de dépendance, et même la Commission Européenne m’a alertée sur le fait que la France allait importer du bois du Brésil ou d’ailleurs avec des fonds FEDER et FAEDER pour un projet économique qui représente un non-sens et qui va à l’encontre du Green Deal. J’ai porté plainte contre la France à ce sujet, notamment à Marie-Galante, où l’État et les collectivités voulaient installer une centrale sur l’île avec une grande importation de bois. D’ailleurs, je suis à la tête du projet « Marie-Galante Île Durable », porté au niveau national et européen sous le nom INSULAE, qui vise à assurer un développement territorial à tous les niveaux : social, éducatif (numérique, économie circulaire), et même énergétique. L’Union Européenne travaille sur l’autonomie énergétique de tous les territoires insulaires, et à ce titre, je travaille sur toutes les îles de l’Union Européenne. Ensemble, nous avons créé un modèle de développement basé sur l’autonomie énergétique, mais pas seulement. Nous travaillons également sur l’économie circulaire, l’éducation, et la téléphonie dans des territoires dits « zones non interconnectées ». Ce modèle est extraordinaire et pourrait être appliqué à l’Afrique et au monde entier.

Est-ce que n’importe qui peut devenir lobbyiste ? Y a-t-il un parcours à suivre, des études à faire ?

Me Coppet : Ah non, j’ai fait 12 ans d’études. J’ai étudié le droit à Bruxelles, puis j’ai fait un Master en Droit européen à Londres, où je travaillais. Ensuite, j’ai suivi une école de commerce à Bruxelles. J’ai également suivi une formation à l’ENA en financement multilatéral, un cursus court, mais c’est surtout de la pratique, faite de réunions avec la Commission. J’oubliais aussi que je suis spécialisée en droit de la propriété intellectuelle, notamment à l’INPI. À Londres, j’ai travaillé dans le plus grand cabinet du domaine. Être lobbyiste, c’est avant tout comprendre les rouages juridiques et la mécanique des textes européens. Lorsqu’un client vient me voir avec une problématique de marché, un abus de position dominante, une fermeture de marché ou un non-respect de la législation européenne, je peux l’informer de ses droits, travailler avec la Commission Européenne, et ouvrir des procédures d’infraction qui requièrent la qualité d’avocat et une bonne connaissance de la matière.

Donc ce n’est pas tout le monde qui peut le devenir ?  

Me Coppet : Non non.  

Nous sommes en Guadeloupe, aux Antilles françaises, et à chaque grève ou mouvement social, les Békés sont pointés du doigt pour leur mainmise économique sur nos îles. Sont-ils un lobby et sont-ils vraiment aussi puissants qu’on veut nous le faire croire ?

Me Maryse Coppet : Ce n’est pas une question de faire croire, ce sont des faits. Aujourd’hui, l’alimentation, ainsi que tout le secteur de la distribution, et même au-delà, car il y a très peu de secteurs qui ne leur appartiennent pas, sont sous leur contrôle. Nous avons clairement une position dominante, voire un abus de position dominante. Nous sommes en présence d’un oligopole, ce qui signifie qu’un groupe détient tout de A à Z, avec une succession d’entreprises et d’intermédiaires qui permettent d’augmenter les marges. Concrètement, vous avez une entité qui décide de tout : au niveau juridique, elle décide de qui recevra les subventions. Ce lobby décide également quelle législation européenne s’appliquera aux départements d’Outre-mer. Pourquoi a-t-il autant de pouvoir ? Parce que, tout simplement, systématiquement, les élus des départements d’Outre-mer et tous les secteurs ont délégué leur pouvoir de signature à ce lobby. À ce propos, je vous invite à consulter le site de la Commission Européenne, qui prouve mes dires, car il y a des éléments publics.

Tout est publié ?  

Me Coppet : Oui, si vous regardez le registre de la transparence, le lobby d’Eurodom s’affiche comme le représentant de tous les acteurs économiques des départements d’Outre-mer.

Et qui ou quelle entité est derrière Eurodom ?  

Me Maryse Coppet : Derrière Eurdom c’est le groupe Bernard Hayot ( GBH).  

D’accord.  

Me Coppet : Ensuite, vous voyez sur la liste de représentativité d’Eurodom, la Région Guadeloupe, la Région Guyane et la Martinique. Comme ils sont chez eux, ils décident de tout et ne s’en cachent pas. Pour étayer mes propos, je peux citer un rapport du Sénat rédigé par Victorin Lurel, qui mentionne Eurodom comme le lobby qui décide de tout, y compris le FEDOM, le LODEOM, l’Octroi de mer, la pêche et tous les secteurs économiques à Bruxelles. D’ailleurs, sur cet oligopole, la Commission Européenne m’a déjà interpellée, car les fonctionnaires européens se retrouvent face aux Békés alors qu’ils savent que la population de nos territoires est noire. Tout ce que je dis est factuel.

Est-ce que, selon vous, nous, Antillais et Afro-descendants, créons des lobbys pour faire entendre nos voix à l’Élysée et même à Bruxelles ? Déjà, existe-t-il un lobby antillais (autre que les Békés) dans ces institutions ?

Me Maryse Coppet : Écoutez, c’est pour cela qu’aujourd’hui, je prends mon bâton de pèlerin avec la création de l’association Mouvement Outremer. Il est important que les gens adhèrent à l’association et qu’ils me parlent de leurs problèmes afin que j’en fasse l’écho à Bruxelles. J’ai beaucoup regretté que la Chambre d’agriculture ait délégué son pouvoir de signature au lobby d’Eurodom, qui désormais décide à quel agriculteur sera attribué le FAEDER, raison pour laquelle nous ne faisons que de la canne à sucre et de la banane, alors qu’on ne produit pas autant de sucre qu’on veut nous le faire croire.

Ah bon ? Comment ça ?  

Me Maryse Coppet : Si vous ne le saviez pas, la majorité du sucre que l’on consomme chez nous n’est pas produit localement. Quand vous allez en Martinique, le sucre dénommé « Le Galion » est un sucre importé. Très récemment, l’autorité sanitaire a rappelé certains sachets de cette marque, car il y avait un grand risque sanitaire en raison de la présence d’objets métalliques dans les produits. Donc, le sucre censé être produit localement n’est pas entièrement local. Si vous prenez les hectares de terre et que vous faites le calcul avec les tonnes de sucre ou les litres de rhum fabriqués, vous comprendrez mieux que nous ne pouvons produire autant. Vous pouvez aller chercher sur internet en tapant « Le Galion retour de produits ». C’est aussi le cas pour Marie-Galante ou Gardel, le sucre est en sachet et une grande partie n’est pas produite localement.

Me Maryse Coppet avocate et lobbyiste à l’Union Européenne au Karukera Café. Photo : ELMS Photography ( Emrick LEANDRE )
En 2009, la population guadeloupéenne et martiniquaise était dans les rues pour demander la fin de la vie chère. Cette année-là, la Martinique a atteint un état insurrectionnel en raison de la vie chère. J’ai l’impression que la question de la vie chère n’a jamais été réellement réglée, mais y a-t-il une véritable volonté de mettre fin à ce phénomène ?

Me Maryse Coppet : Honnêtement, il n’y a pas de réelle volonté d’y mettre fin, ni de la part de l’État ni de nos élus. Je base mes propos sur la multitude de rapports qui démontrent que la vie chère est, en premier lieu, liée à l’Octroi de mer. Quand on voit les déclarations faites par des élus en Martinique très récemment [lors de la récente manifestation], affirmant que ce n’était rien, notamment quand ils disaient qu’un Octroi de mer de 22 % à 25 % sur le riz n’était pas grand-chose, cela reste incompréhensible, alors que cela rend le quotidien de nos compatriotes bien plus cher. Avant de poursuivre, il me paraît important de définir ce qu’est l’Octroi de mer, afin que ceux et celles qui liront cette interview puissent bien comprendre.

Cette taxe est une législation spécifique aux départements d’Outre-mer. Elle date du XVIIe siècle. À cette époque, le pouvoir colonial s’est assuré que les colonies ne produiraient que des biens à exporter vers la métropole coloniale, sans fabriquer de produits manufacturés. Pour y parvenir, une barrière douanière a été mise en place à l’entrée de ces territoires afin de bloquer l’importation de produits manufacturés. Elle a également existé en Afrique lorsque ces pays étaient des colonies, mais aujourd’hui, qu’ils sont indépendants, elle n’existe plus. Cependant, elle est restée en place chez nous, dans les Outre-mer français. Elle a vu le jour avec le pacte colonial, car la colonie ne servait qu’à produire du coton, du cacao, des épices, mais surtout du sucre, qui était l’or noir de l’époque, d’où la traite négrière, avec des millions d’esclaves envoyés de force vers ces territoires pour y travailler. En retour, la métropole consommait le fruit de leur dur labeur. Si vous ne le saviez pas, les Outre-mer ont interdiction de produire du vin [depuis Napoléon], car la « mère patrie » en produisait et il n’était pas question d’en produire localement. Malgré l’évolution statutaire de nos régions, cette législation est restée et elle perdure avec la complicité des élus locaux. En effet, les dirigeants et les colons de l’époque ont fait en sorte qu’une partie des recettes de l’Octroi de mer aille à ces élus locaux [noirs], qui sont devenus les premiers défenseurs de son maintien, contribuant ainsi à la poursuite du système colonial. Les penseurs de ce système ont réussi leur pari. De nos jours, nous avons donc un système qui s’assure que tout ce qui entre sur nos territoires sera taxé.

Cependant, cette taxe rend la vie difficile pour ceux qui y vivent. Par exemple, si vous êtes boulanger, vous devez importer la farine, le beurre et les matières premières. Vous allez payer un Octroi de mer externe qui varie de 0 à 130%. Donc, dire que ce n’est pas grand-chose, c’est oublier qu’une grande partie des produits alimentaires est taxée à 60%. En pratique, cela signifie que lorsque vous achetez vos produits, vous payez cette taxe directement, avant même d’avoir vendu quoi que ce soit. Vous imaginez la trésorerie qu’il vous faut pour payer l’Octroi de mer ? Mettez-vous à la place de ce boulanger qui doit fabriquer son pain, mais qui, en raison de la douane, perd 15% de son chiffre d’affaires. Cela revient à lui enlever tout le bénéfice qu’il pourrait avoir. C’est donc la raison pour laquelle il n’y a pas de développement économique, pas de production locale. J’ai évoqué le cas du boulanger, mais je peux aussi parler du chocolatier. Dans nos régions, nous pourrions fabriquer du chocolat aux noisettes, mais nous ne pouvons pas. En effet, pour obtenir un produit fini, il faut importer les noisettes, mais elles seront taxées à un taux d’Octroi de mer tellement élevé que dès que vous les ajoutez dans le chocolat, cela devient déjà trop cher. Et puis, si vous produisez, la douane vous prendra également un pourcentage de votre chiffre d’affaires. Cette situation est unique au monde, mais elle est vécue chez nous, en Outre-mer.

C’est donc pour cette raison que la vie est chère ?

Me Coppet : Non, car ce qu’il y a de plus subtil avec l’Octroi de mer, c’est que tout le monde ne le paie pas. Les lobbies dont nous parlions tout à l’heure se sont assurés qu’ils n’auraient pas à le payer. Encore une fois, je n’exagère rien, il y a des études ainsi que des rapports de la Cour des Comptes qui l’expliquent. D’ailleurs, à la Région Guadeloupe, [vu que nous y sommes], il existe une Commission Octroi de mer avec la liste des personnes qui y siègent. Certains en font partie, comme des membres du CESE, un grand défenseur de cette taxe. Pourtant, même la Cour des Comptes s’étonne de voir qu’une entité censée défendre les entreprises soutienne l’Octroi de mer, alors que c’est une taxe très élevée imposée aux entreprises, avec pour conséquence directe le phénomène de la vie chère que nous vivons. En revanche, que a fait le lobby [lobby béké] ? Il est allé demander à la Commission un système d’exonération. Pour simplifier, cette commission statuera sur quel produit sera soumis à quel taux et qui sera exonéré.

Et l’État n’a rien à voir là-dedans ?

Me Coppet : Non, ce sont nos élus qui se réunissent et qui statuent. Ils se mettent d’accord sur l’exonération de telle ou telle filière ou sur l’imposition du taux de taxe souhaité. On nous fait croire que cela participe au développement économique local, alors que cela ne fait que bloquer la production locale, car sa fonction première est de créer une rente sans générer d’emplois. De plus, la Cour des comptes nous informe que les membres de la commission de l’Octroi de mer, qui sont payés par la Région pour travailler, ne sont même pas présents lors des réunions. Et qui plus est, lors de ces assemblées, des entreprises s’assurent que leurs concurrents, souvent extérieurs, ne pénètrent pas le marché. Donc, encore une fois, vous avez une position dominante, voire un abus de position dominante, avec ce même oligopole qui s’assure que les concurrents paient l’Octroi de mer, tandis qu’ils, eux, n’ont pas à le payer. En plus de cela, ils bénéficient de subventions FEDER, de la défiscalisation, et la Cour des comptes évoque une succession d’aides d’État, se chiffrant en plusieurs centaines de millions d’euros, qui devraient être notifiées à la Commission européenne, mais ce n’est pas le cas. C’est illégal. Vous comprenez donc pourquoi aucun élu n’est venu soutenir les manifestants en Martinique, car ils n’ont aucun intérêt à ce que la vie chère disparaisse, puisqu’ils en vivent.

Vous êtes aux avant-gardes, si je puis dire, de tout ce qui se passe en coulisse. Mais quelle est votre vision de l’avenir de la Guadeloupe et, plus généralement, des Outre-mer ?

Me Maryse Coppet : Vous savez, j’étais intervenue sur le sujet de la vie chère en 2020, j’avais donné quelques conférences parce j’avais été interpellée par la Commission européenne qui demandait la suppression de ce régime dérogatoire.  

La Commission a demandé sa suppression ?  

Me Maryse Coppet : Oui, elle veut supprimer l’Octroi de mer, qu’elle considère comme un pacte colonial, car il n’existe nulle part ailleurs dans l’Union Européenne où les gens sont empêchés de travailler sans payer autant de taxes, ce qui les oblige à payer tout plus cher que les autres citoyens de l’UE. Cela constitue une atteinte à la libre circulation des marchandises et des personnes, car si vous partez de Paris pour vous rendre à Cannes, on ne vous demandera pas de payer un Octroi de mer. En revanche, si vous êtes à Paris et que vous souhaitez partir travailler en Guadeloupe pendant deux ans, vous devrez payer l’Octroi de mer sur votre voiture. Du coup, vous êtes obligés d’acheter une voiture chez eux, qui sont déjà en situation de monopole dans le secteur automobile. Ce sont les mêmes qui dominent le secteur de l’alimentation. On les connaît. Tout le système est organisé de manière à ce que les populations ultramarines soient là uniquement pour consommer ce que vend le lobby béké, et ce, au prix qu’il décide. En plus, il coule la concurrence en imposant 60 % de taxes, que cette dernière est obligée de répercuter sur le consommateur, qui va donc payer le produit plus cher. Or, nous savons que ce qui fait baisser les prix, c’est la concurrence. Mais nous sommes sur un territoire sans concurrence, avec une inflation des prix.

Une autre problématique que nous constatons concerne les subventions européennes. C’est sans doute une impression, mais elles ne sont pas équitables, ou du moins, il semble qu’il faille être membre d’un réseau particulier pour les percevoir, ce qui fait que ce sont souvent les mêmes qui en bénéficient. Justement, à qui s’adressent-elles, comment peut-on les percevoir et vers qui devrions-nous nous tourner pour les obtenir ?

Me Coppet : C’est exactement ce que j’évoque depuis le début. Les subventions sont décidées par le même groupe, Eurodom, qui détermine qui les recevra. Je vous parlais des agriculteurs, mais sachez que pour les obtenir, il faut déjà avoir l’argent sur votre compte avant de pouvoir déposer votre demande de subvention. Encore une fois, c’est une situation unique et visible uniquement dans les territoires ultramarins, et cela n’existe pas dans d’autres pays européens. Ainsi, si vous faites une demande de subvention pour un projet nécessitant 500 000 €, vous devez prouver que vous avez ces 500 000 € sur votre compte. Mais qui a 500 000 € sur son compte ? Toujours les mêmes ! Je vous invite à consulter le registre de la transparence, et vous verrez vous-même. Toutes ces données sont publiques. Mon souhait est que le peuple fasse l’effort de lire et arrête de croire que les élus vont changer le système. J’aurais aimé qu’ils ouvrent les yeux. Je ne trouve pas, dans ce territoire, des gens prêts à se battre pour notre cause. Je serais très heureuse de rencontrer des élus ou des personnes qui veulent se battre pour ce territoire. En attendant, la phrase qu’on entend régulièrement sur les bienfaits de l’Octroi de mer pour notre économie est fausse. Le rapport de la Cour des Comptes est clair : aucun élu ultramarin ne peut venir devant les rapporteurs dire que l’Octroi de mer participe à la création d’emplois ou à l’économie locale, car c’est tout simplement faux. Les collectivités ultramarines dépensent des fortunes pour faire n’importe quoi, comme c’est le cas de la mairie de Saint-François qui a racheté l’hôtel Méridien avec 12 000 € de charges à payer, plus des intérêts à la banque. Mais cela arrange l’État, qui garde des collectivités exsangues et dépendantes, et le système continue, avec en premier lieu ce lobby.

Me Coppet, merci d’avoir répondu à nos questions. Avant de conclure, où pouvons-nous vous suivre et vous contacter ?

Me Coppet : Je vous invite déjà à adhérer à mon association, Mouvement Outremer, afin que tous les différents secteurs d’activité de la Guadeloupe et des départements d’Outre-mer soient représentés à Bruxelles et qu’on arrête de déléguer depuis des siècles notre existence, notre législation, notre avenir à un groupe qui n’a que faire de nous. Rejoignez-moi donc au sein de Mouvement Outremer. Nous avons une histoire coloniale qui perdure depuis des siècles, et nous y sommes encore. Nous sommes toujours dans ce pacte colonial et pour en sortir, nous devons prendre le chemin du droit européen, qui est un droit supranational.

Combien êtes-vous dans votre association ?  

Me Coppet : Nous sommes plusieurs centaines, mais nous avons besoin d’être plusieurs milliers, voire des millions. Mon souhait est que toute la lumière soit faite sur ces sujets.

Merci beaucoup Me Coppet.  

C’est moi qui vous remercie.